lundi 30 octobre 2006

Je n'ai vraiment pas le temps. Je jette trois méchants mots ici, afin de vous convaincre, si vous habitez Paris ou si vous avez moyen de vous y arrêter bientôt, de sacrifier à une représentation théâtrale de grande qualité. J'aime beaucoup le théâtre. Je m'y rends en moyenne une fois par mois. Je n'en parle quasiment jamais dans mon JIACO, mais il est impossible d'épingler chacun de mes vices : ils sont trop nombreux. Il me fallait une excellente raison pour réparer cet oubli. Autrefois, j'y allais toutes les semaines. A Paris. Au théâtre. J'avais une fringale de théâtre comparable à ma boulimie livresque. Un doux enfer !

Avec le temps, je suis aussi devenue plus exigeante (je n'ai jamais pu me remettre du tripotage de Phèdre par Luc Bondy, par exemple, ou bien des pâmoisons boursoufflées de collagène de Mademoiselle Adjani dans la triste Dame aux camélias - et encore je ne me suis pas frottée à sa Mary Stuart, mais il semblerait qu'elle soit à la hauteur cette fois-ci !) et le cinéma a dévoré une grande partie de ce temps, précisément, qui me fait toujours défaut. Mais le théâtre fut, avec la littérature, mon premier grand amour. Alors...
Je ne pouvais manquer la mise sur scène des pièces en un acte de Woody Allen autour du thème dans lequel il est passé maître : l'adultère, qui semble cristalliser tous les gauchissements de l'homme, ses impossibilités, son désespoir mais aussi son salut, le rire, et ce depuis très longtemps dans la grande tradition théâtrale.
On peut trouver les textes de ces pièces en 10/18 (j'avais déjà cité ici même cette publication) :
Trois pièces en un acte sont données à l'Atelier dans une distribution étincelante, qui rend hommage à la verve allenienne et à l'ardeur théâtrale de mise en cette occasion. Quoi qu'en dise Rousseau, je me range du côté d'Aristote et j'apprécie cette "purgation" de l'âme par les mots et les maux des autres.

Qui aime Woody Allen adorera ses pièces traduites. J'avais un peu d'appréhension, je l'avoue, à l'idée de cette francisation (un comble ou le summun de la lucidité pour une apprentie traductrice !), moi qui n'aime ses films qu'en version originale. Mais j'avais tort. Je suis éblouie, épatée, ravie, transportée ! Nous assistons à un jeu de massacre verbal et à une réjouissante introspection de l'âme de la bourgeoisie new yorkaise. Mais je suppose qu'il ne s'agit pas d'un problème de classe social, car la corruption des âmes n'épargne personne. Elle est simplement d'apparence plus propre dans certains milieux. Et encore ce n'est guère prouvé, ici comme chez Edward Albee.
Mais, pour ce dernier, le rire racle la gorge, tandis que l'explosion des zygomatiques chez Allen est de bon augure. La tragédie est affirmée chez le premier et évitée, bien que de justesse, chez le second. Rire est une question de survie et d'éducation. Le happy end est toujours tordu et biaisé chez Allen, si bien que l'on finit par se demander à quel moment précis nous nous sommes faits avoir, lorsque nous avons accepté son dénouement. Tout le monde dupe tout le monde et les relations humaines ne sont que des trompe-l'oeil. Les liens sociaux sont ainsi faits que l'on ne reçoit, finalement, que ce que l'on offre. Ce n'est que justice, n'est-ce pas ? Dois-je avouer que je suis une créature asociale et que je me gausse de ce dont je me crois, à tort ou raison, préservée ? On a le conjoint et les amis que l'on mérite. Les miens sont parfaits. Je n'en dirai pas autant des personnages de ces trois pièces. Inutile de préciser que, dans le cas présent, tous ces gens sont plutôt infréquentables, hormis peut-être cette psychanalyste pitoyable, aveugle à son propre drame domestique. Je ne l'avais jamais réellement remarqué mais Woody Allen est parfois un Ibsen - mais un Ibsen qui se fend toujours la poire !
On retrouva ce soir-là les grandes obsessions qui sont celles de son oeuvre, depuis toujours : l'amour, le sexe, la fidélité, la tromperie, l'usure du désir, la mauvaise foi, la lâcheté, l'absence de Dieu... et la psychanalyse (dont le besoin s'explique par tout ce qui précède !).
Toute ma vie j'ai tourné autour de la psychanalyse et joué avec son idée, des deux côtés du divan, cela s'entend. Mais jamais je n'ai franchi le pas, bien trop méfiante à l'idée que l'on fouille dans mes entrailles psychiques. Et puis à quoi cela servirait ? Je suis une névrosée, mais j'aime mes penchants troubles, et je ne vais pas payer pour que l'on m'autorise à choyer mes travers pervers. Je n'ai, de plus, aucune envie de guérir. Et il n'existe aucun remède au fait de vivre, hormis la mort et le rire sincère. Le reste n'est que trituration de nos petits bobos, thésaurisation de nos gros chagrins. Il n'y a rien à comprendre. Il suffit de se moucher un bon coup et essayer d'accepter que rien n'a de sens, sauf peut-être celui que l'on a envie de créer. Ma réalité est peut-être autre, moins franche : la philosophie est en soi une psychanalyse permanente. Donc, je suis possiblement en analyse depuis quatorze ans ! On l'a oublié mais la psychologie n'est au départ qu'un rejeton de sa mère philosophe... Freud m'a toujours apparu bien plus intéressant en tant que philosophe que psychanalyste - heureusement pour lui, car on ne peut pas dire qu'il ait guéri beaucoup de patients ! Les plus sains d'entre nous sont des névrosés, n'est-ce pas ? C'est peut-être pour cette simple raison que les personnages de Woody Allen nous sont infiniment proches, même si l'on ne partage pas leurs ennuis. Woody Allen serait un très bon psychanalyste ou philosophe, au choix. Qui mieux que lui peut résumer l'enjeu et le problème de la psychanalyse : "Mais je ne suis pas perspicace... Simplemenent psychanalyste." ? Boutade, peut-être, mais pas seulement. Je pense que Freud lui-même, qui était un homme d'humour, apprécierait.
On rit beaucoup. J'ai aussi entendu des dents grincer, car M. Allen a le chic pour mettre mal à l'aise nos états d'âme. Il ne manquerait plus que cela qu'il soit complaisant !
Woody A., comme Lubitsch ou Sacha Guitry, appartient à une même lignée, celle des esprits qui pensent que l'on peut rire de tout car rien n'a d'importance en ce bas monde, puisque l'univers est un chaos, probablement sans Dieu... Ou alors un Dieu ironique, cruel et peau de vache. Pour notre bien. Evidemment !
"Le doute me ronge. Et si tout n'était qu'illusion ? Si rien n'existait ? Dans ce cas, j'aurais payé ma moquette trop chère." (Dieu, Shakespeare et moi, opus I)
Derrière la drôlerie et l'absurdité de cette déclaration, qui pourrait aisément résumer la philosophie de Woody Allen
se dissimule une réelle profondeur philosophique, mais je ne tiens pas spécialement, aujourd'hui, à disserter avec vous de Kant, de Locke ou de Berkeley, car finalement M. Allen résume parfaitement la complexité de notre situation dans le monde. Nous sommes dotés d'un entendement imparfait, d'une morale trouble et de pouvoirs de très petite portée. Et il nous transmet cette sagesse avec un humour que, malheureusement, je suis loin de posséder. Après plus d'une décennie d'étude de la philosophie, j'en suis arrivée à concevoir que la sagesse était davantage du côté des Marx Brothers, de Buster Keaton ou bien chez Woody Allen, que chez mes compagnons de galère métaphyique. Croyez-moi : le rire est la seule échappatoire. A condition de ne pas oublier de respirer - c'est le même problème avec les baisers...
Sont au programme
Riverside Drive (une pièce déjantée) à 19 h et Central Park puis Old Saybrook à 21 h (ces deux pièces-ci s'enchaînent sans entracte). Vous pouvez choisir de ne voir que la première - ce qui serait dommage, car à mon sens c'est la plus faible, malgré une incontestable réussite - ou simplement les deux suivantes. A cause d'un couac de programmation, j'ai vu ces trois pièces en deux fois, à un mois d'intervalle. Ce ne fut pas plus mal, car j'ai pu ainsi bénéficier d'une injection retard de prozac littéraire.
La mise en scène de Benoît Lavigne est pleine de classe et de rythme. J'ai aussi apprécié la traduction de Jean-Pierre Richard : audacieuse et fidèle. Les acteurs sont parfaits. Pascale Arbillot en tête et Xavier Gallais (époustouflant, toujours au bord, sur le point de sombrer dans un registre opposé). Mais les autres ne sont pas en reste : Dominique Daguier en auteur paumé, qui laisse moisir ses personnages dans un tiroir - il me rappelle quelqu'un mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur cette familiarité ! - emprunte à Guitry et à Woody Allen. La ressemblance avec le premier est flagrante lorsque le décor se déchire et qu'on le découvre dans la pause de celui qui est crucifié face à la machine à écrire, soudain muette.
Il faudrait faire preuve d'une singulière humeur noire pour ne pas adorer se délecter des malheurs des divers protagonistes. Hors de question de les plaindre !
Il ne reste que deux jours pour découvrir son dernier film, Scoop. Tic tac !
J'ai entrevu quelques extraits et l'histoire me semble très proche de celle de La malédiction du scorpion de jade. Sûrement un film un ou deux crans en-dessous de Match point. Mais je me trompe peut-être. Tous les espoirs sont permis avec Woody Allen. Je reviendrai vous en parler cette semaine, je vous le promets. Il me faudra aussi vous faire partager mon enthousiasme quant au dernier film de Clint Eastwood, que j'ai également découvert ce week-end et qui m'a laminée.
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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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