mercredi 11 mai 2011
Lieber Freund, siehst du denn nicht,
dass alles das, was unsere Augen schaue
nur Abglanz ist von Ungesehenem?
Lieber Freund, hörst du denn nicht,
dass alles was unsere Ohren hören,
nur ein Widerhall ist, ein entstellter Widerhall
von triumphierenden Harmonien?
Lieber Freund, spürst du, ahnst du denn nicht,
dass es nur eins auf der Erde gibt -
das ist das, was ein Herz dem anderen
in einem wortlosen Gruss sagen kann.
Zitat der mündlichen Wiedergabe von Swetlana Geier im Film Die Frau mit den 5 Elefanten.
J'aime beaucoup lire en allemand, à haute voix. Alors que mon coeur (et mon esprit) est sans aucun doute anglais, ma voix est allemande. J'ai toujours eu honte de mon accent anglais, à l'instar de bon nombre de mes compatriotes, semble-t-il ; je possède, sans efforts, un très bon accent allemand. Helléniste et latiniste (jadis je l'étais ; je ne prétendrai plus l'être aujourd'hui sans rougir de mon impudence), l'allemand m'a toujours paru une langue aisée à apprendre. Étrangement, l'anglais que je lis et écris désormais chaque jour, m'a toujours semblé être une conquête. Peut-être parce que tout le monde parle et lit (très mal) l'anglais sans se rendre compte à quel point cette langue est plus subtile et plus difficile à apprivoiser qu'il n'y paraît, jusque dans certains raffinements de la ponctuation... Ou peut-être que tout cela n'est qu'une illusion et que l'anglais m'apparaît tel parce que je suis plus exigeante envers moi-même à son endroit et que, plus on connaît une langue, plus on en mesure l'impénétrabilité pour celui qui n'est pas né d'elle. Néanmoins, je ne partage pas l'avis de cet ancien ami (il faudrait inventer un mot pour ceux qui ne sont plus nos amis et que, pourtant, on n'a pas rejetés soi-même et pour lesquels on entretient encore certain souvenir sans désirer, cependant, réparer ce fil à jamais cassé), un Américain, à qui je dois d'avoir terminé ma thèse de philosophie, et qui m'a beaucoup appris, notamment que ce qui m'était le plus naturel était étrangeté aux yeux des autres. C'était un érudit qui pensait que l'on ne pouvait apprendre la langue "livresquement". Mais, pour moi, et ce dans toutes les langues, le réel est détenu par les livres. Je me fous totalement du monde extérieur s'il ne m'offre pas une occasion d'écrire ou de me replonger dans mes lectures. À défaut de m'avoir détournée de la traduction en me décourageant de la sorte, en désirant, consciemment ou non, détruire cette foi, ce feu dont il était jaloux ou qui le brûlait, il m'a appris que ce à quoi je tenais vraiment était plus élaboré et construit, choisi, que je ne l'imaginais. Comme si les choses s'écrivaient et se construisaient en moi sans que j'y participe consciemment. Je lui dois beaucoup, quoi qu'il en soit, et je le remercie. Je ne suis ni ingrate ni amnésique. Cet homme prétendait donc que pour "maîtriser" (horrible terme ; on n'est pas plus maître d'une langue que de ses sentiments – du moins, dans ma contrée...) une langue, il fallait vivre à son contact dans ce qu'il appelait la "vraie vie", à savoir dans le pays, en se frottant aux gens ordinaires. Rien de plus faux, selon moi, si l'on veut bien dépasser les évidences. Bien sûr qu'être immergé dans un idiome, vous rend poreux à la langue qui n'est pas la vôtre, à divers niveaux de conscience et d'aveuglement ; la langue devient aisée et instinctive ; mais, précisément, cette porosité a cet inconvénient qu'en vous rendant familier d'une langue qui vous assaille et s'infiltre en vous, vous perdez peu à peu tout étonnement face à elle et elle vous devient si naturelle que vous ne l'interrogez plus avec la prudence et le respect ou la distance circonspecte de l'étranger. J'ai fait cette expérience avec un certain nombre d'amis anglais ou américains qui sont, chose rare, de bons lecteurs, et qui passaient à côté de subtilités de leur propre langue parce qu'ils la traitaient, sans s'en rendre compte, comme une maîtresse tout acquise à leur cause. Je songe, bien évidemment, à mes traductions de Barrie, mais pas uniquement. J'ai d'ailleurs l'espoir de publier bientôt un livre inédit de Sir James Matthew...
La traduction est une aventure passionnante, sans fin, qui vous apprend, chaque jour, l'humilité et la ferveur. L'échec. La force d'âme, sans cesse régénérée par elle-même. Et c'est ainsi que ma propre langue m'est devenue étrangère et que je désire la reconquérir. Mais cela est encore une autre histoire...
J'ai peu de héros traducteurs (Sylvère Monod, Armel Guerne), mais quelques-uns sont des modèles pour moi, et Marie Canavaggia, surtout connue de nos jours pour sa dévotion à Louis-Ferdinand Céline, est sans conteste l'un d'entre eux. De sa conception de la traduction – elle n'était pas une mercenaire de l'édition : elle élisait des livres qu'elle traduisait par amour et ensuite recherchait des éditeurs pour les publier – jusqu'au choix des livres qu'elle a traduits par passion (je songe par exemple aux livres des frères Powys), aux lettres qu'elle envoyait à certains auteurs admirés afin qu'ils découvrissent tel ou tel livre (par exemple, Bachelard découvrant l'Autobiographie de J. C. Powys),
je reconnais en elle certaines de mes aspirations et de mes manières. Jamais je n'aurai le millième de son immense talent ni même son savoir-faire, mais je me sens proche d'elle, et ainsi elle est l'un de mes héros traducteurs. Vialatte (découvert grâce à mon mari, mon Grand Amour) est un autre de ces héros, parce qu'il s'est uni d'âme à un auteur, Kafka, qu'il a servi toute sa vie. Je me reconnais dans ce doux sacerdoce. Un traducteur est d'abord un amant du texte, pas un professeur, un légiste ou un douanier. Ensuite, il peut être ce qu'il veut. Aimer le texte avec jalousie et férocité est la condition sine qua non, ensuite on peut être un peu injuste et subjectif. Ce n'est surtout pas quelqu'un qui ne commet aucune erreur, car certains faux sens ou contresens, volontaires ou inconscients, sont parfois révélateurs de l'état d'âme du lecteur / traducteur. Ces lapsus font parfois découvrir, très ironiquement, certains détails cachés du texte original, comme si l'auteur entretenait une relation d'amour et de haine avec son traducteur, fût-il mort depuis des siècles.
J'aime assez cette description de Vialatte par Michel Perrin (Entretiens, Éd. Subervie, 1976) :
J'aime écrire de longues lettres d'amour raturées (mes diverses versions d'une traduction) à Barrie ; c'est ainsi que je conçois mon modeste travail de traducteur, éternellement en apprentissage, en colère et en retard.
J'ai peu de héros traducteurs (Sylvère Monod, Armel Guerne), mais quelques-uns sont des modèles pour moi, et Marie Canavaggia, surtout connue de nos jours pour sa dévotion à Louis-Ferdinand Céline, est sans conteste l'un d'entre eux. De sa conception de la traduction – elle n'était pas une mercenaire de l'édition : elle élisait des livres qu'elle traduisait par amour et ensuite recherchait des éditeurs pour les publier – jusqu'au choix des livres qu'elle a traduits par passion (je songe par exemple aux livres des frères Powys), aux lettres qu'elle envoyait à certains auteurs admirés afin qu'ils découvrissent tel ou tel livre (par exemple, Bachelard découvrant l'Autobiographie de J. C. Powys),
J'aime assez cette description de Vialatte par Michel Perrin (Entretiens, Éd. Subervie, 1976) :
n
Il y a un siècle que je n'ai pas donné d'autres nouvelles. Aux amis, aux lecteurs et aux inconnus de passage. Pourtant, j'ai tant d'histoires à vous raconter, des vraies et des fausses. Je me contenterai aujourd'hui de laisser quelques lignes ici pour témoigner de cette minute vécue, ce matin, entre deux voyages. Une minute mauve. Ce billet n'est qu'un vagabondage auquel il vous appartient d'avoir la bonté de trouver quelque cohérence.
Chaque minute recèle un monde, un univers en miniature, une source où je m'abreuve, comme l'héroïne bien réelle de ce film découvert il y a quelques semaines, qui aspire, une dernière fois, avant de mourir, à boire à la source aux cigognes – ses cigognes, les oiseaux de son enfance. Du temps, je n'en ai jamais eu, j'en ai encore moins depuis que mon enfant est né, mais paradoxalement je n'ai jamais fait autant de choses. Certes, je ronge mon frein souvent, car je suis un être de fracas et de fureur et je dois consciencieusement apprendre la lenteur, mais je découvre l'envers de mon existence. Et cela n'a pas de prix. Bien sûr, je ne cesse d'écrire, mais avec des projets de publication bien déterminés, d'autres rêvés. J'écris pour les quelques lecteurs idéaux auxquels je pense toujours, lorsque je m'engage sur un chemin ; j'écris également pour mon enfant, mais des songes remisés dans un cahier relié de cuir. C'est là toute la transmission dont je suis un peu capable, le seul héritage que je puisse lui laisser. À mes amis, je n'écris plus, en revanche. Ce n'est pas un choix, ou plus exactement, c'est le choix de leur écrire en différé, en apparence impersonnellement, mais plus proche d'eux qu'ils ne le pensent probablement, en me fracassant dans mon travail d'écriture et de traduction. Je n'ai rien d'autre à offrir : le meilleur de moi est dans mon travail. Quelques amis le savent et respectent la forteresse, aimant quelquefois l'ermite que je suis également pendant des mois.
Chaque minute recèle un monde, un univers en miniature, une source où je m'abreuve, comme l'héroïne bien réelle de ce film découvert il y a quelques semaines, qui aspire, une dernière fois, avant de mourir, à boire à la source aux cigognes – ses cigognes, les oiseaux de son enfance. Du temps, je n'en ai jamais eu, j'en ai encore moins depuis que mon enfant est né, mais paradoxalement je n'ai jamais fait autant de choses. Certes, je ronge mon frein souvent, car je suis un être de fracas et de fureur et je dois consciencieusement apprendre la lenteur, mais je découvre l'envers de mon existence. Et cela n'a pas de prix. Bien sûr, je ne cesse d'écrire, mais avec des projets de publication bien déterminés, d'autres rêvés. J'écris pour les quelques lecteurs idéaux auxquels je pense toujours, lorsque je m'engage sur un chemin ; j'écris également pour mon enfant, mais des songes remisés dans un cahier relié de cuir. C'est là toute la transmission dont je suis un peu capable, le seul héritage que je puisse lui laisser. À mes amis, je n'écris plus, en revanche. Ce n'est pas un choix, ou plus exactement, c'est le choix de leur écrire en différé, en apparence impersonnellement, mais plus proche d'eux qu'ils ne le pensent probablement, en me fracassant dans mon travail d'écriture et de traduction. Je n'ai rien d'autre à offrir : le meilleur de moi est dans mon travail. Quelques amis le savent et respectent la forteresse, aimant quelquefois l'ermite que je suis également pendant des mois.
Jadis, il y a encore cinq mois, j'allais au cinéma plusieurs fois par semaine ; désormais, je ne le puis ni ne le veux (je ne veux manquer aucune minute de la vie de cet enfant), mais renoncer au cinéma pendant quelques mois m'est impossible, alors j'acquiers en DVD, à l'étranger ou en France, les films qui sortent sur nos écrans et que je ne suis pas en mesure d'aller voir en salles. Il y a une vertu à découvrir avec un léger décalage les films qui sortent sur les écrans : on va à l'essentiel (le mien), là encore...
Récemment, je me suis procuré en Allemagne, via amazon, le DVD de ce film qui est encore sur les écrans, à Paris et dans quelques villes de province.
Le film de Vadim Jendreyko est une merveille rare. Il nous donne à contempler la vieillesse, l'amour de la littérature, une vie dédiée à la traduction, aux mots et au silence.
Les héros véritables ne font pas de bruit et leurs causes sont plus personnelles qu'on ne se l'imaginerait et, par un étrange paradoxe, elles deviennent universelles. Je n'ai jamais cru au sacrifice. Les seuls héros sont ceux qui ne sacrifient rien aux autres, mais tout à une passion, à une idée, à ce qui les fait vivre.
La traduction peut être une forme d'héroïsme et d'égoïsme. L’altruisme n'est jamais qu'un hasard ou un égoïsme heureux. La vie de Svetlana Geier en est un parfait exemple. Miraculeux fruit d'une Histoire ambiguë dont elle ne parlera pas ou très peu.
Un grand texte captive le lecteur / traducteur.
Savoir lire signifie, comme je l'ai toujours pensé et écrit, communier avec un texte. Un acte de foi, une intuition de type intellectuel. Ceux qui lisent pour se divertir, pour en tirer une jouissance, celle de la fuite et de l'oubli, ne savent pas lire. J'ai toujours éprouvé le plus grand mépris pour ceux qui ne savent faire que cela, qui ne connaissent jamais d'autre lecture. Il n'y a que celui qui travaille le texte comme une pâte qui est un véritable lecteur. Il souligne, il annote, il revient en arrière, il s'acharne sur les pages... À cet égard, les scènes où l'héroïne de ce film (documentaire) prépare des plats assez complexes ne sont pas anecdotiques. Il y a la même précision, le même instinct, le même pétrissage dans ce travail prosaïque et celui de la traduction. Savoir lire est une chose extrêmement rare. Savoir bien lire est un miracle. Personnellement, je ne pense pas avoir été touchée par cette dernière grâce. Mais je pense savoir lire, parfois, ou pour le moins ne jamais perdre la conscience de ce que cet acte sacré requiert.
Les fils du texte sont tordus, subvertis, par la brutalité de certains contacts. Dérangés. Il en est de même pour le texte maltraité par le lecteur jouisseur et bête. Pourtant, le chemin est tracé dans le texte, route immobile, immuable, comme ces lignes gravées dans la paume de nos mains. Il y a un pli, quelque part, dont la trace est à retrouver. Parfois invisible à l'oeil myope ou hypermétrope, le pli est toujours là. Il suffit d'accommoder sa vision pour le voir. Cela exige un effort que bien peu sont prêts à consentir.
On ne le peut qu'en se mettant dans la disposition de lire vraiment, en faisant au texte l'offrande de notre plaisir immédiat pour n'être que tension et attention aux mots. Ne pas les recouvrir de notre propre voix, de nos fantasmes, mais les laisser se déployer et permettre au texte de parler son propre dialecte, au creux de la langue mère. Le lecteur jouisseur, lui, ne sait pas qu'il existe un tel dialecte.
Barrie comparait toujours son travail d'écriture au tissage... Et il était un tisseur de génie. Il suffit d'être attentif et d'analyser sa méthode. Il entrelaçait avec malice et intelligence le scots à l'anglais. Un fil d'or parmi mille fils ordinaires.
Une toile d'araignée avec au centre une tache aveugle.
On est toujours le premier amant d'un texte lorsqu'on le lit (vit) véritablement.
Être un explorateur, un découvreur de sens, avoir le sentiment que l'on voit ce que personne d'autre n'a vu avant et ne verra jamais après nous. La force d'un grand texte, c'est cela : être à chaque instant inédit pour celui qui le lit et le relit. Cela et l'illusion qu'il offre la possibilité, pour l'éternité, de demeurer tel, malgré toutes les lectures possibles, qui ne le pénètrent jamais assez au point de le déchirer ou de le trouer.
Une scène de ce documentaire m'a bouleversée, car elle parle de deux qualités essentielles de l'humanité : la transmission et la destruction. Svetlana sort du linge brodé, hérité de sa mère, et explique comment il a été brodé, ajouré : il faut briser les fils et reconstruire une harmonie entre eux, ensuite. Métaphore de l'existence humaine.
Mon enfant a reçu en cadeau, à sa naissance, une robe de baptême, anglaise, de la fin de l'époque victorienne, de la part d'êtres qui me sont chers. Peut-être même qu'il s'agissait de la robe de baptême de Peter Pan... Je la lui léguerai ainsi, en tout cas.
Quel est le motif de mon existence ? De la vôtre ? Le sait-on avant le dernier jour ?
C'est peut-être la plus belle réflexion de ce film. Et elle nous en apprend beaucoup sur les zones de son existence demeurées dans l'ombre, car on sait peu de choses sur la vie de Svetlana, sur ses relations avec les Allemands, etc.
Demeure le portrait lumineux de cette femme à la fin de sa vie, à laquelle de grands chagrins ne furent pas épargnés, mais qui demeure solide jusqu'au bout, à peine vacillante, y compris devant la mort d'un fils tendrement aimé. J'aimerais être à mon âge ce qu'elle fut encore à la fin de sa vie. Elle aimerait retrouver le pays de son enfance, celui que l'on ne quitte jamais et celui qui demeure à jamais fermé.
Récemment, je me suis procuré en Allemagne, via amazon, le DVD de ce film qui est encore sur les écrans, à Paris et dans quelques villes de province.
Le film de Vadim Jendreyko est une merveille rare. Il nous donne à contempler la vieillesse, l'amour de la littérature, une vie dédiée à la traduction, aux mots et au silence.
Les héros véritables ne font pas de bruit et leurs causes sont plus personnelles qu'on ne se l'imaginerait et, par un étrange paradoxe, elles deviennent universelles. Je n'ai jamais cru au sacrifice. Les seuls héros sont ceux qui ne sacrifient rien aux autres, mais tout à une passion, à une idée, à ce qui les fait vivre.
La traduction peut être une forme d'héroïsme et d'égoïsme. L’altruisme n'est jamais qu'un hasard ou un égoïsme heureux. La vie de Svetlana Geier en est un parfait exemple. Miraculeux fruit d'une Histoire ambiguë dont elle ne parlera pas ou très peu.
Un grand texte captive le lecteur / traducteur.
Savoir lire signifie, comme je l'ai toujours pensé et écrit, communier avec un texte. Un acte de foi, une intuition de type intellectuel. Ceux qui lisent pour se divertir, pour en tirer une jouissance, celle de la fuite et de l'oubli, ne savent pas lire. J'ai toujours éprouvé le plus grand mépris pour ceux qui ne savent faire que cela, qui ne connaissent jamais d'autre lecture. Il n'y a que celui qui travaille le texte comme une pâte qui est un véritable lecteur. Il souligne, il annote, il revient en arrière, il s'acharne sur les pages... À cet égard, les scènes où l'héroïne de ce film (documentaire) prépare des plats assez complexes ne sont pas anecdotiques. Il y a la même précision, le même instinct, le même pétrissage dans ce travail prosaïque et celui de la traduction. Savoir lire est une chose extrêmement rare. Savoir bien lire est un miracle. Personnellement, je ne pense pas avoir été touchée par cette dernière grâce. Mais je pense savoir lire, parfois, ou pour le moins ne jamais perdre la conscience de ce que cet acte sacré requiert.
Les fils du texte sont tordus, subvertis, par la brutalité de certains contacts. Dérangés. Il en est de même pour le texte maltraité par le lecteur jouisseur et bête. Pourtant, le chemin est tracé dans le texte, route immobile, immuable, comme ces lignes gravées dans la paume de nos mains. Il y a un pli, quelque part, dont la trace est à retrouver. Parfois invisible à l'oeil myope ou hypermétrope, le pli est toujours là. Il suffit d'accommoder sa vision pour le voir. Cela exige un effort que bien peu sont prêts à consentir.
On ne le peut qu'en se mettant dans la disposition de lire vraiment, en faisant au texte l'offrande de notre plaisir immédiat pour n'être que tension et attention aux mots. Ne pas les recouvrir de notre propre voix, de nos fantasmes, mais les laisser se déployer et permettre au texte de parler son propre dialecte, au creux de la langue mère. Le lecteur jouisseur, lui, ne sait pas qu'il existe un tel dialecte.
Barrie comparait toujours son travail d'écriture au tissage... Et il était un tisseur de génie. Il suffit d'être attentif et d'analyser sa méthode. Il entrelaçait avec malice et intelligence le scots à l'anglais. Un fil d'or parmi mille fils ordinaires.
Une toile d'araignée avec au centre une tache aveugle.
On est toujours le premier amant d'un texte lorsqu'on le lit (vit) véritablement.
Être un explorateur, un découvreur de sens, avoir le sentiment que l'on voit ce que personne d'autre n'a vu avant et ne verra jamais après nous. La force d'un grand texte, c'est cela : être à chaque instant inédit pour celui qui le lit et le relit. Cela et l'illusion qu'il offre la possibilité, pour l'éternité, de demeurer tel, malgré toutes les lectures possibles, qui ne le pénètrent jamais assez au point de le déchirer ou de le trouer.
Une scène de ce documentaire m'a bouleversée, car elle parle de deux qualités essentielles de l'humanité : la transmission et la destruction. Svetlana sort du linge brodé, hérité de sa mère, et explique comment il a été brodé, ajouré : il faut briser les fils et reconstruire une harmonie entre eux, ensuite. Métaphore de l'existence humaine.
Quel est le motif de mon existence ? De la vôtre ? Le sait-on avant le dernier jour ?
C'est peut-être la plus belle réflexion de ce film. Et elle nous en apprend beaucoup sur les zones de son existence demeurées dans l'ombre, car on sait peu de choses sur la vie de Svetlana, sur ses relations avec les Allemands, etc.
Demeure le portrait lumineux de cette femme à la fin de sa vie, à laquelle de grands chagrins ne furent pas épargnés, mais qui demeure solide jusqu'au bout, à peine vacillante, y compris devant la mort d'un fils tendrement aimé. J'aimerais être à mon âge ce qu'elle fut encore à la fin de sa vie. Elle aimerait retrouver le pays de son enfance, celui que l'on ne quitte jamais et celui qui demeure à jamais fermé.
Elle ne le fera pas, car elle ne retrouvera pas cette source vive.
On ne retrouve jamais la source de l'enfance, même si on en retrouve le chemin, parce qu'elle disparaît avec la jeunesse, parce que l'on en a déjà bu toute l'eau possible, jadis.
L'enfance se nourrit de peu, mais elle dévore l'univers tout entier, car ce peu est tout. L'enfance est un ogre. Après viendra la famine de l'âge adulte, cette faim terrible que seule la mort peut apaiser.
****
Petit billet écrit (pour Virginia, entre autres, mais surtout pour elle) en écoutant ce disque magnifique (encore, oui !)...
Il vient d'être réédité. Je le signale aux admirateurs de Christophe, car le CD était difficile à trouver.
Quelques chapitres...
Les roses du Pays d'Hiver
Retrouvez une nouvelle floraison des Roses de décembre ici-même.
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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