mardi 29 novembre 2005

«Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure à mon doigt »
Que voulais-je exactement dire Hume en usant de cette assertion osée, outrée et presque insensée ? J'ai toujours eu un faible pour Hume, qui me paraît le plus sensé de tous les philosophes.Voici ce qu'il nous dit - très succinctement- des rapports de la raison et de la passion :
Le livre II du Traité de la nature humaine consacré à l’étude des passions est un texte quelque peu troublant et très provocateur, notamment à cause de sa manière d’envisager la passion dans cet extrait. Cette définition remet en cause le pouvoir et la place de la raison dans notre système de valeurs et d’actes. Elle suggère également des implications gênantes quant à la liberté, à la morale, et tout particulièrement quant au pouvoir réel de la raison sur les autres instances de notre vie psychique et corporelle, et surtout sur la volonté. Hume se présente dès lors comme une sorte de révolutionnaire, si l’on ose ce terme. En tout cas, ce texte se veut polémique et critique, notamment à l’encontre de Samuel Clarke et de ceux qui, comme lui, estiment que les choses ont entre elles des relations éternelles et nécessaires fondées sur et par la raison. Ce texte est également d’autant plus intéressant qu’il prend véritablement tout son relief si l’on considère qu’il est implicitement rattaché à la pensée de la volonté, de la vertu et de la liberté, qui s’est développée depuis Platon, Aristote, les Stoïciens, Descartes, ou encore Malebranche. Hume déclare que la passion n’est pas « déraisonnable », parce que tout simplement elle n’a pas à être confrontée ou soumise par la raison, eu égard à sa nature. Pire, il ajoute que « La raison est et ne doit qu’être l’esclave des passions » (je souligne). Son raisonnement peut être compris, comme il suit, et assez schématiquement :
- 1 - La passion est radicale et absolue : elle est « autochtone » et autonome ; elle vaut en elle-même et pour elle-même. Elle a toujours « raison », et elle est indémontrable comme le sont tous les faits.
- 2 - La passion échappe à la raison, qui est aussi un principe d’ordre, car elle se justifie par le seul fait de son existence. Conséquence logique du premier moment que nous venons de nommer. La raison ne peut établir des critères pour la juger théoriquement, du moins de l’intérieur. Mais la passion n’échappe pas à la causalité, ce qui laisse une « ouverture » à la raison sur la passion. Toutefois, la passion ne peut être jugée par la raison pratique, car elle ne se détermine pas selon des motifs rationnels.
- 3 - La passion est une instance autocrate : elle est donc le maître sans partage de la volonté, lorsqu’elle lui commande, et donc n’offre aucune prise pour la raison. Elle n’admet aucune législation hétéronome dans son champ d’action. Conséquence logique des deux premiers moments, qui laissent cependant un « vide » : la raison peut-elle agir sur la volonté s’il n’y a aucune passion en jeu ? La raison peut-elle agir sur la passion de « manière oblique » (cette dernière expression se rapporte au Traité de la nature humaine, III, I, I) ?
Calliclès, dont Nietzsche sera un descendant, disait à Socrate : « Voici, si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce qu’elles peuvent désirer. » (Gorgias, 419c-492d) Ce n’est certes pas en ce sens qu’il faut comprendre la conception de Hume quant aux passions. Bien au contraire. Il ne s’agit pas de se laisser aller à tous nos penchants, sans contrôle ou distinction. Hume croit moins en la préservation d’un ordre que dans la maîtrise d’un désordre. L’homme doit prendre en compte son sentiment, sa passion et le réel que la raison lui donne à penser, afin d’orienter sa passion. « Prendre en compte le réel » ne signifie pas être une copie dans nos actes d’un ordre supposé, réel, inventé. Il s’agit peut-être d’aimer ce qui est plutôt que ce qui devrait être, et de nous laisser guider par ce que Hume appelle un sens moral et que l’on pourrait peut-être comparer à une espèce d’instinct. Il est difficile de savoir si l’humanité mérite cette confiance que Hume dépose en elle.

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