lundi 15 décembre 2008
Frank Sinatra, un film de Minnelli, une promiscuité agréable avec Fred Astaire et Ginger Rogers et la présence de Truman Capote - dont je relis les nouvelles qui ont trait à Noël, chaque année, à la même époque - ont le dont de provoquer en moi une émotion de saison.
Bientôt Noël, une fête particulièrement importante pour moi, et ce pour des raisons non religieuses. Ne me parlez pas du petit Jésus, par pitié ! J'aime Noël à la folie et je le hais avec une égale force d'âme, je crois. De toute façon, qui me connaît, même seulement un peu, mais vraiment, ne peut que remarquer à quel point je suis contradictoire. Je le suis, parce que l'existence humaine l'est et que, pour être vrai, il faut bien se rendre aux divers points de vue qui nous constituent et les faire exister par la pensée et le langage, plutôt que de se laisser définir en pointillé, ne retenant que certains d'entre eux parce qu'ils prennent plus de place. Mon désir d'être entière est tel que rien ne peut me convaincre à me réduire à tel fragment ou à un tel autre, même s'ils contituent l'un ou l'autre une grande part de ma personnalité. Je suis aussi vraie dans la forme générale que dans l'infime détail, la poussière qui se pose sur le contour et n'entre pas en lui.
Pour moi, Noël se résume, dans son essence, à une rencontre qui se produit dans le demi-sommeil, la nuit du 24 décembre.
Une fois l'an, le fantôme d'une petite fille vient me rendre visite. Invariablement. Elle n'est jamais en retard, même si elle n'arrive pas toujours à la même heure. Elle porte nattes et cœur en béton. Elle a éternellement huit ans et n'en finit pas de s'attarder dans ma mémoire, prenant le temps de jouer devant moi certaines scènes d'autrefois, voulant s'assurer probablement que je ne vais rien oublier. Comme si c'était possible ! Voyons, fillette ! C'est la nuit de Noël, une petite fille de l'âge éternel de mon fantôme, est couchée dans un lit-cage, bien trop petit pour elle - car elle a grandi mais personne ne s'en est rendu compte ou personne n'a eu assez d'argent pour acheter un autre lit - et elle doit plier un peu ses jambes pour tenir à l'intérieur. Elle prétend qu'elle n'a pas grandi tant que cela et qu'elle est confortablement installée pour ne faire de peine à personne ou pour ne pas provoquer de colère. Elle aimerait qu'on la contredise, pourtant, et cette pensée coupable, très vite, elle la rogne de son esprit. Ce soir, il est tôt et elle se couche à la même heure que tous les autres soirs, Noël ou pas Noël. Elle fait semblant de dormir, contrôlant sa respiration et l'immobilité de ses paupières, car elle se sait regardée, épiée. L'ombre au dessus d'elle la chatouille. Elle ajourne chaque mouvement qui a envie de se déployer. Elle doit dormir pour ne pas découvrir la vérité. Une vieille femme, celle avec laquelle elle vit et qu'elle appelle maman pour que ce soit vrai, lui a dit que, si un jour elle ne croyait plus au Père Noël, elle ne l'aimerait plus. Alors, elle ne doit pas savoir qui déposera le paquet au pied du sapin. Elle ne veut pas le savoir. Elle ne le saura jamais. Elle doit mimer l'ignorance. Et elle le fait si bien qu'elle s'en convainc. De cette foi dépend une foi bien plus sérieuse et essentielle : celle qu'elle dépose en cette vieille femme. Si celle-ci était convaincue de mensonge, alors la petite fille mourrait, car son existence ne tient qu'à la vérité de l'atroce grand-mère, qui prétend lui avoir donné la vie et avoir le droit de lui reprendre si elle cesse de croire en elle. "Tu existes parce que je crois en toi. Quand je ferme les yeux, tu n'es plus. Tu ne t'en rends pas compte, parce que tu dors, et parce que j'ouvre les yeux avant toi, chaque matin." La vieille dame lui a révélé ce secret et la petite fille vit dans la peur de regarder la sixième heure du jour la première.
Et c'est ainsi, très simplement, aussi simplement que s'écrivent les contes, que, d'une mère imaginaire, une enfant très peu persuadée de sa réalité est née.
Mon petit fantôme se donne du mal en pure perte. Je sais mieux qu'elle ce qui s'est réellement passé cette nuit-là et toutes les autres. Je sais bien que c'était la vieille dame qui avait besoin que l'on croie en elle pour être et non l'inverse ! Mais je la laisse encore jouer à être moi, quand je ne l'étais pas encore, simple émanation d'une pauvre femme.
Peut-être bien qu'un jour je ne lui ouvrirai pas la porte au petit fantôme et que je le laisserai se consumer dehors, comme la petite fille aux allumettes d'Andersen. J'en suis bien capable. J'ai déjà fait pire.
Alors, elle rejoindra un autre spectre, décharné, triste et grinçant. La vielle femme pourra reprendre son dû. S'apercevra-t-elle qu'elle a été dupée et que sa créature est devenue un être bel et bien réel, qui n'a plus besoin de faire semblant de croire pour mériter son existence ? Que fera-t-elle de la dépouille à laquelle elle donnera la main ? La mangera-t-elle pour s'apercevoir qu'elle est vide et sera-t-elle horrifiée quand elle comprendra que, malgré tout, son songe est devenu réalité et qu'il ne lui appartient plus, mais vit de la vie des plus que vivants ?

Nous avons adopté et habillé un arbre simple, plus dépouillé cette année, parce que, très certainement, cela correspond à une mue en moi, à un désir de laisser derrière certains vestiges qui avaient pris le poids de traditions. Le passé est peut-être simplement fait pour être sacrifié sur l'autel du futur. Et si on mettait un terme à sa rengaine et si nous décidions - quelqu'un me l'a soufflé, un encore jeune homme dangereux parce qu'aussi persuasif à mes yeux qu'un personnage barrien - qu'il n'y a aucune raison pour que demain ressemble à hier ?
On peut échouer toute sa vie et réussir au dernier jour. Quel beau cadeau, il m'a fait là en me révélant cette vérité-là !

Noël, de toute façon, est un jour ordinaire pour ceux qui souffrent. C'est un lieu commun dont je n'ai même envie de vous faire grâce. Je n'ai rien à écrire de plus que l'année dernière...
Mais hier matin, dans un élan de tendresse particulier, j'ai eu l'idée de fabriquer de très sobres décorations à l'effigie d'êtres très importants pour moi, qui constituent les branches les plus notables de ma propre famille imaginaire, ma seule famille, la seule qui devrait compter : Louis-Ferdinand Céline - qui, pour une fois, rit aux éclats,
James Matthew Barrie, vers la fin de sa vie car son regard n'en est que plus violent, et Paul Léautaud, arrogant, qui nous aguiche de sa plume fielleuse, sans oublier Cary Grant qui niche dans la verdure en compagnie, à jamais, d'Ingrid Bergman...





"Que des morts !" me ferez-vous remarquer. Oui, c'est bien ainsi qu'une part de moi pense à Noël et cela n'a rien de triste ou de lugubre. J'ai décidé que Noël devrait être la fête des morts plutôt que d'y consacrer un pouilleux jour de novembre, la fête de ceux que l'on a aimés et qui ne vivent plus qu'en nous, pour un petit moment encore.
Je devrais accrocher le portrait de mon amie Marie dans cet arbre également et celui de tant d'autres...
Dans le fond, je n'aime bien que les morts, parce que je n'ai pas assez de foi pour aimer les vivants et parce que les morts sont les seuls que j'ose regarder en face sans craindre qu'ils ne me volent mon reflet, celui que j'aime le moins.
Mais ceci peut encore changer.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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