vendredi 18 juin 2010
Nouvelle critique de Margaret Ogilvy dans le JDD.
{ Merci à mon ami Jean-Christophe de me l'avoir signalé.}
{ Merci à mon ami Jean-Christophe de me l'avoir signalé.}
Barrie à visage découvert
"Un artiste, pour créer de belles choses, ne doit rien y mettre de sa vie personnelle", écrivait Oscar Wilde avec toute l'ironie qui le caractérise. Cette maxime, que le dandy anglais n'a jamais appliqué, James Matthew Barrie (1860-1937), l'auteur de Peter Pan, aussi adulé Outre-Manche qu'il est méconnu en France, n'aurait pu la faire sienne tant son œuvre et sa vie s'entremêlent, se répondent, enjolivant l'une pour mieux servir l'autre.
Le Portrait de Margaret Ogilvy par son fils, réédité chez Actes Sud avec une nouvelle traduction signée Céline-Albin Faivre, est un roman du deuil et une clef pour comprendre l'œuvre du père dePeter Pan. Paru pour la première fois en 1896, ce court récit rend hommage à la mère de James M. Barrie, figure omniprésente de la vie de l'auteur, tout à la fois castratrice et source inépuisable d'inspiration, modèle pour ses personnages féminins.
En dix chapitres chronologiques, James Matthew Barrie, le petit homme qui "haïssait les mères" -au premier rang desquelles la sienne- rend hommage à la figure matriarcale, archétype de la matrone écossaise, mais règle tout autant ses comptes. Le ressenti de Barrie, de plus en plus camouflé au fil des pages, éclate dès les premières lignes du roman-récit de vie. Ironique et cynique, il fait part de sa jalousie envers six chaises, achetées le jour de sa naissance, ou une robe de baptême. Pénultième d'une longue fratrie de dix enfants, Barrie n'était pas le fils préféré, décédé à l'âge de douze ans, "là où tout s'arrête", là ou "ce qui advient n'a plus d'importance". Il n'aura de cesse, durant son enfance, de se faire aimer de sa mère, quitte à singer les attitudes du fils tant aimé et disparu, David, ou se parer de ses vêtements. Une blessure jamais refermée mais que Barrie cicatrisera tant bien que mal en jouant le fils aimant et prévenant, seule catharsis à son chagrin d'orgueil.
"C'est une besogne ennuyeuse, fatigante et difficile"
Il y a du Proust chez Barrie, ou du Barrie chez Proust. C'est aux choix, les deux écrivains ayant sévi simultanément. Et pas seulement parce que le petit Ecossais a du mal, parfois, à terminer ses phrases. Il y a chez Barrie, plutôt qu'une recherche, une nostalgie du temps perdu ou, pour le moins, une joie dans l'évocation d'un passé, forcément fulgurant, où l'enfance est toujours reine. "Elles sont également les années qui nous paraissent les plus vives lorsque nous nous retournons: plus elles sont lointaines, plus elles sont vives jusqu'à ce que, finalement, ce qui se tient entre le début et le terme se courbe, comme un cerceau, et que les extrêmes se rejoignent."
Est-ce à dire, comme on l'a souvent reproché à Proust, que Barrie est d'un ennui certain? Une question de point de vue sans doute, comme l'écrit lui-même l'auteur de ce Portrait de Margaret Ogilvy. "Une dévote, à qui quelque ami avait offert un de mes livres, à chaque fois qu'elle était interrogée sur l'avancement de sa lecture, avait coutume de répondre: 'Oh, c'est une besogne ennuyeuse, fatigante et difficile, mais j'ai été aux prises avec des tâches bien plus rudes dans mon existence et, s'il plaît à Dieu, je surmonterai aussi celle-ci'". Le style est classique, emprunt de maîtrise de la parabole et de la métaphore, le ton est à l'humour, distillé et discret.
Mais point de descriptions excessives de paysages dans ce livre comme dans d'autres du même auteur, "[sa] mère ne se souciait pas des descriptions de paysages". L'imagination du lecteur pour construire les images du roman est sollicitée par d'autres chemins, de traverses, et c'est une ambiance et une foule d'émotions restituées qui président, selon une métaphore cinématographique, à la réalisation du film mental, fait surtout de longs plans fixes ou de lents travelings. C'est le rythme du roman, celui des souvenirs qui lèchent le rivage de la mémoire à la faveur du flux et du reflux des sentiments. Ceux de Barrie pour une mère qui avait su diviser l'amour offert à ses enfants pour mieux régner sur sa famille, étaient intenses, aimants, étouffants et constitutifs de la destinée de l'auteur. C'est en tout cas ce qu'il veut nous faire croire. Un portrait de femme, de mère, qui laisse peu de place à un père traversant le livre comme un fantôme. De la même manière que"[sa] mère se promène à travers [ses] livres", l'on se promène, via ce portrait de Margaret Ogilvy, à travers l'œuvre de James Matthew Barrie qui dessine ici son propre portrait. Le portrait d'un fils par Margaret Ogilvy.
Portrait de Margaret Ogilvy par son fils, de James Matthew Barrie. Actes Sud. Collection Un endroit où aller. 189 p., 20 euros.
Jérôme Guillas - leJDD.fr
Jeudi 17 Juin 2010
Libellés :James Matthew Barrie,Margaret Ogilvy
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