mardi 29 décembre 2009
Hier, j'ai écrit cette lettre, mais j'ai été interrompue pendant sa rédaction. Je ne la poste donc, pour vous, que ce jour.

Cher ami,
Avant de vous écrire, je songeais à cet enfant qui regarde une étoile et dont Dickens nous conte l'histoire, quelque part. Cette étoile revêt pour moi le profil de Barrie. Imaginez aussi quelque face lunaire à la Méliès.
Souvent, je me fais cette réflexion singulière que les morts ont toujours été, pour moi, depuis l'enfance, les meilleurs des entremetteurs pour me permettre de connaître, sinon d'aborder, les vivants - des vivants que j'aurais négligés sans ces revenants -, aveugle que je suis sans le secours de mes auteurs aimés. Est-ce une cécité volontaire ou plutôt une fausse réserve faite de timidité et de crainte ? Je laisse juges les autres - je ne puis les en empêcher ! Les vérités essentielles sont pourtant d'une fibre bien fragile que l'esprit, d'une pensée trop brutale, brise. Personne ne nous définit mieux que les autres ; mais personne ne se connaît mieux que soi, le voile de la mauvaise foi enlevé. Pour savoir l'autre, il faut parler une même langue. Et cet idiome commun, paradoxalement, dispense de tout discours entre ceux qui appartiennent à des mythes semblables. La naissance de l'amitié se fonde toujours sur un mythe que l'on crée et / ou que l'on entretient à plusieurs.
Nous parlons la même langue de l'enfance et du réel. Vous êtes bien plus jeune que moi, mais vous en avez compris davantage, bien plus vite.
James Matthew Barrie m'a permis de rencontrer plusieurs êtres que je n'aurais jamais connus sans lui, sans la délicate protection que son ombre, son nom et son œuvre m'offrent. Une belle armure poreuse. Un peu de lumière suinte de la visière.
Vous êtes de ces êtres, mon cher J.-S., mon ami depuis quelques années déjà, que je regretterais de ne pas connaître, si l'on pouvait avoir l'intuition de tout ce que l'on ignore. Et peut-être l'avons-nous plus qu'il n'est permis de le dire.
Ce matin, j'ai reçu une lettre de vous. Je ne l'attendais pas et, si elle s'était mise à parler ou à exploser en une pluie de confettis entre mes mains, je n'aurais pas été plus surprise par son contenu.
Chaque jour couve son miracle pour qui en attend un. Il suffit d'avoir le cœur ferme et ouvert. Et, ce jour, après avoir vécu un Noël vraiment merveilleux, j'en ai vécu deux : votre lettre et celle d'un ami de Barrie que je ne connaissais pas, il y a encore peu de jours, et qui m'offre, lui aussi, le partage d'un trésor. Vous le savez, les miracles ne sont pas de la forme décrite par les dictionnaires.
L'extraordinaire n'est pas ailleurs que dans le réel, ou plus exactement dans le regard que nous portons sur lui. Ce n'est parfois qu'une beauté violente cachée sous l'anodin manteau du quotidien, dans les plis. Je ne suis pas béatement adepte du merveilleux : je sais ce qu'il faut de sang, de chagrins, de perte de soi et de cruauté lucide pour faire un miracle vivant. Je ne suis pas adepte de la morale des "petits princes" de ce monde ou de la littérature - qui suscitent mon mépris. Je ne suis pas naïve ; je suis émerveillée.
Il pleuvait. Je songeais à une fée née un 28 décembre. J'ai reçu une lettre de vous, ce matin.
Ou, plutôt, j'ai reçu trois lettres de vous, en désordre, mais lorsque j'ai déplié le journal qui protégeait le "B", j'ai éprouvé un délicieux vertige. Je connaissais, bien sûr, les deux autres lettres celées sous le papier.
La lettre était donc constituée de trois initiales, si chères à mon cœur. Le sésame d'une partie un peu secrète de mon âme, secrète parce que tout le monde, en m'aimant un peu, croit la connaître, en la pénétrant rarement, toutefois. Entre mes mains, trois initiales découpées dans du bois, peintes en mauve - ma couleur, cette teinte que j'affectionne tant - et revêtues de photographies que je connais bien, vernies par des mains attentionnées. Les vôtres, que je serre entre les miennes, pour vous remercier, sans ajouter d'autres mots.
Je vous remercie, mon cher ami. Je ne suis pas digne de votre amitié. Je ne l'ai été d'aucune dans ma vie, mais je fais de mon mieux - même si ce n'est pas assez.
Vous êtes désormais le propriétaire de trois larmes versées, par un seul œil - le gauche -, mes pleurs d'enfant maladroit, qui croit que tout est possible et qui se rend compte que croire, c'est avoir l'immense pouvoir de faire advenir, quoi qu'en pensent les autres, surtout les esprits très chagrins.
Vous ne serez jamais de ceux-là, vous ne perdrez jamais le merveilleux en vous. Il ne sera jamais contre vous. Il est vous.
Votre amie fidèle, en trois initiales,
C.-A. F.







***
Je reviendrai bientôt. Je vous laisse en compagnie du très bel album hivernal de Sting (à écouter ici). Christmas at Sea - d'après un texte de... Stevenson - a provoqué en moi une émotion qui m'a prise de cours. Cet album, qui célèbre la douce mélancolie de l'hiver, reprend quelques chansons traditionnelles des Bristish Isles. Sting a également écrit deux nouvelles chansons pour ce disque. Vous reconnaîtrez notamment la Cold Song du très beau King Arthur de Purcell, immensément popularisée en son temps par le regretté Klaus Nomi. N'omettez pas de lire le livret de ce disque, car la présentation du disque par son auteur donne un autre relief à sa création...



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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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