Plaisantons un peu ! J'aime les dictionnaires et je le prouve. Fiction pure. Vieux texte, écrit lorsque j'étais petite. Tellement plus petite. J'étais déjà un peu cynique il y treize ans. J'ai même laissé les fautes. J'étais vieille à huit ans, de toute façon. Ne croyez pas que je me livre. Je suis une tricheuse.

Elle râlait, inhumaine. Elle râlait, mais cette fois ce n'était plus du dépit, de la lassitude ou de la colère. Je me faisais à l'idée de sa mort. Curieuse, j'étais pressée de savoir ce que cela faisait. Bien sûr, avant il y avait eu le grand-père, mais ce n'était pas pareil : lui, je ne l'aimais pas, pas vraiment…

Ses doigts étaient devenus blancs, lisses et brillants, comme s'ils étaient vitrifiés. Ils n’étaient pas maigres, mais ils avaient tant rétréci qu'ils semblaient maintenant appartenir à ceux d'une enfant. Ils n'avaient rien perdu de leur éclat originel, mais l'on sentait bien qu'ils s'enfonçaient désormais dans une autre vie. Je n'ai commencé à accepter ce dénouement que depuis quelques jours, lorsque je les ai surpris, par hasard, dans leurs vains efforts pour manier le gant de toilette. Ses petits doigts glissaient sur les choses sans parvenir à les agripper ; on eût dit qu'ils évoluaient dans un rêve, qu'ils affleuraient une matière impalpable. Mais peut-être était-ce simplement moi qui étais de trop dans cet univers qui m'était imperceptible et dans lequel elle s'enfonçait chaque jour davantage. Comment aurais-je encore pu communiquer avec cette bouche qui s'était asséchée et s'était pétrifiée dans un rictus triste et imbécile, comment aurais-je encore trouvé la force d'aimer et de maintenir ce corps qui me rejetait ? J’étais désormais le greffon incompatible. J’étais l'élément extérieur qu'il fallait combattre, éliminer ; j’étais le dernier rempart contre ce monde où les doigts ripaient sur les choses, où les corps n'avaient nul besoin de se nourrir et où la seule exigence était le sommeil sans rêves, sans trêve.

C'est à ce moment que je l'ai abandonnée à son sort.

Chaque fois que l'air entre dans ses poumons, sa carcasse fait davantage corps avec le matelas. Et puis il y a ce soupir qui grésille comme du beurre dans une poêle chaude, qui n'en finit pas, qui n'attend pas une nouvelle inspiration pour gonfler son vrombissement. Elle n'est plus rien d'autre que ce ronflement de chaudière en panne qui exaspère. Le râle exhalé par une bouche entrouverte laisse apercevoir une langue écorchée et pelée. Par endroits la peau se détache et on dirait de fines écorces d'oranges déshydratées ; un reste coagulé de médicament colore les parties sèches d'une plaie à vif. Les yeux sont immobiles, sans doute aveugles à tout ce qui entoure la momie. Le corps est tranquille, disloqué et mou comme celui d'une poupée de cire fondue. Je lui parle. Toujours, ce râle insupportable, une plainte intérieure, des pleurs sourds. Je hurle de nouveau. La respiration de l'agonie me vole la vedette. L'Ulysse de banlieue nous chuchote ce que nous avons toutes deviné, sauf la noire qui croit encore aux prédictions de Didier Derlich - qui prévoit une bonne année pour les natifs du signe du poisson- , à savoir qu'il ne nous reste plus qu'à attendre qu'elle se lasse, que le corps rende l'âme à qui il doit des comptes, si évidemment un tel caissier existe. Il explique que l'agonie peut durer des heures, voire des jours, et nous demande si l'on veut qu'on l'aide à sauter de l'autre côté. Une petite piqûre pour lui faire la courte échelle, c'est si simple. Nous serions bêtes de résister à la tentation. Je suis la première à accepter, parce qu'elle gueule vraiment trop fort, et tout est terminé rapidement. Impossible de dire quand précisément elle est passée d'un état à un autre. La mort, c'est bizarre, surtout quand on l'attend chez les autres : elle arrive même à surprendre les plus avertis, par sa discrétion ou par sa soudaineté. Elle vous entortille, elle vous embobine et le temps de réagir que c'est déjà trop tard. C'est ce qui s'est passé avec la grand-mère : je n'y ai vu que du feu. Elle est partie sans crier garde. Et après ? J'étais soulagée et idiote, pas plus dégourdie que la première fois, quand c'était le grand-père qui nous avait faussé compagnie. J'ai pleuré évidemment, pour la forme, car je ne savais pas quoi faire d'autre de mon être qui me paraissait indécent en face d'elle. La parisienne ne souciait plus que d'une chose : la propreté de la grand-mère. A vrai dire, je préférais les obsessions de sa mère, c'était moins répétitif. On l'a habillée avec sa seule jolie robe, une robe d'été rouge qui ne convenait pas vraiment avec le temps de ce samedi 27 mars, mais ce genre de détail n'avait plus d'importance, des bas beiges (à varices) et des chaussures d'été, celles qui lui faisaient le moins mal aux pieds. La noire s'enquit du bien-être de la grand-mère (avec un peu de retard me semble-t-il) : « Elle … elle… ne va pas avoir froid habillée comme ça ? » Je l'aurais giflée vingt fois de suite pour qu'elle eût une bonne raison de pleurnicher. Son masque pâteux dégoulinait le long de l'arête du nez, la coulée de mascara et de fards s'épuisait dans le petit creux au-dessus des lèvres, que la graisse du rouge à babines lui faisaient épaisses, et poursuivait avec lassitude sa course le long du cou avant de se fondre dans un pull de velours noir râpé. Je n'avais jamais vu un clown pleurer avant ce jour. Pourquoi n'était-ce pas elle qui était allongée, là, à la place de la seule mère que l'on m'eût jamais donnée ? La parisienne n'a pas perdu son temps en jérémiades - ce serait pour plus tard, lorsqu'elle s'offrirait un séjour en psychiatrie - et lui a bourré le slip de coton pour éviter les fuites : les morts, tout le monde sait cela, n'ont plus la politesse de la retenue. Le seul ennui, à présent, c'était la bouche qui ne voulait pas se fermer et les fausses dents qui avaient envie de prendre l'air. J'eus l'idée de lui caler la bouche avec mon gros Gaffiot déposé en dessous du menton. Personne n'émit d'objections. Je prouvais hardiment, bien que tardivement, à la noire, et a posteriori, l'utilité de l'étude des langues anciennes, tout ceci d'une manière qui n'était pas pour me déplaire. Et Dieu sait qu’elle avait tout fait pour me mettre des bâtons dans les roues afin que je n’apprisse ni le Grec ni le Latin : « J’paierai pas les livres, ni les suppléments. Tu coûtes déjà assez chère. Des langues mortes pour quoi faire ? T’as quand même pas la prétention de faire des études. C’est pas moi qui paierai. C’est pas une pauv’e mère célibataire comme moi qui ouvrira la bourse parce que mademoiselle a des goûts de luxe. J’t’en fouterais du Grec et du Latin ! T’es pas une gosse de riche !». On rabattit le drap sur la tête de Maman. Rideau ! Personne n'applaudit et je ne m'écrie pas « bis ». Résignée, je sens que tout cela est nécessaire à ma venue au monde : une vie contre une autre ; le receveur des cieux est expert en soustraction : il ne fait jamais de cadeaux.

Tu es morte comme tu as survécu : en colère et échevelée.

Je suis hypnotisée par l'art de Bouguereau (1825-1905). Dommage qu'on l'ait tant oublié. Qu'il peigne des anges, Psyché ou l'Amour, ou des scènes plus réalistes, il y a dans son trait et dans sa peinture quelque chose de pronfondément sincère et surtout une force presque tangible. Pourtant, je ne perce pas son mystère, ignorante que je suis de l'histoire de l'art et des techniques de la peinture. Je suis aspirée par cette beauté qui fracasse mon humeur noire. C'est tout. C'est rien. C'est l'émotion brute.

Je me suis retrouvée le regard figé devant cette toile que l'on prendrait pour une photographie ou, mieux encore, pour une personne plantée devant soi, tant le portrait est parlant. Je suis envoûtée par le portrait de Gabrielle Cot, la fille d'un des élèves les plus célèbres de Bouguereau, Pierre Auguste Cot. 
Je suis comme ces enfants, qui contemplent un tableau de Bouguereau : ébahie et impuissante à dire ce qui me touche.
" (Les hommes) ont besoin de la tragédie, que voulez-vous, c'est leur petite transcendance, c'est leur apéritif."
Camus, la Chute, p. 42.

J'ai une passion pour les encyclopédies et les dictionnaires. Cela remonte à une dizaine d'années, lorsqu'on m'offrit le Littré. Emile est devenu mon pote en cinq secs. Depu
is ce jour, je n'ai cessé d'envier le savoir que ces gros livres contenaient. Je pense également que les enfants privés de savoir, comme je le fus, sont avides par la suite de ce qui leur a manqué le plus. Me punir était simple, lorsque j'étais enfant : m'empêcher de faire mes devoirs et d'aller à la bibliothèque municipale. Méthode éducative paradoxale s'il en est... J'en possède beaucoup et en use chaque jour. Version papier et CD-rom. Version papier pour le plaisir tactile de la caresse et pour donner pitance à me bibliothèques. Version électronique afin de rechercher mille liens. Recensement de ma bibliothèque électronique : L'Encyclopaedia universalis : la meilleure, cousine de l'Encyclopaedia Britannica (je me l'offrirai un jour), dont le seul défaut est la persistance, d'années en années, de versions en versions, de défauts à l'installation (et un service technique ignare). L'Encyclopédie Encarta : plus accessible que la précédente, moins spécialisée, mais elle la complète parfaitement en s'intéressant à des sujets plus prosaïques. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert : une merveille, un puits sans fond dont je ne suis jamais remontée. Le Grand Atelier de la langue française : 15 dictionnaires, dont Le Littré et le Dictionnaire philosophique de Voltaire, ainsi que certaines curiosités. Le dictionnaire de l'Académie française, qui fait partie du précédent, mais qui, dans cette édition-ci, solitaire, fait montre de son évolution au cours des temps. Le Dictionnaire Anglais-Français et réciproquement, Collins : un peu sommaire, mais utile néanmoins. L'Oxford Superlex : meilleur, bien évidemment, que le précédent, qui comporte en sus de l'Anglais, l'Allemand et l'Espagnol. Le dictionnaire Oxford est une référence. Le Dictionnaire Pierre Larousse du XIXe siècle : à mi-chemin entre le dictionnaire et l'encyclopédie ; articles fort inspirés. Le seul reproche est la présentation en mode image et non en mode texte. Il s'agit de "scans" du dictionnaire. Procédé très étonnant. Le trésor de la langue française informatisé : on le trouve en ligne, gratuitement. Il est la base de travail de tous les dictionnaires français actuels. Excellent outil. Le dictionnaire Larousse : une suite, qui comporte une encyclopédie (peu développée mais précise), un outil de conjugaison, et le dictionnaire Anglais-Français et vice-versa Chambers. Le Grand Robert de la langue française : je viens de l'installer et la citation mise en exergue est tirée de ses entrailles. Son principal atout est la base de citations et la recherche que l'on peut effectuer sur ce fond. Liens : http://www.dictionnaire-france.com/ http://www.britannica.com/ http://www.oup.co.uk/ep/prodsupp/ref/obilingd/ http://www.universalis.fr/ http://fr.encarta.msn.com/artcenter_/browse.html Je rêve d'un dictionnaire Latin et Grec.
jeudi 12 janvier 2006
Poursuivons un instant l'effeuillage de ma petite étude sur ce sujet hautement divertissant...
«Je sais tout
Hercule Poirot est comme Œdipe[1] : il sait. Mieux - ou pire [2] : lui, il sait tout (« Moi, je sais tout : n’oubliez pas cela. »[3]) En effet, Œdipe ne sait que ce qu’il y a de plus malicieux à découvrir – et paradoxalement, le plus difficile à savoir ou à deviner – et pas le plus évident. « II y a sur la terre un être vivant qui a quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir. Seul de tous les êtres, il peut changer de forme, et c'est quand il a le plus de jambes qu'il va le moins vite. » Cet être, c'est l'homme : enfant, il se meut à quatre pattes, et c'est alors que sa marche est la plus lente ; dans sa vieillesse, il a un bâton qui est sa troisième jambe, et il ne va plus très vite. Œdipe devina sans peine ce rébus enfantin, et aussitôt le monstre, de désespoir ou de dépit, se précipita du haut de l'Acropole et disparut. De cette capacité à résoudre la devinette de la sphinge et de cette impuissance à comprendre la subtilité ou l’ambiguïté de l’oracle, une question ne peut pas ne pas naître quant à l’intelligence d’Œdipe : quelle est la nature de son savoir ? Deviner et savoir ne sont pas une seule et même chose, de même que la maîtrise de la logique, d’une part, et la finesse ou la clairvoyance, de l’autre, ne sont pas toujours compagnes. Nous serions tentés de dire que le héros grec est plus rusé qu’intelligent. Que manque-t-il à la ruse pour être intelligence ? Et pourquoi ne serait-ce pas l’intelligence qui serait en défaut ? Nous avons écrit « malicieux » plus haut non sans en mesurer les conséquences : la malice n’est jamais sans une certaine dose de méchanceté. L’intelligence pure, mathématique ou logique, appliquée ou non au réel est indifférente, nulle, ni bonne ni mauvaise, ni belle ni laide. La ruse implique toujours une manière de penser détournée de son usage ordinaire, ce qui est aussi une manière de surprendre son interlocuteur et de le prendre en traître. Œdipe devine cette ruse dans la question de la Sphinx et pour être en mesure d’éviter son piège, il faut qu’il soit lui aussi plein de malice. La ruse est plus que la logique, qui n’invente rien, alors que la première est créative.
On pourrait se demander alors pourquoi Œdipe ne comprend pas l’ambiguïté des paroles de l’oracle, puisqu’il est si malin. Plusieurs raisons possibles à cette défaillance : 1) Œdipe peut ne pas vouloir voir (comprendre) [4] ce que veut lui montrer l’oracle, a) soit par défi, car il a une haute image de lui-même et se croit plus fort que la prédiction, b) soit parce que cette perception du vrai impliquerait un renoncement à ses parents adoptifs et qu’il refuse ce deuil symbolique, soit encore c) qu’Œdipe ait la conscience diffuse du désir qu’il a de sa mère (adoptive) et de l’idée fugitive et irréelle (fantasme) de tuer son père. 2) Œdipe peut tout simplement ne pas croire en la prophétie, a) soit qu’elle lui semble absurde, d’un point de vue logique b) soit qu’elle lui apparaisse comme incroyable à cause de quelque chose qu’il sait ou croit savoir sur lui-même, son caractère, ses sentiments pour une autre personne et que nous ignorons, etc., soit c) parce qu’il ne veut pas croire (pour les raisons exposées en 1). 3) Œdipe peut croire trop fort aux paroles de l’oracle et la peur s’emparer de lui si bien qu’il en oublie, involontairement ou inconsciemment, une part du réel possible masquée par ses désirs.
L’attitude d’Œdipe qui fuit son pays natal et ses parents adoptifs nous contraint à penser qu’il croit aux paroles de l’oracle et qu’il s’attache à leur sens le plus immédiat et premier, du point de vue de sa personne.
La meilleure façon d’éviter son destin aurait été de ne pas se marier et ne pas tuer ; seul un homme modeste et absolument suspicieux pouvait éviter ce destin-là. Or, Œdipe fait encore trop confiance à son jugement (ou à ses désirs) et surtout au réel, sur lequel on ne peut pas compter, ainsi que le répète à l’envi Jaspers. Œdipe souffre à cause d’un déficit de logique…
Nous ne nous aventurerons pas à décider fermement si Poirot bluffe et prêche le faux pour savoir le vrai [5], sondant au hasard les âmes de ceux qu’il met mal à l’aise par son assurance – puisque bien sûr tout le monde à quelque chose à cacher, des détails qui n’ont pas nécessairement à voir avec son enquête, et il ne peut donc se tromper en affirmant qu’on ne lui dit pas la vérité [6]- ou s’il détient ce qu’il prétend. La morgue du personnage n’a d’égal que celle de l’infortuné roi de Thèbes. Tout n’est certainement pas tout, même s’il est mieux que rien. Une déclaration du Docteur Sheppard est instructive pour la suite : « (…) les médecins ne savent-ils pas tout ? Seulement voilà, ils savent aussi se taire… »[7] Nous avons donc affaire à deux hommes qui savent tout. Mais qu’est-ce que ce « tout » ?
Ce savoir, en ce qui concerne, Poirot semble un peu forcé : «N’est-ce pas mon métier d’avoir raison ?» [8] On pourrait dire une chose semblable du philosophe…
[1] Etymologiquement : il n’a pas seulement les pieds enflés, il est celui qui sait (oida).
[2]Qui sait si le savoir n’est pas une malédiction ? L’histoire de la pomme, d’Adam et de Eve peut le laisser croire.
[3] Le meurtre de Roger Ackroyd, Ed. Le livre de poche, trad. de Françoise Jamoul, Paris, 2000, p. 202
[4] Qu’il ne comprenne pas l’astuce de l’oracle alors qu’il a résolu l’énigme du Sphinx semble invraisemblable pour des raisons d’intelligence. Il s’agit plutôt d’une paralysie de la pensée.
[5] Quelle ironie que le faux puisse servir le vrai !
[6] Sûrement ne lui ment-on pas toujours, mais la vérité n’est pas toujours toute la vérité et rien que la vérité. Et hors de ces restrictions, est-elle encore vérité ? Le fragment (de vrai) existe-t-il comme tel hors du tout, parfois même s’opposant à lui ? [7] Ibidem, p. 14. [8] Ibidem, p. 159.
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Oracles

Le meurtrier « invisible » de Rideau (ou Poirot quitte la scène*) suggère les crimes à ceux qui ne les commettraient pas son « aide ». De même, pourrait-on dire que les oracles agissent à l’encontre de ceux qui viennent les consulter. Peut-être ne réaliseraient-ils pas ce qu’on leur affirme être nécessaire sans la conviction que l’on place en eux. Dans quel but ? Pour punir leur curiosité ? S’est-on jamais demandé pourquoi les oracles parlent double et pourquoi les pauvres malheureux qui les questionnent interprètent de travers, pour leur plus grand dommage ? Racine se demandait : « Un oracle dit-il tout ce qu’il semble dire ? » Pourtant la parole est infaillible. Mais peut-être y a-t-il mille interprétations possibles dont le réel n’en retient qu’une : l’oracle dit tout et le contraire de tout, comme tous les marchands d’orviétan, d’hier et d’aujourd’hui. Toutefois, la tradition de l’oracle est intéressante à étudier du point de vue du principe d’incertitude et de la modalité du possible.
L’oracle suggère et Poirot aussi : « Il lançait quelques allusions ou suggestions, mais n’allait jamais plus loin. »Il laisse à ses interlocuteurs le soin de conclure, et la responsabilité de leur déduction. Un exemple de ce type est la scène qui se déroule, dans le dernier tiers de l’histoire, entre Poirot, le Docteur Sheppard et sa sœur, Caroline, sorte de préfiguration de Miss Marple. Poirot parle de la faiblesse d’un homme qui, acculé, peut tuer et celle-ci s’imagine que le détective parle de Ralph Paton, alors que Poirot parle, visiblement, de son frère.
Un énoncé est n’est jamais compréhensible objectivement, en dehors de ceux que formulent la science. Il y a dans toute compréhension une interprétation, une part inaliénable d’affectivité qui le fait varier de son pivot (à savoir la parole, elle-même entachée de subjectivité, que transmet l’interlocuteur). Il suffit, si l’on veut s’en persuader, de songer à la dernière parole blessante ou accusatrice qui nous a atteint, alors que, peut-être, celui ou celle qui nous l’a adressée n’avait nulle envie de heurter. Les mots n’avait pas le même poids pour l’un et pour l’autre, ni le même goût et des connotations et des champs lexicaux différents. Un mot n’est jamais un fragment qui existe seul, absolu, indépendamment des sentiments qui lui donnent vie dans l’esprit et la bouche, sauf dans les dictionnaires ou les grammaires, ces herbiers de mots séchés auxquels manquent l’eau de la bouche pour les ranimer – et encore : les mots ne portent-ils pas les stigmates de ceux qui leur ont donné vie et des circonstances dans lesquelles ils ont vu le jour ? Une phrase est une empreinte de l’âme et de l’univers de celui qui la dit, qu’il le veuille ou non. Et ces mots, recueillis dans le labyrinthe de l’oreille font écho dans une autre subjectivité. Le son original et l’écho n’ont jamais le même ton ni la même portée : il y a déformation. Le mot dit et le mot entendu ne sont pas jumeaux.
L’interprétation, bien que désirant écouter et entendre avec l’oreille d’un ou d’autre, ne le peut tout à fait. On ne sait jamais tous les détails de l’univers de l’autre. Poirot affirme : « (…) je ne cache jamais ce que je sais. Mais chacun interprète mes paroles à sa façon.» Cette mise en garde, à peine voilée
Au début du récit, le narrateur parle de « prémonition », de « pressentiment » des malheurs qui vont arriver. Il fait figure d’une sorte d’oracle. « Je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’à cet instant, je prévoyais déjà les événements que me réservaient les semaines suivantes. J’en étais même fort loin. Mais mon instinct me soufflait que ma tranquillité était gravement menacée. » ou encore « C’est en évoquant cette scène [le tête à tête entre Mrs Ferrars et Ralph Paton, je crois pouvoir l’affirmer sans me tromper, que j’éprouvai pour la première fois le pressentiment dont j’ai parlé. Rien de bien précis encore, non. Mais une sorte de prémonition de ce que nous réservait l’avenir. »Certes, il est bien facile de parler de prémonition au sujet d’événements passés.
MORE TO COME... Ne pas lire ce qui suit si vous n'avez pas lu Poirot quitte la scène ! * Le roman où Poirot devient un assassin. Agatha Christie n'a pas publié ce roman de son vivant. Il fut écrit en 1940 et conservé pendant plus de trente ans dans un coffre à la banque. Plus que jamais ce roman montre à quel point, dans l'esprit de Mrs Christie, l'assassin et la victime sont liés. Mais, également, à cet étrange couple, se joint celui, non moins pervers, de l'auteur et du lecteur...

"Il suffit d’entendre exprimer par autrui une opinion que l’on préférerait taire pour réprouver le besoin de la nier avec véhémence." (1)

"Quelle est la signification de tout cela, Watson ? me demanda Holmes d’un ton solennel en reposant le document. A quelle fin tend ce cercle de misère, de violence et de peur ? Il doit bien tendre à une certaine fin, sinon notre univers serait gouverné par le hasard, ce qui est impensable. Mais quelle fin ? Voilà le grand problème qui est posé depuis le commencement des temps, et la raison humaine est toujours aussi éloignée d’y répondre." (2)


(1) Le meurtre de Roger Ackroyd, p. 8.

(2) Conan Doyle, Son dernier coup d’archet. La question essentielle qui est posée est la suivante : pourquoi le hasard est-il impensable ?

mercredi 11 janvier 2006
Extrait d'une étude que j'ai réalisée pour le personnage de Poirot, en regard contradictoire du livre de Pierre Bayard (Qui a tué Roger Ackroyd ?, Ed. de Minuit ). La méthode de Poirot : Poirot est sans aucun doute un émule de Sherlock(1) Holmes(2) : c’est un obsessionnel, au sens psychiatrique du terme, qui, à partir de détails dérisoires ou invisibles aux yeux de la plupart, reconstitue chaque fois tout un monde, toute une histoire. Poirot est un obsessionnel et, à ce titre, il aime l’ordre. Il n’est pas loin de présenter le type du paranoïaque qui, selon Freud, attribue «la plus grande signification aux petits détails que nous négligeons d’ordinaire dans le comportement d’autrui, ils interprètent à fond [ausdeuten] et ils en tirent des conclusions de grande portée.» Or, dans l’esprit d’une telle personnalité, l’ordre et le désordre, et ce en dépit de tout ce que ces notions ont de relatif ou d’instable, signifient la même chose. Un maniaque de la propreté et du rangement est, du point de vue du psychiatre, atteint du même trouble qu’un sujet qui vit dans une porcherie. Ceci ne contrariant pas l’affirmation de Freud selon laquelle, l’inconscient ne sait rien des contraires. Du point de vue du Docteur Sheppard, dans Le Meurtre de Roger Ackroyd, Poirot fait régner dans son salon, «un ordre méticuleux» ; rien de traîne et il n’y a pas un grain de poussière, sûrement. Agatha Christie écrit dans La mystérieuse affaire de Styles, la première fois où est décrit Poirot : « The neatness of his attire was almost incredible; I believe a speck of dust would have caused him more pain than a bullet wound. » (« L’aspect soigné de sa tenue était presque incroyable ; je crois qu’un grain de poussière lui aurait causé plus de souffrance qu’une blessure par balle. ») Il semble qu’il faille prendre au premier degré ce que dit l’auteur de son personnage. Dans le cadre de notre étude « métaphysique » sur la poussière, la description prend un autre sens. « Ah ! s’exclama le Belge, la méthode ! C’est mon mot-clé, à moi aussi. Méthode, ordre, et les petites cellules grises. - Des cellules ? s’ébahit l’inspecteur les yeux ronds. - Mais oui, les petites cellules grises du cerveau. - Oh ! je vois. Nous nous servons tous des nôtres, je suppose. - Plus ou moins, murmura Poirot, et elles diffèrent en qualité, ce qui compte aussi. Tout comme la psychologie d’un crime : il convient de l’étudier avec soin. » On penserait presque à Descartes ! A tort. Bien sûr, Poirot ne définit jamais vraiment cette méthode – qui fait ses preuves, puisque Poirot n’échoue jamais – mais il la montre à l’œuvre et elle ne ressemble pas à celle du philosophe susnommé. En effet, Descartes préconise de diviser les difficultés en autant de parcelles qu’il se pourrait. L’inspecteur de police en concurrence avec Poirot agit de la sorte. Le détective belge, agit d’après son intuition et la « psychologie du crime » qui n’est pas autre chose que la manière dont se trahit l’assassin en tuant telle ou telle personne. Celui qui est tué a un lien avec son meurtrier et ce lien est perceptible par les deux caractères de la victime et de son bourreau. Ce passage nous donne quelques informations sur la manière de Poirot, mais guère : «Mais alors, c’est possible après tout… oui, bien sûr que c’est possible… mais alors… ah ! il faut que je remette mes idées en ordre. Oui, de l’ordre et de la méthode, je n’en ai jamais eu autant besoin. Tout doit concorder… chaque élément doit trouver sa place, sinon… sinon je suis sur une fausse piste. » Ce monologue auquel se livre Poirot devant Sheppard est sûrement une mise en scène (ce dernier lui fait remarquer que le maître chanteur peut être une femme, alors qu’ils ont tenu pour acquis depuis le début que c’était un homme) mais ne négligeons pas pour autant son contenu. La police produit un raisonnement sans surprise qui la conduit à un assassin vraisemblable, tandis que Poirot, lui, raisonne a contrario et découvre un assassin inattendu. Plus le coupable est évident, plus il lui paraît impossible et vice-versa. La pensée du belge est paradoxale. Le détail est une notion captivante. Poirot semble aimer les détails et à ses yeux, seules ces miettes ont de la valeur à ses yeux et prennent plus de place dans son esprit que ce qui remplit l’espace, ce qui est en gros plan. « Puis il revint au milieu de la pièce et la parcourut d’un regard vif, inquisiteur, auquel nul détail n’échappait. Le coup d’œil exercé du professionnel. » Le mot « détail » est réemployé dans ce passage. L’un d’entre eux, celui qui va permettre à Poirot de résoudre l’énigme, est le déplacement d’un fauteuil, d’une bergère (large fauteuil à oreilles : pour mieux entendre ? Il n’y a là aucun jeu de mot, comme la suite le montre…) pour être très précis. Ce fauteuil servait à cacher la table sur laquelle était posé le magnétophone, doté d’un mécanisme à retardement, qui devait fournir l’alibi du Docteur Sheppard. La voix de Ackroyd devant être entendue pour la dernière fois alors que le Docteur était chez lui. Il est tentant de fournir une explication psychanalytique – dont il est fort possible qu’Agatha Christie en connaisse les méthodes et les idées, puisque l’inspecteur fait référence à cette « science » avec mépris – de ce déplacement. Le personnage du Docteur Sheppard est obligé de connaître la théorie psychanalytique. Il faut garder à l’esprit que Poirot est Belge et que son Anglais (à dessein parfois) n’est pas parfait. La page 157 de notre édition est pleine de sous-entendus et de subtilité. Poirot use du terme «perturbé » pour « dérangé » ; en fait, ce qui est dérangé est ce qui contrarie l’ordre habituel ou raisonnable des choses, mais le mot désigne également quelqu’un qui n’a pas d’ordre dans ses pensées, qui est « fou ». Le mot anglais correspondant à « perturbé » n’a que le sens du désordre mental et non celui des choses ou des événements. Poirot peut, en toute bonne foi, penser que le terme anglais comporte ce double sens, mais il peut mésuser de la langue à des fins d’ironie ou de cynisme : il s’adresse au notaire qui gérait les affaires de Mrs Ferrars et le Dr Sheppard corrige le mauvais terme. Si Poirot souhaite cette correction, c’est pour lui montrer sans le lui dire explicitement, qu’il a compris que lui aussi est très sensible aux détails. L’interprétation, pour le paranoïaque en tout cas, engage la notion de projection. Comment, dans ces conditions, n’a-t-il pas remarqué le déplacement du fauteuil ? En outre, il veut lui faire prononcer le mot « dérangé » afin de souligner le mot et lui insuffler le soupçon que Poirot sait qu’il a dérangé le fauteuil… Au crédit de cette idée, on pourrait retrouver d’autres occasions, dans l’œuvre d’Agatha Christie, où Poirot emploie un terme inadéquat et transmet un message « télépathique » à son interlocuteur. Ici même, dans Le meurtre de Roger Ackroyd, on retrouve un exemple de ce procédé cher à Poirot : « Comme cela lui arrivait souvent lorsqu’il s’animait, Poirot devint soudainement très continental. - Monsieur l’inspecteur, s’écria-t-il dans un anglais hésitant entrecoupé de français, prenez garde au… au chemin aveugle…, non … comment dit-on ? la petite rue qui ne débouche sur nulle part. L’inspecteur Raglan ouvrit des yeux ronds, mais je compris plus vite. - Une impasse, c’est cela ? - Oui, voilà : l’impasse qui ne mène nulle part. Et les empreintes [sur le poignard qui a servi à tuer Roger Ackroyd], c’est la même chose : elles ne vous mèneront peut-être nulle part. » Là encore, Poirot arrache le mot à son adversaire qui, souvent, ressemble à une sorte de double de lui-même, plus qu’à un remplaçant d’Hastings. L’impasse est aussi une notion propre au jeu de cartes, notamment au whist (l’ancêtre du bridge), typiquement anglais. (3) En outre, Agatha Christie s’est servi de cette image dans l’une des nouvelles du recueil consacré au couple Beresford, déjà mentionné.(4) Dans le cas mentionné ici, Poirot oblige Sheppard à dévoiler son jeu en lui faisant dire ce qu’il ne veut pas dire – impasse - et qui est la fausse piste qui dissimule la véritable piste. Le chemin aveugle s’il n’est une référence à Œdipe est un acte manqué criant ! Le bon chemin est celui qu’a suivi Poirot à partir des indices mis à sa disposition et ce chemin le conduit au narrateur. Une nouvelle fois le terme « dérangé » est utilisé dans une conversation (par Raymond, le secrétaire) et le mot, alors, a le sens de fou : «Mais personne ne lirait ce genre de lettre tout haut, à moins de … d’être un peu dérangé.» Agatha Christie se montre très ironique vis à vis de ses lecteurs. Lorsque Poirot lance à Sheppard dans le premier passage cité : « Quel souci du terme exact ! » ce n’est pas un compliment, mais une pique, qui laisse supposer que le Docteur maîtrise le langage (sous-entendu le texte de l’histoire). Le détail est le révélateur de ce qui est caché ou invisible pour reprendre le terme en italique(5) employé par Poirot au sujet de la bergère qui masquait la petite table. Un détail est un fragment. Celui qui s’attache aux détails est celui qui s’attache au concret, par opposition à celui qui abstrait et dont le but est l’ensemble ou le tout. Ce qui ne veut pas dire que l’amateur de détails néglige l’ordre du tout ; au contraire, ils lui permettent d’en comprendre la structure, comme si le détail était un monde en miniature. Hastings est pour Poirot un révélateur. Voici de quelle manière (peu flatteuse) : « Il avait le chic pour découvrir la vérité comme par hasard, et sans même s’en rendre compte, bien entendu. Il laissait échapper une remarque saugrenue… et c’était justement cette remarque qui me mettait sur la voie. » C’est d’un aveugle que Poirot apprend ce qui est, comme Œdipe de Tirésias. L’aveuglement peut être de nature différente. L’aveuglement est toujours vis à vis d’un possible. La pierre d’achoppement est la voix de Roger Ackroyd entendue à 21h30. Le saut logique conclut au fait que l’homme était toujours en vie à cette heure. Le principe est toujours le même : une idée n’est pas envisagée (de même la solution à l’énigme du Double meurtre rue Morgue). Pour penser autrement, il faut sortir du cercle tracé par la raison. Le jugement synthétique est de cette nature : il ajoute un élément qui vient de l’extérieur, quand le jugement analytique ne fait que donner ce qu’il contient déjà en lui. Le problème des jugements synthétiques a priori posé par Kant peut être envisagé ici. (1) A noter que la moitié du prénom du personnage de Conan Doyle signifie « fermeture », « verrouillage », « serrure », de là à en déduire que le compagnon du Docteur Watson est à moitié fermé… A quoi ? A toutes les autres interprétations que les siennes ? Enfermé à l’intérieur de sa propre raison ? (2) Agatha Christie aimait faire des pastiches. Voir les deux volumes consacrés à son couple de détectives en herbe, Tuppence et Tommy BeresfordAssociés contre le crime et Le crime est notre affaire aux Editions du Masque, publiés en un seul volume dans l’édition originale sous le titre Partners in crime – qui s’amusent à plagier le style et les méthodes de détectives célèbres de la littérature anglo-saxonne. Le fait que Sheppard soit docteur n’est pas un hasard ou une commodité pour le récit. Si Poirot est une sorte de décalque de Sherlock Holmes, Sheppard est celui de Watson, bien mieux que le piètre Hastings. De plus, elle a fait un pastiche de Poirot et Hastings dans ce recueil (Cf. Le crime est notre affaire, p. 140 à la fin). Les parodies sont des loupes . Voici donc ce qu’il y a d’essentiel à retenir sur Poirot et Hastings : « Il m’est venu le genre de petite idée – colossale, sensationnelle – qui vient tôt ou tard à l’esprit d’Hercule Poirot. » (je souligne. ) Le détail, toujours le détail, la petite chose ou le petit truc. Poirot est rusé comme l’oracle… «Tu n’es pas sensé comprendre. Hastings ne comprend jamais. » , « L’ami stupide est à jamais stupide. » (3) « Manière de jouer qui consiste à dissimuler la carte supérieure que l’on possède, et à ne mettre sur la couleur demandée qu’une carte inférieure. Faire une impasse. L’impasse est un jeu de finesse et d’appréciation, qui n’est soumis à aucune règle précise, et qui exige, outre une prompte aptitude et une habileté consommée, la connaissance exacte de la manière de jouer du partenaire et des deux associés. » (Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse, tome 9, p. 591, colonne 2) (4) « Impasse au roi » in Associés contre le crime, Ed. du Masque, Paris, 2002 , p. 62 à 79. Un homme se dissimule derrière un autre homme, dans une soirée costumée, en s’habillant du même costume. (5) Sauf erreur de notre part, deux mots sont mis en italique par Sheppard - exceptées les citations que Sheppard fait de son propre récit dans le dernier chapitre - dans ce récit. L’autre est situé ici : « Et Ralph Paton avait des embarras d’argent.» Cette phrase, c’est Ackroyd qui la prononce et elle prend place dans une énumération logique de faits.
Amusant. Encore une forme d'intertextualité. On n'en finit pas ! J'ai déjà évoqué ici ou Le prisonnier. En regardant, hier soir, l'épisode intitulé "Échec et mat", je me suis rendue compte que des mesures de la musique de Bernard Hermann pour le film Vertigo avaient été reprises lors des scènes entre la dame blanche et le numéro 6. Pour me conforter dans cette idée, une scène de clocher fait écho à celle d'Hitchcock.




mardi 10 janvier 2006

La vie de l’homme est un coffre à jouets rempli de deuils et de contradictions. Cette affirmation, pour sibylline qu’elle puisse paraître, exprime de manière concise la situation de l’homme au sein de son univers. Orphelin de Dieu, de tout, de rien surtout, l’homme est déjà gâché, dès l’heure de la naissance, et même avant. Le coffre est ce qui permet de ranger (pêle-mêle ou en désordre) ce qui traîne ou n’a pas de place définie et permanente. Nous importons subrepticement une idée : le désordre (intérieur) du coffre suppose l’ordre (extérieur) du monde. Le coffre met à l’abri ou enfouit et cache ; il est peut-être, en plus, une métaphore, poétique et rassurante, du cercueil. La vie de tout homme à la fois dissimule et couve les malheurs de l’être humain. Pourquoi cache-t-on ses « morts », sinon parce qu’ils nous font peur, parce que la pudeur le recommande, mais surtout parce que nous en sommes jaloux, fiers, et que bizarrement nous prenons plaisir à les contempler seuls, sans témoin, attitude qui donne à nos yeux la mesure de notre dignité. Nous les tenons au chaud, les berçant, redoutant une compassion de mauvais aloi, le geste maladroit d’autrui, ou les paroles qui dévalueraient à coup sûr la grandeur de notre silence, de notre retrait en face du malheur. En vérité, ô paradoxe suprême, nous prenons un « petit plaisir » à nos malheurs, et nous ne les estimons jamais assez grands pour que nous les laissions, de plein gré, contempler aux autres, sans la crainte sournoise qu’ils ne nous les abîment… Le coffre n’est pas un débarras, mais sûrement un coin réservé à ce qui déborde, une sorte d’appendice où s’entassent notre bile et nos larmes, nos détritus sentimentaux, nos peaux mortes de l’âme. Les jouets sont des divertissements pour l’enfant, des manières de passer le temps, d’attendre ou de remplir le vide, autre nom de l’ennui de l’enfance ou des dimanches. Or, le coffre à jouets de l’adulte est maintenant vide de ces frivolités ou babioles. A l’intérieur, à leur place, les deuils et les contradictions de l’existence humaine. Ceux-ci ne sont pas tout à fait, pour nous, des substituts de jouets ou des jouets. N’exagérons pas au-delà du bon goût. Mais si l’on considère que l’homme, ne serait-ce que par la représentation qu’il met en œuvre de sa vie et du monde, joue, et que lui-même peut être perçu comme un jouet de la nature, des dieux ou du hasard, il n’est pas blasphématoire ou choquant de songer que nos deuils sont des jouets, assez communs, somme toute. Qu’est-ce que la mélancolie des poètes romantiques sinon une caresse insistante sur leurs plaies, voire une certaine complaisance à l’égard de leurs malheurs ? L’erreur serait de croire que le jeu est innocent et que le plaisir qu’il procure est absolument un. Il y a un plaisir de la peine, comme il y en existe un de la joie. Il suffit d’observer les enfants qui jouent, souvent, avec la plus insolente des cruautés. La vie de l’homme est une succession de deuils, dérisoires ou accablants, et ses relations au monde et aux autres s’effectuent sur le mode dominant de la contradiction ou de l’antinomie. Il faut comprendre que ces « accidents » ou aspérités de l’univers ne sont tels que pour l’homme et qu’ils ne dérangent ni l’ordre ni la marche du monde en soi. Le jouet est l’instrument du jeu, ou une métonymie de celui-ci. Le jeu est peut-être aussi - pour Eugen Fink, par exemple, ou encore Heidegger - le symbole cosmique par excellence, il définit la situation de l’homme dans l’univers. C’est un phénomène originaire pour l’homme qui fait apparaître un monde distinct du réel et cependant référé à celui-ci. Le contraire du jeu est la réalité et non le sérieux, répète Freud. Le sérieux pouvant se définir comme ce qui adhère avec force ou colle au réel. Le jeu met en jeu, précisément, un décalque de la réalité avec d’autres règles dont je suis l’instigateur ou que je fais miennes. On saisira alors le sens de cette formule initiale : le deuil et la contradiction (le heurt avec le réel , qui est aussi le deuil de mon sentiment de toute puissance) sont ce qui reste à l’homme, lorsqu’il a perdu l’insouciance de l’enfance et ses joujoux. Si l’homme ne jouait pas et vivait la réalité objective et anonyme, il ne « s’amuserait » pas avec ses deuils, il les subirait, désintéressé, sans chercher à les comprendre et à se les réapproprier selon les règles de son propre jeu avec le monde. L’étymologie allemande d’un des mots qui traduit notre « tragédie », Trauerspiel , est troublante à cet égard… Que fait l’homme en écrivant des tragédies, des drames, ou même en se confiant au psychiatre, sinon récréer (comme auteur) ou rejouer (comme acteur) son malheur ? N’est-ce pas une forme de jeu, pervers ou salutaire ? Les règles du jeu sont celles de la narration et du récit qu’il met en œuvre afin de revivre mentalement et oralement son deuil. Ce jeu permet de se divertir de la nécessité, de l’inéluctable, de la mort, de l’univers qui n’a pas besoin de lui pour jouer. «À la différence de ce qui se passe dans les jeux des enfants, le jeu et l’imitation artistiques auxquels se livrent les adultes visent directement la personne du spectateur en cherchant à lui communiquer, comme dans la tragédie, des impressions souvent douloureuses qui sont cependant une source de jouissances élevées. Nous constatons ainsi que, malgré la domination du principe de plaisir, le côté pénible et désagréable des événements trouve encore des voies et moyens suffisants pour s’imposer au souvenir et devenir un objet d’élaboration spirituelle (geistliche Bearbeitung). Ces cas et situations, susceptibles d’avoir pour résultat final un accroissement de plaisir, sont de nature à former l’étude d’une esthétique guidée par le point de vue économique.» Le jeu me transforme en spectateur et met de la distance entre moi et moi-même, et je puis très bien me viser en tant que spectateur ; le spectateur n’est pas seulement l’autre. Dans l’œuvre au sens large, le jeu du destin est le négatif du jeu de l’auteur ou de l’acteur qui le révèle ; l’œuvre et la vie rêvent l’une de l’autre, comme l’homme et ses doubles, en miroir. Le jeu de l’enfant devenu grand recouvre le jeu du destin, et ici, où une seule partie est possible, là, le jeu peut recommencer indéfiniment… Le jeu est toujours une imitation d’une réalité, même si celle-ci ne se veut pas exacte, même si celle-ci n’a pas conscience d’elle-même, même si elle n’est que symbolique. Le point de vue économique évoquée ici est celui des forces en présence considérées sous leur aspect quantitatif (pulsions et de contre pulsions). Le principe de réalité s’oppose moins au principe de plaisir, qu’il ne le complète ; il en est la forme intelligente, c’est-à-dire qu’il tient compte des nécessités du monde, des contraintes et des dangers du réel. Ces deux faces du principe de plaisir se retrouvent dans l’œuvre tragique. Le jeu s’oppose-t-il à la vie ou bien en est-il un mode ? Quoi qu’il en soit, ce n’est pas dans ce prologue que nous répondrons à cette question, mais disons que ce peut être l’un et l’autre, l’un ou l’autre. Le jeu requiert à la fois la pensée et le langage, en ce sens il est dans la vie, mais le langage et la pensée sont aussi ce qui permet de tenir le réel à distance ou en vis-à-vis. Le jeu, théâtral en tout cas, est pour nous une manière d’appréhender le tragique ou d’investir le sentiment du tragique, à la fois dans les sens de « mettre son énergie dans une action » et d’«encercler ». « Le jeu du deuil » met en jeu les différents éléments de notre configuration psychique, afin d’ « attraper » le sentiment du tragique. Tout sentiment est provisoire, ou plus exactement les émotions qu’il provoque. Vivre dans l’émotion permanente est une impossibilité, à la fois psychologique et physiologique. Le sentiment du tragique est un frisson passager. Dans son très beau et, ô combien, sensible livre, Miguel de Unamuno
exprime cela même que nous avons pris la charge d’expliquer, sinon de simplement dire, dans cette étude : le sentiment tragique de la vie. A travers Don Quichotte, figure de proue de l’ouvrage, « héros de [sa] pensée », personnage tragi-comique, dont l’épopée retracée en filigrane préfigure le modèle d’une vie toute dévouée à la foi, tendue jusqu’à la cassure vers l’intimité la plus intime de sa singularité, et l’explosion de celle-ci, Unamuno met en place une dialectique ontologique de la raison et du sentiment. La raison exprime un rapport transcendé au monde : le monde n’est pas seulement senti, il est compris ou, pour le moins, expliqué ou mis en demeure de livrer ses raisons. Le sentiment, lui, dit ma relation à moi-même, à autrui, au monde également, mais de manière égocentrique. La raison, elle, est allocentrique, ou sa finalité est d’être telle ; elle élabore moins pour le sujet, en son for intérieur, que pour le jugement autrui, ou pour le moi conçu comme un autre. La raison abstrait et construit, la connaissance qu’elle donne est seconde et artificielle. Le sentiment, lui, nous donne un accès immédiat à la réalité profonde, une certitude. C’est toute la distance qui sépare l’esprit de finesse de l’esprit de géométrie chez Pascal. Si chez ce dernier le sentiment est un acte spirituel, chez Malebranche, disciple de Descartes, il n’est qu’une impression confuse, psycho-physique, singulière et il insiste sur leur caractère d’irrationalité. De nos jours, le sentiment conserve cette tonalité négative et Unamuno, dans cette œuvre, défend une conception plus pascalienne, où le sentiment est apparenté à une sorte d’intuition métaphysique, si bien sûr une expérience de ce type existe véritablement. En lisant Unamuno, on ne doute pas un instant qu’il voit en ce sentiment du tragique, ce que Scheler distingue comme un « sentiment métaphysique », qui a trait à l’ultime profondeur de notre être ou à la signification du monde.

Denis Mackail cite Barrie dans sa biographie et je traduis rapidement le contenu de cette pensée : "Ma complexion, si tant est que je puisse vaguement en rendre compte, s'exprimait de cette manière : rien n'avait d'influence sur moi - rien ne montrait une telle aptitude. Tout se passait comme s'il y avait en moi une petite boîte que rien ne put ouvrir, avant qu'elle ne le fît, elle-même, de son propre chef, lors de ces dernières années. Il n'y avait que quelques bagatelles à l'intérieur, mais je pus mener mon jeu pendant de nombreuses années, jusqu'à ce que je fusse lassé de tout ceci, avant que le public ne le fût également ou à peu près en même temps." 
Je pourrais m'approprier ces mots sans dommages. Mais ce n'est point une boîte qui loge dans mon cœur, mais un coffre ou un cercueil. Il ne fait pas bon de l'ouvrir.
lundi 9 janvier 2006

Ô tristesse que d'assister, impuissante, à la violation d'un sanctuaire bien-aimé ! Ce fut mon sentiment en contemplant le film médiocre que nous a vendu Marc Forster. Comment a-t-il pu être retenu pour les Oscars ? Je fus contrainte à cette épreuve, en vue de la préparation de mon site internet, qui va recenser toutes les adaptations cinématographiques, littéraires ou autres de l'oeuvre et de la vie de Barrie. Je savais, par avance, à quelle purge je me condamnais. Prétendument inspiré de la vie de ("mon") J. M. Barrie, nous sommes affligés par une pléthore de clichés colorés du plus mauvais goût, hormis quelques jolies scènes dont je livre témoignage ici. Ceci prouvera, je l'espère, mon objectivité. Ces scènes que je mets sur la sellette sont toujours les mêmes, d'un film hollywoodien à un autre. On les connaît par coeur. C'est le propre d'un cliché, certes. Les scénaristes et réalisateurs manquent-ils de tant d'imagination ? 
Un comble pour un film qui aurait dû avoir pour fin d'exposer l'univers imaginaire et intérieur d'un homme de génie ! 
On nous rétorquera que les scènes finales ont tenté de rendre visible ceci (les différents tableaux sont assez beaux d'ailleurs, brumeux, comme si nous étions dans un entre-deux-mondes, celui de la vie qui expire). C'est exact mais mon reproche est autre. Pourquoi vouloir rendre visible ce qui doit demeurer sous nos paupières ? C 'est toute la différence entre le jeu théâtral et le jeu imaginaire. Le premier ne peut se substituer au second - celui des enfants et du créateur. C'est une grave erreur de perception, selon moi. De même, lorsque le pseudo-Barrie danse avec son chien et que l'on s'efforce de nous faire croire qu'il étreint un ours. Notre imagination peut faire ce travail de substitution et l'on ne doit en rien la forcer. Mes griefs sont nombreux. Le premier concerne Johnny Depp qui n'a aucun point commun avec Barrie. Il ne peut incarner le personnage que la postérité nous a laissé. Je ne sais pas si Depp est un bon acteur - je ne l'ai guère vu à l'oeuvre ailleurs, si j'omets une ou deux exceptions - mais je l'ai trouvé triste et fade comme un jour de Toussaint. Jimmy était un homme malicieux, malgré ses humeurs mélancoliques. Johnny Depp est inexpressif et conserve le même visage en deuil de la première minute à la dernière seconde du film. D'autre part, Barrie était un très petit homme et handicapé par ce complexe, ce qui n'est absolument jamais suggéré dans ce film. Il y a aussi de nombreuses erreurs de chronologie dans ce "récit fictif", je ne retiens qu'un exemple, parmi d'autres : M. Davies était bel et bien en vie lorsque Barrie a rencontré sa femme, Sylvia ! Evidemment, il fallait servir l'intrigue tirée d'une pièce que je n'aie pas lue, mais c'est inexcusable ! Les spectateurs ignorants de la vie de Barrie imagineront un portrait mensonger et cela me met dans une rage folle. Le scandale de sa relation, néanmoins platonique, avec Mrs Davies était d'autant plus grand. De plus, Porthos était un Saint-Bernard et non un Terre-neuve. Je suppose qu'il n'était pas très difficile de satisfaire un instant aux exigences de la réalité. De même qu'est-il advenue à la moustache de Barrie ? Ne croyez pas qu'il s'agisse, là, d'un petit détail, histoire de chipoter. Barrie avait besoin de se montrer homme, à cause de sa petite taille et de son impuissance physique. Cet attribut devait lui sembler viril, tout autant que son haut de forme ! Si je devais parler des décors "naturels", je pense que tomberais en syncope. Les Jardins de Kensington, ces pauvres images ? Mon oeil ! De qui se moque-t-on ? Remarquez bien que l'on n'évoque jamais le nom des Jardins... Ces Jardins participent à la mythologie de l'univers créé par Barrie. Barrie était écossais et l'on nous sert une soupe américaine qui donnera des renvois à tout spectateur ayant un estomac et un palais un tant soit peu délicats. Ce n'est pas ce film qui nous aidera à donner une image juste de Barrie et encore moins de son oeuvre. Pour sûr, il risque de demeurer encore longtemps un guignol, amuseur d'enfants ou montreur de petits tours. Les seuls qualités du film tiennent à la belle interprétation de Kate Winslet et aux scènes, 
plus réussies, de théâtre, lorsque nous assistons à la première de Peter Pan
Mais tant qu'à faire autant regarder le film de Herbert Brenon, Peter Pan, datant de 1924 et que l'on trouve dans l'édition collector du DVD Disney, Peter Pan. Pour me remettre de ce traumastisme, je poursuis ma lecture de la biographie méthodique et détaillée à l'extrême (sur 800 pages) de Barrie, par Denis Mackail et édité par un des cinq enfants Llewelyn-Davies, Peter. 
Pardonnez cette mise en page désastreuse.
dimanche 8 janvier 2006
J'ai toujours été fascinée par les langues étrangères, et particulièrement par les langues qui s'expriment au moyen d' un alphabet autre que le nôtre. C'est ainsi que, très tôt, je me passionnai pour le Grec. Grand bien me prit car j'usai de cet idiome lors de mes études de philosophie et c'est toujours le cas, puisque je suis toujours une étudiante (à mon âge !) même si je perds la main (façon de parler) faute d'un usage intensif. Idem avec le latin. Au moins, je ne fus pas complètement démunie pour lire Umberto Eco et son incroyable Nom de la rose. Savez-vous qu'il a écrit une apostille fort judicieuse à ce livre ?
J'ai un peu manié, autrefois, le Japonais, mais que m'en reste-t-il ? Rien, avouons-le. Une amie, Claire C., entame de brillantes études de langues - Claire est une jeune fille douée de mille manières et son cursus universitaire sera étincelant, je le sais - et elle va suivre des cours de Chinois, en sus des cours de Japonais et d'Anglais. J'ai donc décidé de l'imiter, afin de vivre en parallèle avec elle quelques heures. Je vous tiendrai au courant de mes progrès que j'espère fulgurants...
samedi 7 janvier 2006
En matière de création romanesque et de style (l'une ne devrait pas aller sans l'autre), s'efforcer de se plaire à soi-même plutôt qu'aux autres. Le seul moyen de trouver ce que Céline appelait sa "petite musique". Devrait-on violer le réel pour ce faire. Devrait-on procéder au meurtre de nos illusions dans cet unique but. Etrange que de cette manière égoïste et égotique puisse naître ce qui est destiné à faire le bonheur d'inconnus. Un livre est un don anomyme pour un destinataire dont on ignore tout. C'est le grand jeu du hasard et des coïncidences. Or, je triche. Par conviction. Par plaisir. C'est ma nature profonde.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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