dimanche 14 janvier 2007
Ce n'est pas du tout le billet que je prévoyais d'écrire aujourd'hui, mais la découverte la nuit dernière de ce film a chamboulé mes idées. Je sais que ce long-métrage n'a pas eu le succès qu'il méritait en salles et j'aimerais donner envie à ceux qui croiseront peut-être ces lignes d'acheter le DVD, pour que ce film ne meure pas. Souvent, je me demande pourquoi les critiques manquent à ce point de cœur. Songent-ils vraiment que l'esprit est inversement proportionnel au sentiment ? Je souris sans méchanceté en songeant que ceux qui médisent du sentimentalisme sont souvent ceux qui en ont le plus besoin et qui le haïssent à proportion de leur manque. Voici qui est le fin mot de ce film : le manque. Oui, le manque, qui n'est pas le désir ou la privation. Le manque comme appel en soi de ce qui semble, à tort plus qu'à raison, nous rendre incomplets ou creusés par une absence intolérable. A ceux qui m'écrivent et disent apprécier ce petit univers, cette minuscule goutte de rosée qu'est ce JIACO, je dis : "Aimez ce film." Il vous le rendra au centuple. Je ne prétends pas qu'il s'agisse d'un chef-d'oeuvre et que le film soit dépourvu de défauts ; néanmoins, ses faiblesses ne le desservent jamais, je crois même qu'ils le rendent encore plus touchant. Il y a peut-être trop d'application et de récitation dans le dialogue, mais qui s'en soucie ? Quel mal y a-t-il à être simplement ému et emporté par de jolies pensées ? Cœurs en papier émeri ne soyez pas déçus : le bonheur ne dérange pas notre folie et notre sauvagerie, il ne fait que les rendre un peu plus supportables et aimables pour les autres. Le bonheur est l'état le plus dangereux, car on sait bien que le pire sera le festin du lendemain. On ne peut que déchoir du bonheur, comme de l'enfance. C'est aussi une des raisons de ce film. Le bonheur est plus proche qu'on ne le croit ; il déçoit souvent ceux qui le manquent en s'imaginant par avance qu'il a plus de gueule et d'allant. Il déçoit encore plus ceux qui le trouvent et qui l'estimaient plus grand ou plus lointain. Non, c'est simplement votre esprit qui est trop petit. Vous faites une erreur de perspective en dessinant les lignes de votre cœur et de vos mains. Vous êtes passé juste à côté de lui. Trop tard. Je sais que le bonheur est toujours un petit peu idiot et gauche dans ses démonstrations, pourtant c'est bien lui ce satané petit bonheur qui fait de chaque jour un tapis volant pour la princesse et son joli crapaud, caché dans son giron. Ne le méprisez pas, ne le sous-estimez pas, ne le grandissez pas non plus. Prenez-le entre vos mains et soyez bons pour lui. Est-ce dégringoler ? Pour ma part, j'aime l'innocence des grands enfants ; je suis davantage portée par eux que par le vice et les duperies des gens comme il faut, qui savent exactement quelle est leur place dans ce monde, qui ne se trompent jamais de mots ou de gestes, car ils sont d'authentiques adultes. Ce film exprime cette vérité personnelle. J'aurais aimé l'écrire. Je ne suis qu'une lâche et une incompétente.
A toutes fins utiles, je précise qu'il est de Serge Frydman, l'homme qui avait écrit le scénario et les dialogues de La fille sur le pont,
un film magnifique, que je n'ai jamais pu oublier.
Je dédie ce billet à ma très chère et délicate Marie. Je crois que, si elle ne connaît pas déjà ce film, elle pourrait être émue par sa grâce et sa sensibilité, comme je le fus.

L'histoire se déroule dans un pays qui se veut imaginaire, même s'il a les traits de la Belgique et de la Hollande. Une jeune femme, Colette (Vanessa Paradis) est désespérée. Elle est en manque d'enfant. On l'imagine dans la trentaine, ce minuit de la féminité (le temps ne cesse de filer dans ce film ; la plupart des plans montrent une horloge ou un réveil, et Colette devient un double du Capitaine Crochet qui a peur de ce temps qui le grignote à chaque instant et va le révéler à la lumière de son échec), ce moment fatidique où le ventre réclame trop fort et s'impatiente dans l'attente d'une immense floraison - il y a un livre à faire sur le ventre des femmes, croyez-moi -, où la vieillesse cligne de l'oeil au reflet de la femme, si celle-ci est suffisamment mature (flétrie peut-être aussi... Il est remarquable à quel point Vanessa Paradis est fatiguée et vieillie dans ce film, elle qui était une nymphe autrefois. Bien sûr, elle est toujours sublime, à mes yeux en tout cas, mais elle semble porter ses enfants sur son visage tendu et prêt à pleurer...) pour avoir envie de tendre le relais à un enfant.

Je ne suis pas une amie des mères. J'ai de solides raisons. Je me méfie d'elles autant que je puis les aimer quelquefois, leur reconnaissant de temps en temps un rare mérite, qui est celui de l'inconditionné. Il est simplement dommage que la majorité d'entre elles confondent cet enfant intérieur dont je parle souvent, caché ou non, derrière l'ombre de Barrie, avec celui auquel elles donnent vie. L'erreur est là, très aisée à commettre, voire tentante. Je me demande souvent, en regardant Colette / Vanessa, si elle ne se trompe pas de cible et si elle n'embrasse pas son propre manque, le confondant avec l'amour d'un enfant rêvé, à la manière de Charles Lamb. Elle a peur que son tour ne soit bientôt passé, comme elle le dit joliment. On songe au manège des enfants et au ticket supplémentaire qui permet une dernière danse sur le dos d'un cheval en bois. On ne sait rien de cette femme, qui est déjà mère dans son âme et dans son désespoir, à qui il ne manque qu'un petit pour la combler. Du moins le croit-elle fermement, jusqu'à se rompre. Elle essaie, dans sa tendre folie, de trouver un homme, n'importe lequel, qui puisse lui faire un enfant, avant de retrouver celui qu'elle aime, afin qu'il prenne soin d'elle et lui donne une maison pour les jours de pluie. L'enfant serait un cadeau qu'il ne pourrait refuser. Cette naïveté charmante est coupable, mais on ne peut lui en vouloir, n'est-ce pas ?

On sait très bien, d'emblée, que son amoureux l'a laissé tomber. On se doute que tout est fichu et qu'elle n'est qu'une môme qui mime avec des jouets grandeur nature le rôle de la maman et de la putain.

Elle remplace une amie dans une vitrine et fait la pute, avec beaucoup d'innocence et de tendresse, lorsque le coup de fil d'une étrangère lui demande d'aller chercher son fils dans un institut pédo-psychiatrique et de l'attendre à la gare où un train devrait la conduire. L'enfant possède la clef d'une consigne, où toutes les économies que sa mère-pute a dérobées à son maquereau sont cachées. Elle raccroche brusquement et Colette, malgré elle, se rend à ce rendez-vous. Colette ne cesse de faire ce qu'elle prétend ne pas vouloir faire. Elle ne peut affirmer sa volonté que dans le refus de l'évidence. Elle dit "non" et cela signifie "oui". Les femmes sont des êtres compliqués. Elles ont une bombe dans le corps. Le compte à rebours débute à leur naissance.

Colette se rend quelque part. On dirait une prison. Est-elle une bonne fée ou bien Gretel ? C'est l'une des plus belles scènes de ce film, finalement plus étrange qu'il n'y paraît. On a le sentiment de se retrouver quelques instants chez Dickens, lorsque tous ses visages d'enfants mangent des yeux cette hypothétique mère qui vient chercher l'un d'entre eux. Cela me rappelle aussi certaine scène coupée de la pièce Peter Pan - pardon, je suis obsédée, mais je ne compte pas me soigner - où prend place une farandole de Beautiful Mothers qui viennent chercher un bambin, un des enfants perdus, et sont... auditionnées par Wendy !

Elle rencontre pour la première fois un jeune garçon, Billy (Vincent Rottiers). Il est plus âgé qu'on ne peut le penser tout d'abord. Mais il semble déficient, un peu simple d'esprit, mais il ne souffre pas de ce manque que seuls les autres lui imputent ; à moins qu'il n'ait compris ce que les gens intelligents ont tant de mal à saisir, car c'est un peu une fable que ce film, en plus d'être un conte.

Il sera son Hansel, très rapidement. Ils traverseront une forêt, symbolisée ici par une fuite et un voyage. L'un doit échapper à l'assassin de sa mère, l'autre veut rejoindre son pâle amoureux.

Pendant ce voyage, les rôles vont peu à peu s'inverser, puisque l'adulte va retomber en enfance (à moins qu'elle ne finisse pas l'accepter) et l'enfant va devenir homme (a-t-il cessé de l'être ?). Cette fausse passation de pouvoir permettra à Colette de se réconcilier avec ce que l'on devine être son passé et à faire le deuil d'un amour qui l'a conduite aux portes de la déraison, douce mais réelle.

Vanessa Paradis est de ces femmes-enfants qui m'ont toujours fascinée et émue. J'ai déjà livré deux mots sur ces créatures presque mythologiques. Il y a du sang de sirène en elles, à condition de bien se souvenir de la triste et sublime fin de celle d'Andersen. Ce n'est peut-être pas un hasard si Serge Frydman a utilisé quelques chansons de Tom Waits (allez voir le billet de mon amie Fauna sur cet artiste singulier) pour ce premier film qu'il offre en tant que réalisateur (et scénariste et dialoguiste) et qui n'est autre qu'un conte sur l'enfance. Venant de moi, cela ne vous étonnera puisque l'enfance est le monde où je m'ébats. Tom Waits est le chanteur qui convenait car sa seule voix est déjà une histoire à elle seule. Elvis Presley donne aussi, grâce à sa voix divine, une idée d'un certain paradis, celui des rêves... Sans oublier la présence décalée de Thomas Fersen, en père gardien d'une voiture de pompier, dans un café... Cela lui va très bien.

J'en ai presque trop dit sur ce film qui n'attend que vous pour être adopté, tel un enfant.

*** Serge Frydman s'explique sur ce film : "Petit, (...) je croyais, comme à peu près tout le monde, que les acteurs inventaient ce qu'ils disaient, ce qu'ils faisaient, je croyais qu'ils s'aimaient à en mourir, savaient vider les coffres de banques, faire du cheval, sauter des trains et courir sur les toits. Je croyais qu'ils vivaient mieux et plus que les autres. En tournant Mon Ange, en écoutant pendant trois mois battre les coeurs de Vanessa Paradis et de Vincent Rottiers, (...) j'ai compris que tout ce que j'avais cru, petit, au cinéma, était vrai, que les acteurs inventent ce qu'ils font et ce qu'ils disent, qu'ils vivent plus fort que nous". (Source : Allociné)

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