mardi 13 juin 2006
Le 1er décembre dernier, j'écrivais ceci, ici même (sans extraits vidéos ni musicaux) :
"Quant à L'affaire Thomas Crown, il faut préciser que c’était le film préféré de Steve McQueen pami tous ceux qu'il a tournés. Michel Legrand contribua beaucoup au film, et pas seulement d’un point de vue musical. En effet, le réalisateur (Norman Jewison) avait, comme l'explique le musicien, beaucoup de difficulté à monter son film et il avait décidé de le faire en fonction de la musique de Legrand.
Legrand.
Ce dernier lui avait suggéré cette brillante idée. C'est ainsi qu'une partie d'échecs dura plus de sept minutes dans le film !
Thomas Crown Vidéo envoyée par misshollygolightly
Le plus long baiser du monde serait dû à la musique de Legrand. Je pensais que c'était le baiser d'Ingrid Bergman et de Cary Grant dans Notorious qui détenait ce record torride !
Je vais chronométrer pour vérifier, mais je crains que Michel Legrand n’ait raison !"
Le générique est une pure merveille. Jewinson use de la technique du split-screen (l'écran fendu): il découpe des images en carré ou en rectangle et les juxtapose. Cette technique fut très en vogue dans les années 50 et 60. Récemment, Tarantino l'a reprise dans une scène de Kill Bill volume 1.
Vidéo envoyée par misshollygolightly
Ce premier contact avec le film anticipe la partie d'échecs et surtout son damier. Les images multiples entraînent un effet de simultanéité, de dédoublement de l'action et de la personnalité, une fragmentation de l'espace et du temps. Les regards s'opposent. Attraction, répulsion, jeu de dupes, affinités électives... les cases sont aussi le symbole de l'enfermement du personnage principal, qui s'ennuie dans son existence, et aspire peut-être à de grandes aventures, à une mise en danger, en vue de reconquérir un sens à sa vie. On ne pénètrera jamais dans son existence : tout nous est scellé, hormis le fait qu'il a été marié et qu'il a des enfants.
Encore une fois, Steve McQueen donne vie à un personnage solitaire qui met en jeu sa vie (Cf. Cincinnati Kid du même réalisateur, se référer aux billets antérieurs.) 
La chanson originale vous rappellera la version française de cette même chanson,
Les moulins de mon coeur :
Michel Legrand est très sous-estimé en France. Pourtant, qui peut se vanter de posséder un style aussi plein d'allant ? Trois mesures, et l'on reconnaît l'homme.
Après avoir revu ce film, hier soir, je crois que je suis davantage en mesure de l'apprécier.
NE PAS LIRE CE QUI SUIT SI VOUS N'AVEZ PAS VU LE FILM !
La fin est sans conteste extrêmement satisfaisante pour le spectateur : le héros s'envole quelque part, libre, puisque l'air est son élément et la séductrice aux bas blancs demeure au sol, attachée à sa mission, à ses principes peut-être, mais perdante. Pourquoi pleure-t-elle ? On pourrait penser qu'il s'agit de rage, mais l'on comprend qu'elle est déçue que sa proie ou son compagnon de jeu ne l'ait pas aimée au point de réellement prendre le rique d'être trahi.
La partie d'échecs extrêmement érotique (il suffit de regarder les gestes de la femme, les caresses qu'elle adresse aux pièces) n'était que la métaphore de ces autres jeux que sont l'enquête et l'histoire d'amour. Thomas Crown n'existe que par le jeu qui construit une quatrième dimension dans laquelle il s'ébat ; il vit dans les multiples reflets que son activité ludique projette autour de lui - d'où la scène du miroir lorsqu'il trinque à sa propre santé après son coup de maître. Son rire ne renvoie aucun écho pourtant ; il est seul. Son jeu, lui-même, s'exerce à distance, comme s'il manoeuvrait des pions télépathiquement. 
Thomas Crown a du panache, bien que Steve McQueen apparaisse moins fringant que dans d'autres films. Je suis moins convaincue par le rôle de mangouste de Faye, avec ses faux cils et ses collants blancs, outrageusement fardée.
Le télégramme apporté par un coursier, dans sa propre Rolls, à Faye D., dit ces mots : 
"Left early. Please come with the money... or, you keep the car. All my love, Tommy."
"Parti tôt. Amène l'argent avec toi, s'il te plaît... ou garde la voiture. Avec tout mon amour, Tommy."
lundi 12 juin 2006
Robert Vaughn (éternellement associé dans mon esprit à cette série

Illya Kullyakin (le blondinet, un agent russe, interprété par David Mc Callum) et Napoléon Solo (Robert Vaughn, le brun ténébreux, l'agent américain)...

que j'adorais, lorsque j'étais enfant, Des agents très spéciaux - The man from U.N.C.L.E.), impeccable dans ce rôle d'homme un tantinet psychorigide et cynique se heurte au solitaire et noble Lieutenant Bullitt
(Steve McQueen) dans une affaire compliquée de substitution de témoins.

La musique lancinante est de Lalo Schiffrin, bien connu du grand public pour son célèbre générique de la série Mannix.

mannix.
La bande originale du film colle à l'image comme un morceau de scotch qui ferait tenir ensemble les divers morceaux d'une image.
Bullitt est l'antithèse de l'Inspecteur Harry. Bullitt ne parle pas, Bullitt ne brasse pas du vent, Bullitt ne casse pas les portes et ne flingue pas tous azimuts. Bullitt marche lentement, il rigoureux et économe de ses actes mais il va droit au but. 
Steve McQueen paraît ressentir une immense douleur intérieure, une compassion muette qui ne peut s'exprimer que par le devoir auquel il est enchaîné. Sa compagne, Jacqueline Bisset, semble être heurtée par cette apparente froideur, mais la fin du film laisse présager de sa part une meilleure compréhension de l'homme.

Karl Malden est magnifique dans ce rôle, qui me rappelle celui qu'il joue dans Baby doll d'Elia Kazan : un homme, qui a épousé une femme trop jeune pour lui, une trainée en qui il veut voir un ange, qui attend d'elle de l'amour, quand celle-ci n'aime que la perte des hommes qui s'amourachent d'elle. Tout se passe comme si elle éprouvait un mépris, qu'elle ne s'avoue peut-être pas à elle-même, pour ceux qui ont la faiblesse de l'aimer, car elle-même ne s'abaisse pas à éprouver de l'amour. Ni pour elle ni pour les autres. Jusqu'au désir de cette femme, tout en elle semble feint. Seul le goût du sang lui est authentique.

Dans les deux cas, Malden va sombrer. Ici, la chute tient à une fraction de seconde, à une hésitation qui lui fait perdre son honneur, car un salopard saisit au vol cette faiblesse.
Une très belle idée exprime le caractère vicieux de ce ce vampire féminin, qui se délecte autant des combats de coqs que ceux des hommes, est offerte au début du film. Elle retaille les pièces d'un puzzle afin que celles-ci s'emboîtent les unes dans les autres. La perversité de cette femelle est dite magistralement. Et Malden de la sermonner et de lui exprimer son dégoût de la triche... alors qu'il va bientôt être acculé à cette honte.

Un enfant ne serait pas assez dénaturé pour tricher de la manière brutale de ce monstre auburn au sourire carnassier, car les petites personnes savent bien que tricher, c'est tenter de se tromper soi-même et se condamner à une impossibilité.

Je me plais à savourer une rétrospective Steve McQueen at home, en 7 films. Ce bel acteur, dont les yeux et les mouvements faciaux parlent autant sinon plus que sa bouche, est de la trempe des Clint Eastwood (et vice-versa). Seul un Delon* (ne serait-ce que dans le superbe Samouraï), en France, me paraît à la hauteur de ces hommes.
Mon choix s'est dessiné de la sorte :
* Bullitt (1968) de Peter Yates.
* The Getaway (1972) : un des mes films préférés, par le sulfureux Sam Peckinpah, avec Ali MacGraw. Une échappée dangereuse et palpitante.
* Never So Few de John Sturges (1959).
* Papillon de Franklin J. Schaffner (1973).
* Tom Horn (1980).
Et bien sûr L'affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison - oubliez Pierce Brosnan (pourtant séduisant mais bien trop glamour pour l'être réellement) et le remake.
Aujourd'hui, me prend l'envie de parler avec hâte de Cincinnati kid.
Un classique à l'état pur. Une manière de perfection si l'on juge à l'efficience. Les nerfs du spectateur sont tendus. J'ai ressenti ce trouble dans les casinos, où l'on ne combat que soi, finalement. Le jeu est une métaphore de l'existence humaine. Nul besoin d'invoquer Eugen Fink et son livre brillant pour ressentir l'évidence du propos. Les cartes sont le destin, mais un destin que l'on croit pouvoir maîtriser et modeler puisqu'on le tient entre les mains. Erreur ! Le jeu n'est qu'une circonstance à l'intérieur de circonstances plus grandes.

Le jeu est aussi un suicide différé.

Ce film est l'une des matrices du genre.

La réalisation de Norman Jewison est d'une efficacité redoutable dans sa sobriété même et sa précision chirurgicale. Le prélude constitué par un générique en forme de marche funèbre : un enterrement noir américain, en fanfare, est une introduction sensible qui donne la couleur et le ton du film. La demi-teinte. Tristesse et gaiété, l'une dans l'autre.

Les dialogues sont vifs, plutôt coupants, et Steve McQueen est parfait dans ce son rôle d'homme solitaire, qui parle peu, qui agit selon des principes froids et nobles, et qui n'encourt pas moins une forme de perte de lui-même.
Je vous propose quelques extraits.

Ici, le jeune ange qui s'est épris de cet homme, peu enclin à communiquer des sentiments pourtants réels, lui demande ce qu'elle attend de lui, puisqu'elle décide de partir tout à coup. Il suggère qu'elle aimerait le mariage - tel est, bien évidemment, le cas. La question est brusque -un instant le visage de la jeune fille exprime l'espoir puis celui-ci meurt sans mot dire - et n'appelle pas de réponse.

Elle part.

Elle voudrait qu'il la retienne.

C'est toujours la même histoire.

* Alain Delon et Mireille Darc devraient jouer au théâtre, en 2007, Sur la route de Madison...

vendredi 9 juin 2006
Je suis plongée avec délectation dans la biographie de Lewis Carroll par Derek Hudson. J'ignore si elle fut traduite en français. Je gage la négative. J'y retrouve des choses connues et je découvre de charmants détails. Saviez-vous que Saki avait écrit une satire poltique en s'inspirant d'Alice ? Probablement tout n'est-il pas exact, mais cette biographie compta beaucoup en son temps, et encore de nos jours. Je ne suis guère loin de Barrie, lorsque je m'intéresse à Carroll. Il me semble même que leurs portraits croisés produisent en moi une étincelle de lucidité quant à leur art si particulier. Leurs esprits sont cousins en bien des points, il est mêmes des coïncidences et des concordances, et je crois que je vais écrire un petit essai à ce sujet... Non, je ne le crois, je le sais pertinemment, puisque mon Moleskine commence à germer d'idées ! J'ai d'ailleurs décidé de consacrer à Carroll une part de mon forum Barrie, désormais actif, et qui a l'honneur de compter parmi ses premiers inscrits, Robert Greenham, auteur d'un livre aussi charmant que documenté sur un fragment de la vie de Barrie. Sa grand-mère fut gouvernante, un temps, des Barrie et il nous raconte, à travers les yeux de sa grand-mère (ou les siens !) un peu de leur vie... et il émet des hypothèses très intéressantes sur un certain nombre de points, dont l'origine du Capitaine Crochet (je connaissais deux ou trois sources auxquelles s'abreuve ce sinistre personnage, mais celle qu'il a découverte m'a ébahie)... J'en dirai plus sur la page que je vais consacrer à son livre. Il a même corrigé certaines de mes petites erreurs (des dates ; par exemple, Margaret Henley n'avait pas six ans mais cinq ans et cinq mois à sa mort, certificat de naissance à l'appui) : j'ai encore beaucoup à apprendre sur et de Barrie... Je suis une néophyte. Mais l'objet de ma visite du jour sur ce JIACO est Lewis Carroll. A la fois romancier, fantaisiste au quotidien, inventeur d'objets délirants et utiles (un nyctographe), photographe, peintre et dessinateur, célibataire endurci et excentrique. Il me donne l'élan, le feu sacré pour oser vivre au-dessus de mes moyens (intellectuels et artistiques). Whimsical est le mot anglais qui caractérise Barrie et Carroll et que l'on peut traduire par fantasque, mais il recouvre plus de sens selon moi. J'aurais tant aimé recevoir des lettres écrites en écriture inversée, qu'il faut placer devant un miroir pour les déchiffrer. Les petites filles amies de Carroll avaient bien de la chance, n'est-ce pas ? Je vous recommande vivement cette biographie écrite par son neveu : http://www.gutenberg.org/files/11483/11483-h/11483-h.htm rédigée à la demande de ses frères et soeurs. Elle est abondamment illustrée et plutôt fiable. Je l'ai commandée en occasion et escompte la recevoir prochainement. Autres liens : http://www.philobiblon.com/isitabook/games/ http://www.lewiscarroll.org/carroll.html P.S. : l'album de la Pléiade dédié à Carroll est exquis.
http://www.dailymotion.com/misshollygolightly/video/240018
Il pourrait constituer le dernier bouton de ce bouquet de roses hivernales. Si je devais, pour une raison ou une autre, mettre un terme à ce JIACO, un billet de cette nature ferait l'affaire en guise d'adieu.
Nous n'en sommes pas là.
Scorsese est un de mes cinéastes fétiches. Il ne s'est jamais limité à une forme d'expression, à un genre cinématographique défini. Il n'a pas de genre, à vrai dire. Il est au-delà de ce qui peut apparaître soit comme une mesquinerie soit comme une impossibilité ou un aveu d'impuissance. Mais il possède mieux que ça : un style, qu'il s'exprime dans des oeuvres de vaste envergure cinématographique, pleines de bruit et de fureur, tel Gangs of New York ou encore Aviator, ou dans des oeuvres plus dures et intimistes, avec un esthétisme moins affirmé mais tout aussi prégnant, tel ce film-ci. Le fil conducteur, s'il faut le tirer, serait peut-être une forme de violence sourde à l'égard de soi et des autres, une tristesse existentielle et une solitude (urbaine dans ce film). Scorsese est un passeur. Il suffit pour s'en convaincre de regarder son magnifique voyage à travers le cinéma américain et italien.
J'ai découvert Taxi driver, après mon voyage à New York, qui fut la grande Aventure de ma vie jusqu'à ce jour, car je n'ai rien d'un globe-trotter. J'ai horreur de bouger ; cela tient quasiment de la pathologie. Mais ce ne sera pas la dernière plongée ou contre-plongée hors de mes frontières intimes. J'ai le sentiment qu'il faut se faire violence malgré ses faiblesses. Les miennes sont chroniques. Est-ce pour cette raison que je comprends si bien le héros auquel De Niro, ce génie acteur, donne vie et presque mort ? L'empreinte de l'Etranger de Camus ou de la Nausée de Sartre dans ce film est flagrante. Absurdité du monde et des êtres qui sont sourds au mal-être "des gens". Paul Schrader avait lu ces deux livres, suite à une déception sentimentale, qui lui avait fait arpenter, de nuit, les rues de New York. Tout le monde sait que les chagrins d'amour sont de mauvais gardiens pour le sommeil ; le bonheur, lui, est un bouffeur d'insomnies. Le héros de ce film n'existe pas. Il se contente de vivre, de se déplacer d'un lieu à l'autre, dans la solitude et la violence urbaines d'une ville glauque, qui attend le crépuscule pour révéler son visage le plus sinistre. Il se veut aussi sourd ou absurde que le monde qui l'engloutit sans mot dire. Mais il se met en tête d'être amoureux. Mais il est gauche avec la jeune femme, qui le repousse, quand il l'emmène sans conscience de sa maladresse - habitué à la brutalité du monde qui l'habite et qu'il habite tout autant - dans un cinéma porno.
Cette rupture va le faire vaciller.
Le personnage est impossible à cerner si on cherche ses raisons. Il n'en a pas. Il est absence mais refuse de toutes ses forces ce vide. Sa cohérence tient à sa folie, qui n'est qu'excès de lucidité et qui le conduit nulle part.
Glauque.
Pour une fois, cet adjectif sera employé à bon escient. Glauque ne signifie pas, en premier lieu, la noirceur misérable et angoissée des bas-fonds mais la couleur de la mer. Pourtant cette ville est glauque par la marée humaine qui vient heurter son taxi jaune. Toute cette pourriture humaine - telle que la qualifie le narrateur-, de prostituées, de dealers, de gangsters, etc. est verte. Le préambule du film est magnifique et le discours intérieur du narrateur saisissant. On ne peut qu'être en état de choc. La voix de De Niro et la musique de Bernard Hermann (mort juste après avoir achevé cette partition) se mêlent pour former la plainte monotone du monde.
Ce film est un monologue même lorsqu'il est dialogue. C'est un long suicide qui ne prend pas fin. Les dernières images du film sont une illustration possible du Mythe de Sisyphe de Camus. Il faut imaginer Sisyphe [remplacer par le nom qui vous agrée] heureux."
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"En ce moment même - c'est affreux - si j'existe, c'est parce que j'ai horreur d'exister. C'est moi, c'est moi qui me tire du néant auquel j'aspire : la haine, le dégoût d'exister, ce sont autant de manières de me faire exister, de m'enfoncer dans l'existence. Les pensées naissent par derrière moi comme un vertige, je les sens naître derrière ma tête... si je cède, elles vont venir la devant, entre mes yeux - et je cède toujours, la pensée grossit, grossit, et la voilà, l'immense, qui me remplit tout entier et renouvelle mon existence. " (Sartre, La Nausée)
jeudi 8 juin 2006
Puisque indirectement Peter Falk était présent dans le billet précédent et dans un souci de lier au maximum chacun de ces billets
(Dans un ordre d’idées comparables, Columbo, inspiré à la fois du Père Brown de Chesterton et du Petrovitch de Dostoiëvski (Crime et Châtiment) dissimule son intelligence prodigieuse avec des ustensiles : son imperméable fripé, sa vieille voiture étrangère, sa femme, son chien, ses petites questions, ses anecdotes quelconques.)

je ne résiste pas à dire un mot de ce film que j'ai découvert, il y a quelques jours (alors qu'il orne depuis longtemps un angle de ma bibliothèque), The Brink's job
de William Friedkin. Le film relate, sur un ton qui hésite constamment entre la comédie parodique et le film de genre, le plus grand casse du siècle. Ce balancement indécis est cause d'une légère frustration du spectateur, car le film manque assurément de fermeté dans la ligne directrice. Rien n'est réellement développé jusqu'à ses conséquences ultimes et la fin prend au dépourvu. Le film n'est pas flatté par l'intelligence et la rigueur du scénario. Il demeure pourtant un film plaisant. Nous sommes très loin du film noir. Si vous vous attendez à ressentir des émotions comparables à celles que provoque Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, vous serez marris. Le film s'inspire d'une histoire véridique. Une bande de guignolos très sympathiques et tout aussi maladroits vivotent de gentils larcins (ils ne sont pas dangereux). Le "cerveau" de la bande, est Tony Pino (Peter Falk dans un registre inverse de celui de l'indémodable inspecteur Columbo y révèle, comme chez Wenders, son talent de comédien, souvent masqué par son identification avec l'homme à l'imperméable, devenu son double). Il s'aperçoit que la Brink n'est absolument pas une forteresse et que la "dame" peut être prise en un clin d'oeil, presque sans efforts. Il monte un coup avec ses associés et le tour (l'argent) est dans le sac ! Mais est-ce aussi simple au final ? Le film offre quelques beaux instants et trois ou quatre citations humoristiques. Je retiendrai cet homme qui se flatte d'avoir été volé par l'un des auteurs du coup d'éclat...
J'ai beaucoup glosé sur le bonhomme. Je crains d'avouer quelques centaines de mauvaises pages à son sujet dans mon ordinateur depuis quelques années. Je vais clore la discussion en postant un extrait d'une autre étude que j'avais tentée d'écrire concernant le bonhomme et qui fut refusée. Si on me le réclame à cor et à cri, je posterai le fichier pdf de cette dernière. Son âge mûr lui permet d’être un tant soit peu achevé ; c’est un homme fini, figé par l’expérience et peu enclin à la dérive des sentiments et des passions. C’est aussi l’homme sans âge, à savoir un archétype. Poirot vit au présent éternel. Au fond, on le constatera, ce qui importe, c’est sa capacité à penser sans être détourné par le besoin de s’accomplir dans une carrière ou par l’urgence de prouver sa valeur au monde. Sa réputation le précède. Il ne vit pas dans l’attente de devenir : il est. Poirot, tel David Copperfield naît coiffé (chauve), ou telle Athéna, casqué (muni d’une moustache épatante) et armé (de la raison). Il a déjà un passé, mais aucun futur ou présent : son destin est scellé. Il porte en lui son essence, qui, contrairement à ce qu’en dit Sartre au sujet de nous-mêmes, précède bien ici son existence. Sa situation est fondamentale pour comprendre ce que l’on peut juger être son extravagance. Poirot est, en effet, en dehors du monde. Il le contemple ; il ne participe pas à son mouvement. Il ne crée pas de cercles concentriques autour de lui. Dame Christie nous livre l’acte de naissance de Poirot :
«Quel détective pouvais-je engager ? Je passai en revue les détectives que j’avais rencontrés et admirés pendant mes lectures. Il y avait Sherlock Holmes, le seul et l’unique : je ne serai jamais capable de rivaliser avec lui. Il y avait Arsène Lupin : était-ce un criminel ou un détective ? De toute façon, ce n’était pas mon type. Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune : voici le genre de héros que j’aimerais inventer. Un personnage inédit. Qui engager ? Un écolier ? Plutôt difficile. Un scientifique ? Que savais-je des scientifiques ? Soudain, je songeai à nos réfugiés belges. (…) Pourquoi ne pas faire de mon détective un belge ? pensai-je. Il y en avait de toutes sortes, de ces réfugiés. Et pourquoi pas un officier de police réfugié ? Un officier de police à la retraite ? Un qui ne soit pas trop jeune. Quelle erreur commettai-je là ! Le résultat, c’est que mon détective fictif doit être bien plus que centenaire à l’heure actuelle. Je me décidai donc pour un détective belge. Je le laissai progressivement s’installer dans son rôle. Il aurait été inspecteur, de sorte qu’il posséderait une certaine connaissance en matière de crimes. Il serait méticuleux, très ordonné, me dis-je tandis que je rangeais moi-même pas mal de choses qui traînaient dans ma chambre.»
Cette dernière remarque n’est pas une parole en l’air : d’une certaine manière, Agatha Christie a calqué son personnage sur ses traits de caractères personnels. Sans conteste, la «reine du crime» souffrait des mêmes travers que Poirot : la rigueur de la femme écrivain transparaît dans le comportement du détective. Cette rigueur froide a l’inflexibilité de la logique. Au fond, Poirot a quelques caractéristiques, hormis sa moustache, d’un enfant, le sien ; elle insiste tant sur sa petite taille, qu’elle compense aussitôt en l’affublant d’un nom trop grand pour lui, le nom d’un héros. Il est petit dans son esprit afin qu’elle puisse le manœuvrer plus commodément, peut-être. Sa petitesse nous apprend, en réalité, quelque chose sur Agatha Christie. Il semble qu’elle ait eu toujours eu des arrière-pensées en songeant à son « enfant ».
«Puisqu’il devait être petit, Hercules serait pour lui un bon prénom.»
Quelle étrange association de cause à conséquence ! Sauf si l’on conçoit que son prénom est la réparation de sa défaillance physique. Le contraste, en tout état de cause, est saisissant et n’est qu’un des paradoxes du personnage. Il doit être petit et moyennement laid ou beau, pour ne pas susciter l’intérêt : son physique est sa couverture. Aucun risque, somme toute, qu’on aime ce type et qu’on le distraie de sa fonction. C’est toute la différence qui sépare le détective entièrement cérébral du beau gosse, un peu raté (mais point trop s’en faut) et un peu à la dérive, qu’incarne le privé du roman noir. Dans un ordre d’idées comparables, Columbo, inspiré à la fois du Père Brown de Chesterton et du Petrovitch de Dostoiëvski (Crime et Châtiment) dissimule son intelligence prodigieuse avec des ustensiles : son imperméable fripé, sa vieille voiture étrangère, sa femme, son chien, ses petites questions, ses anecdotes quelconques. Poirot est un personnage démesurément suffisant : son objet de fierté toute virile est sa moustache, qu’il entretient avec des procédés plus ou moins douteux (teinture, vernis, etc.) au grand dam de Hastings ! On pourrait, avec un esprit un peu leste, se demander si cette moustache ne le dédommage pas de quelque autre attribut… Les moustaches exceptionnelles de Poirot et son arrogante vanité sont de tels accessoires. Ils produisent le même effet. Ils portent le regard et l’esprit des suspects et du lecteur ailleurs.
« Mais, Ariadne, ma chérie, dit-il, tout cela est très bien, mais avec cette moustache et tout le reste, comment peut-on le prendre au sérieux ? Vous affirmez réellement qu’il est compétent ?»
Lorsqu’on s’attache à une apparence, la vision demeure superficielle et localisée, pour ce qui est de la spatialité, et ancrée dans l’instant, en ce qui concerne l’axe temporel. Ainsi, on ne cherche pas d’emblée à imaginer les intentions passées et / ou futur du détective, tétanisés que nous sommes devant une conduite outrancière ou un manque flagrant de personnalité. De même, on ne verra que ce qui fait saillie dans le geste ou la parole, par excès ou par défaut, et non pas ce qui se tient derrière, devant ou sur les côtés. En revanche, rien ne dit qu’ils agissent sciemment en entretenant cette brume qui dérobe à notre regard leur activité heuristique. En outre, tout le roman policier tient dans cet esprit de prestidigitation. Un nom donne une identité ou prétend réaliser un prodige de la sorte. Hercule fait référence, sans aucun doute, à la figure mythologique. Il n’est pas inutile de rappeler des évidences. Une des leçons du roman policier incite à les remâcher. Un recueil fameux des plus célèbres aventures où il intervient se nomme Les travaux d’Hercule et celui-ci se trouve dans la position de son éminent homonyme : douze épreuves l’attendent. Il faut retenir de cette source l’idée que les deux Hercule sont des êtres supérieurs (l’un par sa force, l’autre par son intelligence), douée d’une âme vaillante (la vertu et le sens de l’honneur anime les deux hommes). Il y a quelque chose d’ironique, voire de méchant, de la part d’Agatha Christie d’avoir nommé son héros de la sorte. L’homme aux yeux de chat (verts) est même accompagné d’un (faux) frère dont le prénom est tout aussi invraisemblable. Un instant, Poirot se parodie en s’exhibant sous ce nom. Hercule et Achille, l’un sans faille, l’autre avec un point faible. Dans l’avant-propos aux Travaux d’Hercule cité en épigraphe de ces lignes, Agatha Christie fait discuter son personnage avec un certain Docteur Burton. Ce passage est riche en clins d’œil. Dame Christie cite souvent Shakespeare et les œuvres de la littérature classique. Ici il faut comprendre qu’elle fait référence à Robert Burton, celui qui écrivit l’Anatomie de la mélancolie. « Dr Burton interrupted his melancoly. »
« Dites-moi, pourquoi ce prénom, Hercule ? - Vous voulez dire mon nom de baptême ? - A peine un nom de baptême, rechigna l’autre. Tout à fait païen. Mais pourquoi ? C’est ce que je veux savoir. Une idée fantasque de votre père ? Un caprice de votre mère ? Des raisons familiales ? Si je me souviens bien, car ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, vous aviez un frère nommé Achille , n’est-ce pas ? (…) - Seulement un petit laps de temps. Le Docteur Burton s’éloigna avec tact de ce sujet. (…) Songez à cette conversation imaginaire. Votre mère et feue Madame Holmes , assises en train de coudre ou bien de tricoter : "Achille, Hercule, Sherlock, Mycroft…" Poirot ne parvenait pas à partager l’amusement de son ami. - Dois-je comprendre que, quant au physique, je ne ressemble pas à un Hercule ? Le regard du Docteur Burton examina de part en part Hercule Poirot : sa personne proprette affublée de pantalons rayés, d’une veste noire comme il faut, d’un pimpant nœud papillon. Son regard remonta des chaussures chics en cuir jusqu’à son crâne d’œuf et à l’immense moustache qui ornait le dessus de sa lèvre. »
Le patronyme, quant à lui, est plus mystérieux. Poirot a une sonorité qui n’est guère attrayante, elle suggère, en français le poireau, un légume aussi fadasse que la courge, amie dudit détective. Mais ce légume s’obstine : il est planté en terre, bien droit, de même son homophone demeure sur les lieux du crime tant qu’il n’a pas résolu son affaire. Nous ne croyons pas tout à fait Agatha Christie lorsqu’elle affirme avoir oublié d’où provient ce nom. Le secret des associations d’idées est souvent tabou et révèle plus que ne le désire le sujet. Cette réticence est compréhensible. Probablement que nous pourrions apprendre beaucoup de la source de ce nom, mais nous n’y sommes pas parvenus. Pour le moment… Agatha Christie, qui a instauré, dans le prolongement d’une tradition victorienne - qui aime à procéder à ce qui nous apparaît, lecteurs français du XXIe siècle, comme une certaine subversion du monde de l’enfance - la tradition d’écrire certains de ses romans en fonction de comptines (des nursery rhymes) a très vraisemblablement pensé à Humpty Dumpty en créant Hercule Poirot. Son «crâne d’œuf» est connoté par l’intertextualité. A la fois, le personnage des nursery rhymes mais aussi le protagoniste de Lewis Carroll, pour qui le langage n'a de sens que par l'intention que je lui accorde, les mots n'étant que des mercenaires, auxquels j’attribue telle ou telle tâche, c'est-à-dire telle ou telle signification. Personne n’ignore à quel point Poirot est attentif aux mots, même s’il a la fâcheuse tendance à citer de travers Shakespeare, et à écorcher la langue de ce dernier, ainsi que nous le rappelle sa notice nécrologique. A Carroll est peut-être aussi emprunté la montre à gousset du lapin, dont ne se départ pas Poirot. Poirot est un paradoxe vivant : il refuse, ainsi que le souligne Narcejac , l’absurde et l’humour, alors qu’il les incarne parfaitement. Il est un personnage enflé de son importance. Trop gros pour être vrai. Forts de cette certitude, on ne peut qu’en déduire trois choses : Poirot est un archétype et un automate, ainsi que le souligne Narcejac et ceci a pour fonction, dit-il sans s’expliquer davantage, d’empêcher l’installation, dans le roman, de l’angoisse. Il faut donc que Poirot soit irréel, faute de quoi nous allons « souffrir » avec lui et nous attacher davantage à sa personne qu’à l’intrigue. Cette définition de Bergson lui convient parfaitement :
« Ce qu’il y a de risible (…) c’est une certaine raideur de mécanique là où l’on voudrait trouver la souplesse attentive et la vivante flexibilité d’une personne. »
La constante répétition, d’un livre l’autre, des manières de Poirot provoque aussi le rire :
« L’idée est chose qui grandit, bourgeonne, fleurit, mûrit, du commencement à la fin du discours. Jamais elle ne s’arrête, jamais elle ne se répète. Il faut qu’elle change à chaque instant, car cesser de changer serait cesser de vivre. Que le geste s’anime donc comme elle ! Qu’il accepte la loi fondamentale de la vie, qui est de ne se répéter jamais ! Mais voici qu’un certain mouvement du bras ou de la tête, toujours le même, me paraît revenir périodiquement. Si je le remarque, s’il suffit à me distraire, si je l’attends au passage et s’il arrive quand je l’attends, involontairement je rirai. Pourquoi ? Parce que j’ai maintenant devant moi une mécanique qui fonctionne automatiquement. Ce n’est plus de la vie, c’est de l’automatisme installé dans la vie et imitant la vie. C’est du comique. »
Nous comprenons ainsi le propos : si Poirot est un être mécanique, il faut le comprendre de deux manières. D’une part, ses traits primaires de caractère sont réguliers comme un métronome. Il est toujours présenté avec les mêmes tics. D’autre part, son autre aspect mécanique s’exprime intellectuellement. Il est régi par l’unique principe de l’intelligence : il conduit le monde selon la seule logique, sans se soucier de l’aspect sentimental, sensible ou passionnel des événements. Il se comporte comme un mathématicien face à une équation à résoudre ou comme un physicien mesurant des forces en présence. Mais de quelle intelligence et de quelle logique parle-t-on au juste ? Hé bien, celle, si rassurante du roman policier, cousine germaine de celle qui s’expose dans l’exercice philosophique.
« Vous savez ce que vous m’évoquez ? dit Mrs Oliver. Un ordinateur. Vous vous programmez vous-même. C’est bien comme ça qu’ils disent ? Vous ingurgitez toutes ces données tout le long de la journée et vous attendez de voir ce qui va en sortir ensuite. - Vous tenez une bonne idée, dit Poirot, intéressé. Oui, oui, je joue le rôle de l’ordinateur. On le remplit d’informations… - Et supposez que toutes les réponses obtenues soient fausses ? dit Mrs Oliver. - C’est impossible ! dit Hercule Poirot. Les ordinateurs ne se trompent pas. - Ils sont supposés agir de la sorte, dit Mrs Oliver, mais vous seriez surpris de savoir ce qui se produit parfois ! (…) Je sais qu’il existe un adage selon lequel "L’erreur est humaine". Mais l’erreur d’un homme n’est rien en comparaison de ce dont est capable un ordinateur quand il s’y met. »
L’idée de la machine et de l’aspect automatique de sa personnalité se trouvent confortés par cette déclaration. Ajoutons une troisième caractéristique. Une machine est impersonnelle et n’éprouve pas de sentiment. Poirot, à la différence d’un Nestor Burma par exemple, ne parle jamais en première personne. Soit Hastings raconte ses exploits soit un narrateur anonyme (l’auteur) les rapporte. Il n’existe que par ouï-dire ; il n’est jamais le narrateur en première personne. Pas même lorsqu’il rédige cette dernière lettre, celle que nous découvrons avec Hastings, lors du dernier chapitre du dernier roman où il intervient, puisque c’est par les yeux d’Hastings que nous la lisons. L’existence d’Hercule Poirot est ambiguë sur tous les fronts : en plus d’être abstrait et concret, il est à la fois omniprésent et étrangement absent. Mais son cas n’est pas extraordinaire dans la littérature policière :
« (…) le détective lui-même est incapable de faire des confidences autobiographiques (…) le détective se tait parce que tout destin est muet pour lui. Son mutisme s’explique non par l’engagement absolu de l’existence, mais par l’absence d’existence propre à l’engagement rationnel, absence qui lui interdit la parole (…) C’est pourquoi il est accompagné du confident qui chante ses louanges et qui arrache la résolution des cas à l’obscurité dont l’entoure son caractère impersonnel. » (S. Kracauer)
Poirot est une caricature. Ne pourrait-on pas dire de même de son frère aîné, Sherlock Holmes ou de ses cousins éloignés, Columbo ou Monk, ou encore de Nestor Burma que nous venons d’évoquer ? Qu’est-ce qui diffère, par exemple, Poirot d’un type tout à fait humain, comme l’inspecteur Morse créé par Colin Dexter, par exemple ? Morse nous est proche : il a des amours, des vices, des états d’âmes, etc. Il rend possible l’identification. Poirot vit en exilé, en exclus : il n’est pas de notre univers et c’est la raison pour laquelle il peut le démonter à loisir et le remettre en marche, comme un horloger qui aurait une parfaite connaissance des rouages d’une machinerie infernale. Il n’est pas un homme ; il incarne une activité. «Hercule Poirot» n’est pas un nom, c’est une fonction, un métier. D’où ces formules distanciées par rapport à lui-même, cette manière de se traiter à la troisième personne, ce maniérisme qui lui est spécifique et qui n’est pas uniquement indice de vantardise :
« Je devrais peut-être, madame, vous en dire un peu plus à mon sujet. Je suis Hercule Poirot. (…) Je suis, ainsi que vous le savez peut-être, dit Poirot, un détective. Il se frappa la poitrine. Peut-être le plus célèbre détective au monde. » «Je suis Hercule Poirot. Je suis le grand, l’unique Hercule Poirot. »
Ce qui importait pour Agatha Christie, c’était de créer un personnage original. Si le roman policier guidé par un enquêteur est un genre aussi ardu à écrire et à renouveler, c’est en partie à cause de la difficulté qu’il y a à inventer un détective, qui ne ressemble pas à tous les autres et qui génère un univers autre. Au-delà de la qualité du problème ou de l’énigme à résoudre, ce qui donne son cachet et son intérêt à un roman policier, c’est la saveur de l’ambiance, le charisme ou la fantaisie du personnage principal. Il est très remarquable de constater que la plupart des romans d’Agatha Christie sont extrêmement pensés de ces deux points de vue, quant la galerie de personnages secondaires est assez peu – tout est relatif, n’est-ce pas ? – travaillée. Pour autant, il ne faut pas s’imaginer Agatha Christie, tendre et amoureuse de son personnage. N’écrit-elle pas, dans son autobiographie :
«Hercule Poirot, mon invention belge, était accrochée à mon cou, fermement attaché là, comme le vieil homme de la mer. »
Si tel avait été le cas, elle n’eût probablement pas ressenti le besoin de le tuer. Certes, elle eût pu concevoir de la jalousie, à l’idée qu’il lui survécût ou qu’un autre auteur l’adoptât, mais la raison est différente, nous en sommes bien persuadés. Quelques lignes issues de Mrs McGinty est morte nous le prouvent. Un des personnages récurrents de Dame Christie se nomme Ariadne Oliver, qui est en quelque sorte le double de l’auteur, ou pour le moins son ombre chinoise. Ariadne est également romancière, officiant dans le genre policier, et elle semble revêtir certaines des caractéristiques de Mrs Christie.
«Qu’est-ce que j’en sais ? dit Mrs Oliver avec humeur. Est-ce que je connais les raisons pour lesquelles j’ai un jour inventé cet homme répugnant ? Je devais être folle. Pourquoi un finlandais [On pourrait se dire : pourquoi un Belge ?] alors que je ne sais rien de la Finlande ? Pourquoi un végétarien ? [Très amusante réflexion, si l’on reprend le début dudit roman, qui expose les ennuis de Poirot quant à l’alimentation !]Pourquoi possède-t-il tous ces tics idiots [La relation avec Poirot est claire comme de l’eau de roche !] ? Ces choses arrivent et c’est tout. Vous essayez quelque chose et les gens semblent l’apprécier. Alors, vous continuez. Ets avant de vous rendre compte où vous en êtes arrivé, vous vous retrouvez lié pour la vie avec quelqu’un du genre de cet exaspérant Sven Hjerson [ou Hercule Poirot…Il est très vraisemblable qu’Agatha Christie ait développé une certaine haine à l’encontre d’Hercule Poirot, comme son meurtre le laisse penser.] Et les gens vous écrivent même pour vous signifier à quel point ils sont convaincus que vous l’adorez. L’adorer, lui ? Si je rencontrais, dans la vrai vie, cet échalas de Finlandais, amateur de crudités, je commettrais un meurtre [On peut dire qu’elle l’a fait, littérairement parlant] à côté duquel tous ceux que j’ai inventés jusqu’à ce jour ne seraient rien. Robin Upward la contempla avec un profond respect. « Vous savez, Ariadne, savez-vous que cela pourrait être une idée merveilleuse ? Un véritable Sven Hjerson. Et ce serait vous qui le tueriez. Vous en feriez un livre qui serait votre chant du cygne. Il ne serait publié qu’après votre mort. [Ceci est très troublant, surtout quand on songe que la réalité a rattrapé la fiction. En effet, Agatha Christie avait mis au coffre un Poirot et un Marple inédits à ne publier qu’après sa mort, même si les conditions n’ont pas été tout à fait respectées…] - Pas de risque ! dit Mrs Oliver. Et l’argent ? Le salaire du crime, je le veux maintenant ! [Ce cynisme plus ou moins avéré est possiblement celui de Mrs Christie.]»
Ces lignes ont été écrites pendant la seconde guerre mondiale, soit plusieurs décennies avant que le public ne découvre la mort de Poirot, mais elles sont à peu près contemporaines de la rédaction du dernier opus de Poirot ! La dernière intervention de Poirot écrite par Christie, dans la chronologie réelle, étant celle d’Une mémoire d’éléphant. Mais, au fait, après cette revue de détails, nous n’avons pas posé la question qui sied tant à la culture britannique. Monsieur Poirot est-il un gentleman ? Bien qu’il n’ait pas sucé le lait d’Eton, bien qu’il baragouine l’Anglais, et qu’il soit décidément trop fantasque, Hercule est peut-être un gentleman car il recherche la vérité, qui est la première des vertus qu’il honore. Il est, en tout cas, frère d’âme d’Aristote. Néanmoins, son goût immodéré pour les questions indiscrètes et le mensonge ne lui permettent pas, nous le craignons et le regrettons, de l’asseoir à la table des gentlemen.
Un autographe de Peter Pan en personne (presque...), acquis récemment. Pour le contempler allez sur cette page (tout en bas) et cliquez sur les images pour les obtenir en très grand format. Je ne suis pas naïve au point de croire que Pauline Chase signait toutes les photographies-cartes postales, mais pour la raisonnable somme de sept euros, je me permets de faire semblant d'y croire... Mes rêves ne sont pas si luxueux.
mercredi 7 juin 2006

Je parle de sa voix, que je n'ai pas connue immédiatement. Ce fut la part de son talent qui me fut révélée en dernier. La comédienne qui la double en français est excellente (sa voix est presque aussi charmante que le visage de fée de ma douce amie imaginaire) mais je ne peux que préférer sa véritable voix. Je prends des leçons d'anglais en sa compagnie... Je vais vous expliquer comment ce prodige est possible. Julia Roberts, un ange.
Elle lit ce livre (fort amusant) qu'elle a beaucoup aimé (je possède la version papier et les CD). Petit extrait : julia.
Le récit décrit la vie d'une nanny au sein d'une famille assez exigeante et spéciale... Il y a fort longtemps, j'ai eu l'occasion de donner des cours particuliers à des gosses de nantis, pourris jusqu'au trognon par des parents qui ne leur transmettaient rien (hormis des biens matériels - et qui oubliaient fréquemment de me régler mon dû...), et cela m'a tellement traumatisée que je n'ai jamais pu envisager sérieusement une carrière de professeur.
... bientôt dans la boîte aux lettres de Letizia, si elle le veut toujours... et dans celle de tous ceux qui seront intéressés (Mariel ?)... cette charmante petite pièce de théâtre. Lorsqu'elle sera peaufinée, j'aurai des projets pour elle... Premières pages : La vieille dame montre ses médailles James Matthew Barrie Trois adorables vieilles dames et une criminelle, qui est encore plus gentille qu’elles, discutent de la guerre par-dessus une tasse de thé. La criminelle, qui est en vérité l’hôtesse des trois autres, appelle cela un «plat de thé », ce qui prouve qu’elle vient de Calédonie ; mais, en ceci, ne réside pas son crime. Elles exercent toutes les trois l’emploi de femme de ménage, y compris l’hôtesse, et elles travaillent à Londres. Mais elles sont ce qu’elles nomment professionnellement des femmes de ménage et cætera ou simplement « et cætera ». Et ce « et cætera » comprend également la fonction de concierge quand cela est nécessaire. Son nom est inscrit à l’encre sous cette dénomination dans un registre ; des considérations financières entrent en ligne de compte entre cette femme et le signataire du livre ; une personne du genre de Mrs Haggerty, qui est une femme de ménage mais qui ne possède pas d’autres prérogatives, est d’une condition sociale très différente. Mrs Haggerty, bien qu’elle soit présente, ne l’est pas parce qu’elle a été invitée. Elle a aperçu Mrs Dowey, pendant qu’elle achetait des bigorneaux, puis elle l’a suivie en bas. Enfin, elle est entrée dans la pièce en traînant les pieds et s’est assise ici, contre notre gré. Nous pourrions l’enlever par la force, ou pour le moins imprimer son nom en petits caractères d’imprimerie, si elle ne s’offensait pas aussi promptement et ne prétendait pas que personne ne lui témoigne du respect. Ainsi, puisque vous vous êtes glissée ici, vous pouvez vous asseoir là, Mrs Haggerty… Mais demeurez silencieuse ! Actuellement, Mrs Dowey, notre hôtesse, n’a pas d’occupation de gardiennage mais cela ne la décourage pas, car cette activité n’est qu’un extra financier et une contenance qu’elle se donne en société. Si elle avait l’honneur d’être soumise à l’impôt sur le revenu, elle remplirait sûrement l’une de ces vilaines cases comme il suit. « Activité : femme de ménage - Profession (si existante) : concierge.» Cette maison est la sienne. Elle la délaisse, occasionnellement, afin de prendre soin de la vôtre. Elle la quitte en grandes pompes, à la suite d’une brouette. La maison se situe dans une-de-ces-rues-que-je-surveille et que vous rencontrez uniquement lorsque vous avez perdu votre chemin. En découvrant de telles rues, votre devoir est de les signaler aux autorités, qui les ajouteront immédiatement sur la carte de Londres. C’est pourquoi, en ce moment même, nous informons qui de droit de l’existence de la rue Vendredi. Nous l’appellerons, sur le schéma brut, qui sera imprimé dans l’édition de demain, «La rue où habite la criminelle ». Alors, vous trouverez la maison où vit Mrs Dowey : c’est celle qui marquée d’un X. Sa demeure est composée d’une chambre, mais elle soutient qu’il y en a deux. En conséquence, plutôt que d’argumenter, admettons d’emblée qu’il y en a deux. L’autre n’a pas de fenêtre et elle ne peut y faire bruisser ses vieilles jupes sans se cogner au plafond. Sa plus glorieuse exposition consiste en une exhibition de casseroles en étain et de vaisselle sur le haut d’un buffet, qui est fait d’un simple couvercle. Vous devez simplement ôter les ustensiles et soulever le couvercle, avant de contempler une baignoire avec l’eau chaude et l’eau froide. Mrs Dowey est très fière de sa possession. Quand elle la fait admirer - une de ses fréquentes habitudes -, elle vous fait d’abord signe avec les poings fermés (quelle drôle de vieille dame est-elle !) de vous approcher doucement. Puis, elle se dirige sur la pointe des pieds en direction du buffet et enlève le couvercle, comme si elle voulait prendre la baignoire au dépourvu. Alors, elle suce ses lèvres et prend un air modeste si vous avez le bon goût de vous exclamer. Dans la véritable chambre, il y a un lit, bien que ce soit une façon de présenter les choses trop brièvement. Le bon début, si vous aimez Mrs Dowey, est de lui dire qu’il est dommage qu’elle n’ait pas de lit. Si elle est au mieux de sa forme, elle gloussera et acquiescera en disant que le désir d’un lit la tenaille. Elle vous tiendra aussi longtemps que possible entre ses griffes, si je puis m’exprimer ainsi, et puis, à nouveau, avec le mouvement de souris qui la caractérise, elle vous annoncera soudainement la présence de ce lit ! [...]
mardi 6 juin 2006

L'Oiseau bleu de Maeterlinck (adapté en dessin animé !) est apparenté au Petit oiseau blanc de Barrie. En tout cas, c'est de cette façon que l'entendait Maeterlinck et qu'il présenta la chose à Barrie, lorsqu'il écrivit sur un des lambris de sa bibliothèque : « Hommage au père de Peter Pan, grand-père de l’Oiseau Bleu » Il me paraît indispensable d'écrire quelque chose à ce sujet prochainement... En attendant, j'ai reçu ce bel album : L'oeuvre et la naissance de Peter Pan (mais pas seulement, loin de là !) à travers un album qui recueille des documents iconographiques en rapport. Il est édité, en partie, par la Beinecke Library - qui possède une colection barrienne très importante de livres, de manuscrits, de documents rares. La plus grande part de la collection de Cynthia Asquith a été acquise par leurs soins. Cet album ou catalogue contient des reproductions de documents épatants, tels les carnets de Barrie, par exemple, ou des photographies peu vues. Indispensable ! Petits extraits en photos : Télégramme du Roi et de la Reine à Peter Davies à l'occasion de la mort de Barrie, où est exprimé leur profond regret.
Exemplaire d'un des fameux journaux plus ou moins intimes de Barrie.
Carnets de notes pour une pièce féerique, qui deviendra... Peter Pan !
Suite de la série de billets commencée ici. [Bientôt, je reprends la correspondance Barrie / Stevenson...]
L’aventure des deux collaborateurs
James Matthew Barrie

[écrite sur la page de garde d’une Fenêtre à Thrums, parodie publiée pour la première fois dans l’Autobiographie de Conan Doyle]
En mettant fin aux aventures de mon ami Sherlock Holmes, je suis contraint de me souvenir qu’il n’avait jamais abandonné sa singulière activité de plein gré, excepté en cette occasion, dont vous entendrez bientôt tous les détails, car il a toujours refusé d’apporter son assistance à des gens dont la plume est le gagne-pain. « Je ne suis pas exigeant quant au choix des gens avec lesquels j’entretiens des relations d’affaires, mais les littérateurs dépassent les bornes de ma compréhension.»

Suite : ici.

Meurtre par décret un film de Bob Clark (1979)
Peut-être l’un des films holmésiens que je préfère, avant même celui de Billy Wilder, certes plus versé dans l’ironie. Sherlock Holmes se devait d’affronter Jack l’Eventreur. Ne sont-ils pas les deux génies antagonistes de l’ère victorienne ? Il a livré plusieurs fois ce combat, livresquement et cinématographiquement. J’aime au-delà du raisonnable cette réalisation-ci. L’œil pimpant et séducteur de Plummer n’y est pas pour rien… Certes, Basil Rathborne ou Jeremy Brett sont de grandes pointures mais leur mâchoire serrée crispe, de temps à autre, mon nerf optique. Le tandem Christopher Plummer / James Mason est du plus bel effet. Sherlock Holmes est enfin un homme séduisant, du moins si l’on se fie à mes goûts personnels… James Mason est noble et sage dans son rôle de compagnon du Prince des Détectives alors que, trop souvent, il n’est qu’un sous-fifre lourdingue. Ce film est raffiné jusque dans les plus petits détails. L'humour est pince-sans-rire. Sa nationalité ne fait pas de doute. Le fog est épais comme une barbe à papa décolorée. Il y a du sang et du désespoir. Je recueillerai les larmes de Holmes, dans un tremblement mélodramatique, si ému par le triste amour et sort d’Annie Crook. L’histoire reprend la théorie du complot royal (Cf. par exemple le superbe roman graphique d’Alan Moore, From Hell qui explore une voie similaire) et la fin, qui se referme sur le silence méprisant de Holmes, est dramatiquement calculée au plus noble. Il me semble avoir déjà évoqué ce livre-ci, qui est divin, troublant, inquiétant, sophistiqué : Jack l’Eventreur par Robert Desnos aux Editions ALLIA.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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