mardi 31 octobre 2006
Camus n'était pas un philosophe adepte du système carcéral, celui qui décapite l'émotion et emprisonne la pensée dans les cellules étroites de la logique, c'est peut-être pour cette raison qu'il n'est pas considéré comme un philosophe par les "hommes du métier" mais comme un simple écrivain. J'ai souvent été mise à mal par mes maîtres lorsque je citais Camus et affirmais que son discours était philosophique ou appartenait réellement à ce registre.
Le fait est que Camus n'est pas un homme du concept sec (je ne nie pas sa nécessité pour penser droit) et que son discours est impressionniste, ce qui est le péché capital de l'écriture qui se veut philosophique, donc rigoureuse.
Je compile quelques citations qui me semblent dignes du plus grand intérêt et qui se déploient dans ce style délicat et élégant qui est le sien, un style d'humaniste en somme.
Si Camus se refuse existentialiste, c'est peut-être un peu par aveuglement, à mon sens en tout cas.
Voir mes notes sur Sartre ici :
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006/03/le-sursis-1.html
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006/03/le-sursis-2.html
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006/03/le-sursis-3.html
http://rosesdedecembre.blogspot.com/2006/03/le-sursis-4.html
[Pardon. Mes notes de bas de page n'apparaissent pas correctement avec Internet Explorer !]
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"Une histoire de grandeur racontée par des corps, voilà le théâtre."[1]
"(...) la scène est l'endroit de la vérité"[3]
"Je suis pour la tragédie et non pour le mélodrame, pour la participation totale et non pour l'attitude critique. Pour Shakespeare et le théâtre espagnol. Et non pour Brecht."[4]
"(…) j'ai compris qu'à cause de ses difficultés mêmes, le théâtre est le plus haut des genres littéraires. Je ne voulais rien exprimer, mais créer des personnages, et l'émotion, et le tragique. (…) Le Malentendu, l'Etat de siège, les Justes sont des tentatives, dans des voies chaque fois différentes et des styles dissemblables, pour approcher de cette tragédie moderne." [5]
"Notre époque a sa grandeur qui peut être celle de notre théâtre. Mais à la condition que nous mettions sur scène de grandes actions où tous puissent se retrouver, que la générosité[6] y soit en lutte avec le désespoir, que s'y affrontent, comme dans toute vraie tragédie, des forces égales en raison et en malheur, que batte enfin sur nos scènes le vrai cœur de l'époque, espérant et déchiré."[7]
"(…) retrouver la "démesure proportionnelle" qui caractérise, selon moi, la vérité de l'attitude et de l'émotion dramatiques."[8]
"(…) le théâtre est un lieu de vérité. (…) Oui, les feux de la scène sont impitoyables et tous les trucages du monde n'empêcheront jamais que l'homme, ou la femme, qui marche ou parle sur ces soixante mètres carrés se confesse à sa manière et décline, malgré les déguisements et les costumes, sa véritable identité. (…) Ceux qui aiment le mystère des cœurs et la vérité cachée des êtres, c'est ici qu'ils doivent venir et que leur curiosité insatiable risque d'être en partie comblée."[9]
"(…) pour moi le théâtre est justement le plus haut des genres littéraires et en tout cas le plus universel."[10]
A propos de Caligula : "Mais, si sa vérité est de se révolter contre le destin, son erreur est de nier les hommes. On ne peut tout détruire sans se détruire soi-même. (…) Caligula est l'histoire d'un suicide supérieur. C'est l'histoire de la plus humaine et de la plus tragique des erreurs. Infidèle à l'homme, par fidélité à lui-même, Caligula consent à mourir pour avoir compris qu'aucun être ne peut se sauver tout seul et qu'on ne peut être libre contre les autres hommes.
Il s'agit donc d'une tragédie de l'intelligence. D'où l'on a conclu tout naturellement que ce drame était intellectuel. Personnellement, je crois bien connaître les défauts de cette œuvre. Mais je cherche en vain la philosophie dans ces quatre actes."[11]
Camus dit du Malentendu qu'il est "une tentative pour créer une tragédie moderne."[12] Et à propos de l'Etat de siège, il dit que cette pièce "avec tous ses défauts, est peut-être celui de mes écrits qui me ressemble le plus."[13] "Mon but avoué était d'arracher le théâtre aux spéculations psychologiques et de faire retentir sur nos scènes murmurantes les grands cris qui courbent ou libèrent aujourd'hui des foules d'hommes."[14]
"Bien que j'aie du théâtre le goût le plus passionné, j'ai le malheur de n'aimer qu'une seule sorte de pièces, qu'elles soient comiques ou tragiques. Après une assez longue expérience de metteur en scène, d'acteur et d'auteur dramatique, il me semble qu'il n'est pas de vrai théâtre sans langage et sans style, ni d'œuvre dramatique qui, à l'exemple de notre théâtre classique et des tragiques grecs, ne mette en jeu le destin humain tout entier dans ce qu'il a de simple et de grand. Sans prétendre les égaler, ce sont là, du moins, les modèles qu'il faut se proposer. La psychologie, les anecdotes ingénieuses et les situations piquantes, si elles peuvent m'amuser en tant que spectateur, me laissent indifférent en tant qu'auteur."[15]
Camus dans un article (1938) à propos de La nausée de Sartre :
"Un roman n'est jamais qu'une philosophie mise en images. Et dans un bon roman, toute la philosophie est passée dans les images. Mais il suffit qu'elle déborde les personnages et les actions, qu'elle apparaisse comme une étiquette sur l'œuvre, pour que l'intrigue perde son authenticité et le roman sa vie. (…) Et cette fusion secrète de l'expérience et de la pensée, de la vie et de la réflexion sur son sens, c'est elle qui fait le grand romancier (…) "[16]
"Et vivre en jugeant que cela est vain, voilà qui crée l'angoisse. A force de vivre à contre-courant, un dégoût, une révolte transporte tout l'être, et la révolte du corps, cela s'appelle la nausée."[17]
"Car l'erreur d'une certaine littérature, c'est de croire que la vie est tragqiue parce qu'elle est misérable.
Elle peut être bouleversante et magnifique, voilà toute sa tragédie. Sans la beauté, l'amour ou le danger, il serait presque facile de vivre. Et le héros de M. Sartre n'a peut-être pas fourni le vrai sens de son angoisse lorsqu'il insiste sur ce qui lui répugne dans l'homme, au lieu de se fonder sur certaines de ses grandeurs des raisons de désespérer.
Constater l'absurdité de la vie ne peut être une fin, mais seulement un commencement."[18]
Article (1939) de Camus à propos du Mur de Sartre :
"(…) des personnages arrivés aux confins d'eux-mêmes et trébuchant contre une absurdité qu'ils ne peuvent dépasser. C'est contre leur propre vie qu'ils butent, et, si j'ose dire, par excès de liberté."[19]
Lettre à Pierre Bonnel (1943) à propos du Mythe de Sisyphe :
"C'est qu'il y a dans l'attitude absurde une contradiction fondamentale. Elle donne un minimum de cohérence à l'incohérence."[20]
"L'absurde, apparemment, pousse à vivre sans jugements de valeur et vivre, c'est toujours, de façon plus ou moins élémentaire, juger."[21]
"Et la pensée profonde de ce livre, c'est que le pessimisme métaphysique n'entraîne nullement qu'il faille désespérer de l'homme - au contraire."[22]
"(…) Héraclite et Nietzsche, tous les deux persuadés que la vie est un jeu. Mais qu'il est difficile d'en connaître la règle !"[23]
"Non je ne suis pas existentialiste. (…) Sartre est existentialiste, et le seul livre d'idées que j'ai publié : le Mythe de Sisyphe était dirigé contre les philosophes dits existentialistes."[24]
"Accepter l'absurdité de tout ce qui nous entoure est une étape, une expérience nécessaire : ce ne doit pas devenir une impasse. Elle suscite une révolte qui peut devenir féconde. Une analyse de la notion de révolte pourrait aider à découvrir des notions capables de redonner à l'existence un sens relatif, quoique toujours menacé."
"1° - Je ne suis pas un philosophe. Je ne crois pas assez à la raison pour croire à un système. Ce qui m'intéresse, c'est de savoir comment il faut se conduire. Et précisément comment on peut se conduire quand on ne croit ni en Dieu ni en la raison.
2° - L'existentialisme a deux formes : l'une avec Kierkegaard et Jaspers débouche dans la divinité par la critique de la raison, l'autre, que j'appellerais l'existentialisme athée, avec Husserl, Heidegger et bientôt Sartre, se termine aussi par une divination, mais qui est simplement celle de l'histoire, considérée comme le seul absolu. On ne croit plus en Dieu, mais on croit à l'histoire. (…) Mais je ne crois ni à l'une ni à l'autre, au sens absolu. (…) J'ai l'impression qu'il doit y avoir une vérité supportable entre les deux."[25]
"Quand j'analysais le sentiment de l'Absurde dans le Mythe de Sisyphe, j'étais à la recherche d'une méthode et non d'une doctrine. Je pratiquais le doute méthodique. Je cherchais à faire cette "table rase" à partir de laquelle on peut commencer à construire.
Si on pose que rien n'a de sens, alors il faut conclure à l'absurdité du monde. Mais rien n'a-t-il de sens ? Je n'ai jamais pensé qu'on puisse rester sur cette position. Déjà, quand j'écrivais le Mythe, je songeais à l'essai sur la révolte que j'écrirais plus tard, et où je tenterais, après la description des divers aspects du sentiment de l'Absurde, celle des diverses attitudes de l'Homme révolté." [26]
"L'existentialisme aboutit chez nous à une théologie sans Dieu (…)"[27]
"Si les prémisses de l'existentialisme se trouvent, comme je le crois, chez Pascal, Nietzsche, Kierkegaard ou Chestov, alors je suis d'accord avec elles. Si ses conclusions sont celles de nos existentialistes, je ne suis pas d'accord, car elles sont contradictoires aux prémisses."[28]
[1] Pléiade, P.1718
[2] 1725
[3] Maria Casarès, Pléiade, p. 1695.
[4] Camus, I, p. 1712-1713.
[5] Ibidem, p. 1715.
[6] Cf. la notion de générosité, de don de l'écrivain selon Sartre dans Qu'est-ce que la littérature ?
[7] Camus, I, p. 1719, je souligne.
[8] Ibidem.
[9] PJFDT ? p. 1725-1726.
[10] Ibidem, p. 1726.
[11] Ibidem, p. 1729-1730.
[12] Ibidem, p. 1731.
[13] Ibidem, p. 1732.
[14] Ibidem.
[15] Ibidem, p. 1733-1734.
[16] Camus, Essais, Pléiade, p.1417.
[17] Ibidem, p. 1418.
[18] Ibidem, p. 1418-1419.
[19] Ibidem, p. 1420.
[20] Ibidem, p. 1422.
[21] Ibidem, p. 1423.
[22] Ibidem.
[23] Ibidem, p. 1424.
[26] Ibidem, p. 1343.
[27] Camus, Essais, Pléiade, Interviews, p. 1926.
[28] Ibidem, p. 1926-1927.
[29] Camus, Pléiade, Théâtre, récits, nouvelles, Lettre au directeur de la NRF, à propos d'un article de Troyat qui disait que Caligula était une illustration des principes existentialistes de Sartre, p. 1746.
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