jeudi 20 mars 2014
Fragment (mis à la poubelle) d'un texte écrit pour la présentation de l'adaptation du Petit Oiseau blanc au Théâtre 13, à Paris, le 10 avril, à 15h.
Cher Jamie… Mon cher James…
Pardonnez-moi de vous réveiller… (Un temps.) Pardonnez-nous de venir fouiller cette Morgue, ces Limbes, ces blancs du texte… Là où vous avez rangé tous vos remords et nos regrets, tous les glorieux personnages que nous aurions pu être si… Tous les personnages auxquels vous n’avez pas trouvé de rôles, sans pouvoir vous résigner à les supprimer… Toutes ces peaux qui auraient pu être la vôtre… Ces Ombres adorées qui se détachaient de vous, sans cesse… et tombaient en gerbe comme des larmes…
Voilà près de dix ans que je vous ai rencontré à la faveur d’un délicieux hasard. Mais il n’est pas de hasard pour celui qui écrit de solides histoires, n’est-ce pas ? Je ne sais lequel de nous deux a rêvé de l’autre le plus fort, mais nous nous sommes finalement rencontrés, jouant tous les deux les funambules sur la ligne du temps – celle qui transperce les âmes des vivants et des morts ! Je suis née trente-sept ans après votre mort, mais j’ose croire que j’ai simplement chu de l’un de vos rêves. Je suis une modeste rognure de songe, tout juste utile à donner, ici et là, un peu d’écho français à votre écossaise voix. (Soupir.) Ailleurs, vous dites qu’il n’est JAMAIS de seconde chance dans l’existence. Pourtant, vous m’en avez offert une et il me semble que vous n’avez cessé de donner des secondes chances, saisies ou non au vol, à vos personnages, rétablissant ainsi, dans la fiction, les droits et les devoirs d’une justice terrestre un peu défaillante… Comme si les Limbes de la fiction étaient la patrie de tous les exilés de l’Enfance, de tous les blessés de la Mère ! Comme si chaque homme ou femme qui pleure nourrissait de ses larmes le glorieux enfant du Jadis. Vous ne tirez de nous que de nobles larmes. Dois-je le préciser ? (Un temps.) À cela, on reconnaît l’écrivain de génie : lorsqu’il se prend un peu pour une petite main de Dieu. Vous avez appris à ceux qui vous aiment assez pour le comprendre que les enfants sont les porteurs de songes de l’humanité et que, réels ou rêvés, la royauté est à eux – sans partage ! Ils éclairent notre légende d’êtres faits ; et l’homme, à la fin, tient plus aux mythes qu’au pain. Il revient chercher, en arrière, l’enfant qu’il a laissé sur le bord des vertes années, sur la frange qui sépare le Jamais Plus du Jamais. L’enfant qu’il fut, l’enfant dont il rêva et qu’il n’eut pas – c’est-à-dire tous les possibles manqués, faute de seconde chance. La porte qui mène au Jardin est fermé à double tour, les barreaux sont mis à la fenêtre. Mais il nous reste des histoires… À foison !
Peter Pan ne retrouvera jamais sa mère et nous pouvons, de notre côté, dire adieu à nos secrets espoirs, à la gloire d’être aimé sans condition… Vous dites votre secret et nous jouons en tremblant Le Petit Oiseau blanc, tout en feignant de croire qu’il ne s’agit, au fond, que de Peter Pan… alors que tout ne parle que de vous… (Rageuse.) Et donc de NOUS !
J’ai fait un rêve l’autre jour : il y avait là, devant moi, une brochette de petits orphelins fort mignons, très propres, la langue pendante comme des chiots quémandant le jeu, qui attendaient en file indienne, donnant presque l’impression de communiants prêts à recevoir l’hostie. Tout à coup, comme si ces Enfants Perdus répondaient à un signal d’eux seuls entendu, ils se mirent en grappe autour d’un petit homme qui venait d’arriver (il vous ressemblait trop pour n’être pas vous ou l’une de vos ombres) et tous ensemble ils le frôlèrent, d’abord des yeux, puis de la main, avec de plus en plus d’insistance, comme s’ils le suppliaient du bout de l’âme, chacun en silence, en imitant les gestes de son plus proche voisin, et cachant cette muette prière personnelle dans la reproduction du geste commun. Ils avaient tous faim de cet homme. Une faim de loup cachée dans leur allure mignonne de petits agneaux. Vous ne sembliez pas effrayé ni même gêné par ces petits cannibales. Vous donniez plutôt l’impression de faire votre choix, de prendre tout votre temps, pour ne pas vous tromper, dans un souci d’équité. Les écrivains sont des êtres compliqués. Comme les mères, ils ont une bombe dans le ventre et toujours, à la fin, les mains tachées de sang et d’encre. Finalement, vous avez pris la main de l’un des enfants, un petit garçon qui avait de la terre sous les ongles parce qu’il venait d’enterrer quelqu’un, et êtes reparti avec lui, en baissant les yeux. La joie coupable, probablement. Les autres, d’avance résignés, vous ont laissé passer sans un mot ni un mouvement de protestation. Ils ont l’habitude. Ils savent que vous finissez toujours par choisir Peter Pan. Mais je ne m’y trompe pas : en le choisissant, c’est nous que vous choisissez à chaque fois…
Veuillez croire, mon cher James…
Cher Jamie… Mon cher James…
Pardonnez-moi de vous réveiller… (Un temps.) Pardonnez-nous de venir fouiller cette Morgue, ces Limbes, ces blancs du texte… Là où vous avez rangé tous vos remords et nos regrets, tous les glorieux personnages que nous aurions pu être si… Tous les personnages auxquels vous n’avez pas trouvé de rôles, sans pouvoir vous résigner à les supprimer… Toutes ces peaux qui auraient pu être la vôtre… Ces Ombres adorées qui se détachaient de vous, sans cesse… et tombaient en gerbe comme des larmes…
Voilà près de dix ans que je vous ai rencontré à la faveur d’un délicieux hasard. Mais il n’est pas de hasard pour celui qui écrit de solides histoires, n’est-ce pas ? Je ne sais lequel de nous deux a rêvé de l’autre le plus fort, mais nous nous sommes finalement rencontrés, jouant tous les deux les funambules sur la ligne du temps – celle qui transperce les âmes des vivants et des morts ! Je suis née trente-sept ans après votre mort, mais j’ose croire que j’ai simplement chu de l’un de vos rêves. Je suis une modeste rognure de songe, tout juste utile à donner, ici et là, un peu d’écho français à votre écossaise voix. (Soupir.) Ailleurs, vous dites qu’il n’est JAMAIS de seconde chance dans l’existence. Pourtant, vous m’en avez offert une et il me semble que vous n’avez cessé de donner des secondes chances, saisies ou non au vol, à vos personnages, rétablissant ainsi, dans la fiction, les droits et les devoirs d’une justice terrestre un peu défaillante… Comme si les Limbes de la fiction étaient la patrie de tous les exilés de l’Enfance, de tous les blessés de la Mère ! Comme si chaque homme ou femme qui pleure nourrissait de ses larmes le glorieux enfant du Jadis. Vous ne tirez de nous que de nobles larmes. Dois-je le préciser ? (Un temps.) À cela, on reconnaît l’écrivain de génie : lorsqu’il se prend un peu pour une petite main de Dieu. Vous avez appris à ceux qui vous aiment assez pour le comprendre que les enfants sont les porteurs de songes de l’humanité et que, réels ou rêvés, la royauté est à eux – sans partage ! Ils éclairent notre légende d’êtres faits ; et l’homme, à la fin, tient plus aux mythes qu’au pain. Il revient chercher, en arrière, l’enfant qu’il a laissé sur le bord des vertes années, sur la frange qui sépare le Jamais Plus du Jamais. L’enfant qu’il fut, l’enfant dont il rêva et qu’il n’eut pas – c’est-à-dire tous les possibles manqués, faute de seconde chance. La porte qui mène au Jardin est fermé à double tour, les barreaux sont mis à la fenêtre. Mais il nous reste des histoires… À foison !
Peter Pan ne retrouvera jamais sa mère et nous pouvons, de notre côté, dire adieu à nos secrets espoirs, à la gloire d’être aimé sans condition… Vous dites votre secret et nous jouons en tremblant Le Petit Oiseau blanc, tout en feignant de croire qu’il ne s’agit, au fond, que de Peter Pan… alors que tout ne parle que de vous… (Rageuse.) Et donc de NOUS !
J’ai fait un rêve l’autre jour : il y avait là, devant moi, une brochette de petits orphelins fort mignons, très propres, la langue pendante comme des chiots quémandant le jeu, qui attendaient en file indienne, donnant presque l’impression de communiants prêts à recevoir l’hostie. Tout à coup, comme si ces Enfants Perdus répondaient à un signal d’eux seuls entendu, ils se mirent en grappe autour d’un petit homme qui venait d’arriver (il vous ressemblait trop pour n’être pas vous ou l’une de vos ombres) et tous ensemble ils le frôlèrent, d’abord des yeux, puis de la main, avec de plus en plus d’insistance, comme s’ils le suppliaient du bout de l’âme, chacun en silence, en imitant les gestes de son plus proche voisin, et cachant cette muette prière personnelle dans la reproduction du geste commun. Ils avaient tous faim de cet homme. Une faim de loup cachée dans leur allure mignonne de petits agneaux. Vous ne sembliez pas effrayé ni même gêné par ces petits cannibales. Vous donniez plutôt l’impression de faire votre choix, de prendre tout votre temps, pour ne pas vous tromper, dans un souci d’équité. Les écrivains sont des êtres compliqués. Comme les mères, ils ont une bombe dans le ventre et toujours, à la fin, les mains tachées de sang et d’encre. Finalement, vous avez pris la main de l’un des enfants, un petit garçon qui avait de la terre sous les ongles parce qu’il venait d’enterrer quelqu’un, et êtes reparti avec lui, en baissant les yeux. La joie coupable, probablement. Les autres, d’avance résignés, vous ont laissé passer sans un mot ni un mouvement de protestation. Ils ont l’habitude. Ils savent que vous finissez toujours par choisir Peter Pan. Mais je ne m’y trompe pas : en le choisissant, c’est nous que vous choisissez à chaque fois…
Veuillez croire, mon cher James…
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