jeudi 6 avril 2017




La maison est calme. Je demeure un peu flottante, passant d'un vague à l'âme à l'autre, voyageant de la lune à la terre, sans parvenir à faire ancre d'une émotion. Je joue au fantôme avec mes souvenirs, me glissant en eux pour en ressentir la solidité et la vérité. La mort, c'est donc cela et rien d'autre. Une absence en guise d'éternel. Le froid, le muet et le vide à jamais. Je reviens au réel courant et coulant, ici ou ailleurs, entre des pages à carreaux ou face à des écrans qui ouvrent des fenêtres avec vue sur un même néant. Les mots galopent et laissent des traces qui ne valent peut-être guère mieux que le cadavre sec et raide qui a été glissé dans un frigo par des mains inconnues. Ce matin, elle est morte, dans son sommeil. Je redoutais qu’elle ne mourût pendant l’un de nos voyages (bien que nous ayons éconduit , lors des derniers mois, diverses tentations de promener notre chagrin) ; mais le pire eût été d’être contrainte de l’emmener chercher la mort, prétendue douce, chez le vétérinaire. Nous savions tous qu’il nous restait peu de temps. Depuis novembre, nous étions si bien préparés à ce moment que j’avais fini par le guetter d’heure en heure dans chaque décrochage de sa respiration. Hier, elle ne pesait plus que le poids d’un chaton. Elle avait fondu, jour après jour, s'allégeant de ce réel de pierre et sculptant sa silhouette d'ange. Le vétérinaire nous avait assurés qu’elle ne souffrait pas et qu’il n’y avait rien à faire pour le moment, sinon lui offrir notre affection et attendre un éventuel signe de détresse respiratoire pour devancer de quelques jours l'inéluctable. Voilà donc encore un témoin de ma jeunesse qui disparaît. Hitchcock était entrée dans notre vie en 2002 : quelqu’un avait sonné, un dimanche après-midi, et nous l'avions trouvée agonisante sur le perron. Cet animal blessé par une voiture avait été déposé devant notre porte, peut-être parce qu’il y avait une plaque de médecin apposée sur la maison. Ses légitimes propriétaires (nous l’apprendrions plus tard) ne voulaient pas débourser un centime chez le vétérinaire pour lui sauver la vie. Le vétérinaire de garde l’avait opérée, ne nous promettant rien. La chatte attendait des petits, qui ont péri. Mais Tina (c’était son nom alors) avait survécu et nous l’avions adoptée sans réfléchir. Une de plus ou de moins, cela passait inaperçu au sein de notre arche de Noé… Notre vétérinaire avait alors estimé son âge à 3 ans. C’était en 2002. Elle avait conservé une méfiance et un ressentiment certains à l’égard des hommes et ne manifestait sa tendresse qu’avec parcimonie, demeurant toujours sur la défensive et ne s'abandonnant, semblait-il, qu'à regret aux caresses. Toutefois, lors de ses six derniers mois sur terre, son caractère avait diamétralement changé : elle passait ses journées sur mes genoux, dans mon bureau. J’ai eu mille fois la chance de lui dire au revoir et le temps de me préparer à sa perte. Je suis reconnaissance pour ces ultimes moments. Ce matin, notre fille a demandé à voir Hitchcock une dernière fois pour l'embrasser. Nous y avons consenti. Elle m'a déclaré que cela lui avait fait du bien et qu'il n'y avait rien à cacher, parce que tout le monde doit mourir un jour. Elle a raison. Elle a 6 ans et c'est une enfant très particulière... Je crois aussi qu'édulcorer la réalité est plus effrayant pour les enfants, car ils devinent le mensonge au malaise qu'il sécrète tout autour de lui. En voulant protéger un enfant, on peut causer un traumatisme plus grand. A. est très philosophe dans son appréhension et sa compréhension de l'univers. La plupart des enfants le sont, mais elle l'est d'une manière si belle qu’elle apaise les êtres. A. ressemble à son père. Hitchock est partie. Elle sera incinérée et ses cendres me seront rendues dans un petit coeur en bois. Il rejoindra les autres, sur la cheminée de mon bureau. Les âmes défuntes ne me font pas peur. 

Les roses du Pays d'Hiver

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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