mercredi 27 janvier 2010



The Ball Poem
[Hoagy Carmichael]



What is the boy now, who has lost his ball,

What, what is he to do? I saw it go

Merrily bouncing, down the street, and then

Merrily over — there, it is in the water!

No use to say 'O there are other balls':

An ultimate shaking grief fixes the boy

As he stands rigid, trembling, staring down

All his young days into the harbour where

His ball went. I would not intrude on him,

A dime, another ball, is worthless.  Now

He senses first responsibility

In a world of possessions.  People will take balls,

Balls will be lost always, little boy,

And no one buys a ball back.  Money is external.

He is learning, well behind his desperate eyes,

The epistemology of loss, how to stand up

Knowing what every man must one day know

And most know many days, how to stand up

And gradually light returns to the street

A whistle blows, the ball is out of sight,

Soon part of me will explore the deep and dark

Floor of the harbour. I am everywhere,

I suffer and move, my mind and my heart move

With all that move me, under the water

Or whistling, I am not a little boy.

John Berryman 

 (Cf. cette vidéo où l'on entend la voix du poète...)



Je ne traduis presque jamais de poésie. Dieu merci, Barrie n'en a point écrit (à parler strictement) ! Il faut un sens très particulier du rythme qui, très précisément, ne m'est pas naturel et forcer ainsi sa nature n'engendre jamais de très belles phrases. J'énonce ici une vérité personnelle comme si elle était purement objective. Mais n'agissons-nous pas toujours de la sorte lorsque nous voulons signifier par là que nous atteignons un fragment irréductible de nous-mêmes, tel qu'il en vient à désigner la part d'étranger en nous - à savoir une incapacité à se détacher d'un soi fini autant qu'un refus farouche de se lier à cette nécessité qui nous incarne dans une impuissance ? 
C'est pourquoi je ne traduirai pas ce beau et parfait poème que je dépose ici. D'ailleurs, traduire ou, pire, autopsier de la poésie est presque toujours, in fine,  une absurdité et un sévice que l'on fait subir aux mots.
Ce poème, simple et cruel, énonce la  fuite de la meilleure part de l'enfance.  La naissance au temps et la mort d'une illusion, celle de l'éternité. L'enfant est simultanément témoin et victime de cette métamorphose qui se produit en lui et qu'il ne peut arrêter. L'enfant découvre en perdant un objet très banal - un ballon - que rien n'est jamais acquis pour toujours et que l'on est même responsable de certains deuils. Grandir, c'est tenir juste un peu plus à ce que l'on perd qu'à ce que l'on possède au moment où on le possède  ; grandir, c'est découvrir le temps qui se taille une part de lion dans ce que l'on croyait être éternel ;  grandir, c'est révoquer le présent insaisissable et instable en faveur d'un passé  immuable  et solide dont on se croit encore propriétaire ; vieillir, c'est regretter ce que l'on a jadis possédé ; vieillir,  c'est oublier les leçons de l'enfance. Non, vieillir, c'est renoncer tout à fait à croire qu'un jour on a possédé quelque chose mais prétendre l'inverse.

[Jacques Henri Lartigue]

Imaginons, un instant, un autre enfant, frère d'ombre  plus âgé du premier,  qui a fait l'expérience de cette perte et à qui l’on vient d’offrir un livre. Un très beau livre, longtemps convoité et admiré derrière la vitrine d’une librairie, qui prenait et se nourrissait des reflets de son visage anxieux et amoureux de l’objet de papier, mais aussi des œillades neutres du roman (car les romans intéressent au plus haut point les enfants inquiets de leur devenir, les enfants qui ont découvert l'essence du temps), alors prisonnier de la cage du possible. Le livre en attente d’une naissance, par la lecture, et l’enfant qui danse d’un pied sur l’autre, qui hésite entre l’impossible deuil de l’objet et la possession qu’il sait – à un certain âge -  dangereuse et impuissante à le combler. 
Soudain, après un moment plus ou moins long de « désirance », le livre dé-magnifié se retrouve entre ses mains impatientes et délicates. L’objet a été rêvé, reconstruit, pièce par pièce, par les songes, par la faculté de rêver et par l’intellect de l’enfant ; il est  bel et bien là dans ses songes  de possession maîtrisée. Toucher le livre (le réel) lui brûle un peu les doigts ; il fait le deuil de l’attente, le petit goûteur des plaisirs différés, le deuil de cette attente qui était un plaisir sans cesse raccommodé, puisque le livre est maintenant à lui et pénètre son univers. Ce n’est plus le même livre. Il le regarde jusqu’à se pénétrer de ce violent trouble d’une perte d’identité de l’objet. Ce n'est plus lui qui entre dans l'objet mais l'objet qui se fraie un chemin en lui. Le centre de gravité du rêve s'est déplacé.
Du désir à l’objet, il n’existe plus entre les deux aucun espace de fuite ou de limites. Le désir meurt de la possession. L’objet trop longtemps désiré et sacralisé par l’attente perd sa qualité première qui le rendait si désirable, l’absence, la lointaine et inaccessible perfection d’être hors de son univers de perdition. L’objet était protégé de l’enfant par la vitre, par tous les obstacles qui se tenaient entre lui et lui. À l’infini, il pouvait se satisfaire de sa présence absente, sans abîmer le désir ou l’objet. Il était l'éternité. Il n'est plus que la promesse de la mort.
Le plaisir de la possession, pour l'enfant inquiet, se dégrade déjà dans l’angoisse de l’objet qui perd sa nouveauté, sa perfection annoncée d’objet non déchu par l’usage, abîmé par la possession précisément. L’objet abîmé qui sera fracturé par la durée, par la rencontre de l’objet avec les angles du réel, réel dont pourtant il fait partie mais que sa nouveauté (le cellophane, par exemple, qui l’enveloppe) protégeait jusques alors de la dégénérescence. L’objet, entre les mains de l’enfant, se met à vivre et, partant, à périr, peu à peu. Le livre va perdre de son lustre (la couverture se fane, des traces de doigts s’impriment sur le glacé magnifique de la couverture, des myriades de rayures le blessent de part en part), se corner légèrement et d’innombrables défauts le grugent peu à peu de sa beauté immaculé, et ce malgré les soins pris pour éviter cette déperdition de l’usure annoncée et déjà entamée. 
Plus les soins de conservation du mort-vivant sont précis et minutieux, plus l’objet est paradoxalement en péril. Plus l’enfant va astiquer la couverture pour faire disparaître - ou atténuer, car déjà il sait que le livre est irrémédiablement perdu à la perfection première qui était supposée être la sienne - les rayures, plus l’objet risque d’être davantage abîmé. Et ce qui devait arriver arriva : il frotte la couverture un peu trop fort et elle se déchire ; à vouloir lire chaque page sans casser la tranche, une page se décolle… L’objet est irrémédiablement atteint par cette perte que l’on voulait lui épargner. Ce paradoxe cruel que l’enfant  dépucelé de la temporalité ne doit qu’à lui-même peut être qualifié d’ironique ou de tragique, selon que l’on pense sa situation de l’extérieur ou d’un point de vue proche de son intériorité. Notre vie ressemble au rapport de cet enfant  au livre ou au ballon. Certaines vies, en tout cas. Les vies auxquelles il ne manque rien de triste ou de grand, pas même la conscience du temps.
Ce rapport d’amour-haine, qui vacille du contraire en son contraire, du tout vers le rien ou vice-versa, est la caractéristique de celui qui tue ce qu’il ne peut simplement aimer comme mortel. Par excès d’amour, il fait preuve d’un défaut d’amour. À force de gratter la petite saleté ou imperfection, à peine visible à l’œil nu, qui souillait le livre, un trou grossier et horrible est fait sur la couverture. Pour éviter un infime défaut, l’objet est comme mis à mort, puisqu’il ne pourra qu’engendrer le dégoût de l’enfant dès à présent, dégoût de l’objet mais surtout de sa propre conduite qui a donné naissance à cette saloperie, qui a porté atteinte  à la beauté de l’objet en désirant lui ôter tout contact avec une laideur possible, avec un infime et nécessaire degré de corruption, qui est contenu en tout être et tout objet. Refus du temps, refus de la mort.
Au fond, c’est un fantasme de pureté qui agite la conscience de cet enfant qui ne veut pas perdre, qui ne peut se résoudre au mélange de sa nécessité intérieure avec le possible extérieur, le mixte de ce qu’il maîtrise ou croit maîtriser et de ce qui advient hors de lui mais peut l’atteindre. Il désire à travers l’objet l’impossible : l’éternité ou un état de fixité des possibles ; il désire avoir moyen de pouvoir revenir sur ses choix, à l’infini, sans jamais faire le deuil de ce qu’il n’a pas élu. L’autre nom de l’éternité, c’est la volonté de pouvoir recommencer à satiété, jusqu’à atteindre la perfection d’une action, à une forme de complétude.
Pourtant, il n'y a aucun autre choix possible. Il faut aimer la peur, la peur du vide, pour oublier la peur, pour ignorer la peur de la mort.
Pour vivre. Pour perdre. Pour vivre.







****
Billet rédigé rapidement en écoutant ce disque :

Je profite de ces quelques mots pour présenter mes excuses à mes "lecteurs" : dernièrement, j'ai été malade et j'ai pris beaucoup de retard dans mes réponses, tant aux courriels reçus qu'aux commentaires divers. Je me requinque un peu et je reviens vers vous. Merci de votre patience et de votre bienveillance.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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