mardi 6 février 2007

Clin d'oeil à Nicolas.
*****
  cash
I have been ungrateful
And I have been unwise
Restless from the cradle
But now I realize
It's so hard to see the rainbow
Through glasses dark as these
Maybe I'll be able From down on my knees
Oh I am weak
Oh I know I am vain
Take this weight from me
Let my spirit be unchained
Old man swearin' at the sidewalk A
nd I am overcome Seems that we've both forgotten
Forgotten to go home
Have I seen an angel
Or have I seen a ghost
Where's that rock of ages
When you need it most
It's so hard to see the rainbow
Through glasses dark as these Maybe
I'll be able From down on my knees
(Johnny Cash)
***************
A dix-sept ans, la vie est terminée, même si vous parvenez, à force d’entêtement et à l’aide d’une bonne louche de bêtise, jusqu’à trente ou cinquante-six ans. La mienne, en tout cas, le fut. Et c’est bien ce qui comptait à mes yeux, parce que la vie des autres ne m’intéressait pas le moins du monde tant que je n’avais pas de place dans la leur… Je veux dire une « vraie place », pas de celle qu’on attribue au premier quidam que Maître Hasard (hésitez à faire sa connaissance à celui-ci, surtout s’il vous fait des politesses et vous laisse prendre des rêves pour des choses bel et bien tangibles !) peint sur votre pupille ou vous fourre dans les pattes. J’aurais aimé à cette époque m’installer dans les pensées de quelques contemporains, mais à condition qu’ils fussent un tantinet raffinés (cet adjectif signifie ce qui suit : que les élus disposassent d’une bibliothèque digne de ce nom, à savoir victorienne, ou rien), et qu’ils missent à ma disposition le plus grand des conforts : dans un large fauteuil à oreilles, made in England (pas une imitation), attablée devant des scones à la crème d’une provenance similaire et un thé Yunnan brûlant, un Dickens relié pleine peau sur les genoux, un chat abyssin à mes pieds (chaussés de Tod’s), je me serais sentie à l’aise et presque disposée à être aimable (enfin, docile ; ne promettons rien que nous ne n’aurions pas été en mesure de tenir). Bref, si les gens m'avaient établie ainsi dans leurs pensées ou encore, à défaut de mieux, dans leurs souvenirs, j’aurais estimé avoir un endroit digne de ce nom sur terre (façon de parler !) où faire mon trou. Or, je glissais de leur existence, comme le corps qui s’égare et tombe en imagination hors du lit au moment de l’endormissement. Sauf que ça n’avait rien d’imaginaire pour moi et que je pestais beaucoup contre ce manque de tact universel à mon égard. C’est la raison pour laquelle je réitère cette phrase d’accueil qui oblitère tout espoir de promotion future : à dix-sept, la vie est terminée.
J’aurais cependant bien aimé rêver encore, tant qu’il était temps, à mon futur, de la manière dont on songe aux choses grandioses qu’on accomplira, mais plus tard – pas maintenant, oh non, car on a tout le temps, bien sûr, d’échouer, se sachant obscurément incapable d’être à la hauteur de la tâche. Il n’y a aucun mal à être un adepte de la procrastination parce qu’il n’y a rien de plus satisfaisant que de rêver à des choses parfaites et, par conséquent, inaccessibles. A quoi servent les rêves faciles ? Ne sont-ils pas idiots ces songes anémiques et creux ? On rétorquera que ces benêts sont pourtant les plus faciles à refourguer et que les autres ne se louent pas très bien. Hélas, mille fois hélas ! Ils ne sont pas mon genre ces pauvres chéris… Maintenant moins que jamais d’ailleurs. J’étais déjà fichue. Pas effectivement, bien sûr, mais ça revenait au même, puisque rien n’est par la suite venu contredire la banalité ou le génie dont avait fait preuve l’individu (moi) jusqu’à ce jour. Le plus dur, dans la vie d’un homme – quand on a l’intelligence de s’en rendre compte - est de faire preuve de volonté, de « persister dans l’existence » (Cf. Spinoza, un lointain cousin) ; et il est évident qu’il y a plus de mérite à persister dans la médiocrité que dans le génie, pour la raison évidente qu’on s’y ennuie beaucoup plus. Une vie passable ressemble à … A quoi, au fait ? A un onze sur vingt à une dissertation, ou pire à une dictée. A une photographie ratée, ainsi que le sont toutes celles prises dans les photomatons. A une crème brûlée non brûlée. A toutes les occasions manquées en somme. A ma courte vie, on dirait. Hum hum … Ma vie, définition : une petite torture. Rien d’insupportablement désagréable, mais une gêne permanente au creux de l’oreille, une voix fluette qui ne cessait de me dire que le mal était déjà fait et que je pouvais bien me contenter de la réalité présente, que des tas de gens y trouvaient leur bonheur et n’avaient même pas autant que moi. Vous voyez le genre de propos ? Inutile que je continue. Pouah ! Je détestais tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un lot de consolation dans cette gigantesque foire qu’était encore la vie des humains au XXIe siècle. Si vous ressentez des symptômes similaires, attendez-vous à recevoir une convocation prochainement … et veuillez accepter toutes mes condoléances. Justement à ce sujet… mais ne devançons pas. La constatation de ma fin de vie ne m’est pas apparue par touches, progressivement, comme ces verdicts médicaux sans appel qu’on vous infuse par petites touches, vous laissant deviner la conclusion par une fréquentation régulière et mesurée du pire. Pas du tout. Le style impressionniste n’a plus cours. La mode est à la gifle (paume ferme et doigts souples pour augmenter la portée du geste). Ce fut, je me le rappelle parfaitement, par la réception d’un télégramme sobre, poli, et certifié sans fautes d’orthographe – pas du tout rédigé en style télégraphique - que je fus mise au parfum. « Mademoiselle, veuillez vous rendre au bureau des plaintes, à six heures du soir, afin d’y recevoir votre matricule définitif.» Je me suis longtemps demandé, depuis la lecture de cet ultimatum, comment cette dépêche était arrivée dans la poche (trouée, qui plus est) de mon imperméable. Si je le savais, peut-être que l’essence de tous les secrets s’évaporerait, car c’est sans nul doute LE secret de tous les secrets que de recevoir une telle lettre qui, bien que dépourvue du nom du destinataire, vous apparaît comme ayant été rédigée pour vous, sans l’ombre d’un doute ! (Hélas, mille fois hélas !) Tout le monde savait ce que signifiait le fait de recevoir un matricule définitif. C’est pourquoi tout le monde autour de moi fut trop compatissant et je manquais de vaciller dans ce magma sirupeux, ce qui prouve qu’il faut être toujours vigilant lorsque l’on a le malheur de fréquenter des gens (même s’ils lisent Dickens dans des éditions hors de prix). Au début, j’eus certes envie de pleurer, par souci d'imiter les autres, pour ne pas déparer au milieu de ce choeur lacrymal, et puis je me fis une raison instantanément (histoire de contrecarrer cette réaction hypocrite, cette adhésion honteuse et commode aux circonstances ; disons clairement que j’avais envie de contredire tout le monde) : j’avais conscience, dans un concis sursaut d’honnêteté, de ne pouvoir rien espérer de plus ou de mieux dans ma vie actuelle et de mériter ce compostage de mon destin ; alors, pourquoi ne pas essayer de découvrir et, peut-être, d’apprécier cette nouvelle existence toute fraîche d’immatriculée ? Non, non, non, non (j’adore écrire cet adverbe, qui est l’ingrédient indispensable de toute vie pleinement accomplie ; je pourrais en remplir des pages entières… Les points de suspension me charment aussi tant que je les imagine être le balancier des funambules …), je ne le pensais pas vraiment, j’essayais simplement d’adopter un autre ton et cela ne me convint pas : je n’étais pas faite pour avoir de la bonne volonté envers qui que ce soit ! Je ne faisais pas exception envers ma négligeable personne. Je n’ai pas eu mal. Non et ça m’étonne encore de penser qu’un changement d’état aussi radical soit totalement indolore. Personne n’a souffert, sauf peut-être mes parents, mais la crise passa très vite. Il n’y a rien d’aussi fragile qu’un sentiment humain (truisme, pauvre truie). Le mot éphémère (pauvre papillon) a d’ailleurs été inventé pour exprimer l’inconstance des êtres humains, assurément par le moins cynique et le plus lucide d’entre eux. Ils m’oublièrent donc au plus vite pour n’avoir pas à me pleurer pendant des lustres (ils avaient la toiture à réparer ; si vous les jugez mal, songez un instant combien il est désagréable, au mois de mars – celui des giboulées –, d’avoir une maison qui pleure davantage que vous, de se sentir inférieurs dans la peine à un vulgaire pavillon de banlieue). Le temps procéda rapidement à un retrait chirurgical de ma présence dans leur mémoire. Ils réussirent haut la main cet exploit en moins d’une semaine de pleurs drus et continus. Mister James Matthew Barrie, fut possiblement (quel adverbe ridicule mais qui me sied !) le seul adulte (c’est vite dire) qui osa révéler que les mères – ne parlons même pas des procréateurs, qui n’ont jamais eu qu’une fonction accessoire (des pères honoris causa) dans cette histoire – pouvaient avoir un cœur sans tain et fermer leurs fenêtres, quand elles n’y mettaient pas des barreaux, empêchant ainsi l’enfant envolé de revenir au bercail. Non, malgré cet estompage express de mon fantôme dans la vie des gens que j’avais très bien connus, je n’eus pas mal, car il n’y a qu’un enfant pour être plus ingrat qu’un parent. Le monde ne bougea pas d’un iota lorsque ma disparition fut annoncée dans le journal local. Moi seule sombrais quand l’univers, inlassable toupie, se tenait encore dans un parfait équilibre sur la pointe de son indifférence. Je sus où je devais aller sans que personne ne m’en eût rien dit auparavant. Lorsque je disais tout à l’heure que tout le monde savait la signification de la convocation à la réception de celle-ci, j’aurais dû préciser que seul un ange aspirant savait ces choses de manière innée. Mourir de cette manière est la chose la plus facile au monde.
J’avais pourtant envie de mordre le ciel jusqu'aux larmes.
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