mardi 7 mars 2006
J'ai traduit un cauchemar extrait des Carnets de Barrie - je n'ai rien modifié, conservant le relâché de la prise de notes :
Carnet 40, 1921-1922
Michael. Le 7 novembre 1922, j’ai rêvé qu’il m’était revenu ; je savais qu’il s’était noyé, je l’ai laissé dans l’ignorance de cet état de fait. Et nous avons passé une nouvelle année, semblable aux précédentes, jusqu’à ce que ce fatal 19 soit en vue et que la tristesse le gagne peu à peu, sans en savoir la raison ; je craignais ce qui devait advenir, mais je ne disais rien. Et, comme le jour fatal approchait de plus en plus, la vérité se faisait jour – et, peu à peu, chacun de nous savait que l’autre savait,  sans échanger un mot à ce sujet – et lorsque, enfin, le jour arriva, j’avais échafaudé des plans afin de l’empêcher de me quitter de nouveau, sans me faire d’illusions néanmoins sur leur chance d’aboutir – et il se leva la nuit, mit ses anciens vêtements et vint me regarder, me croyant endormi. J’essayai de l’en empêcher, mais il devait partir et je le savais. Il pensait que ce serait plus difficile si je ne le laissais pas partir seul, mais je l’accompagnai, lui tenant la main, et il apprécia ce geste. Lorsque nous arrivâmes à destination – cet étang – il me dit au revoir et entra dans l’eau ; puis il coula, comme précédemment. À ce moment-là, je pense m’être réveillé, mais en ayant l’impression qu’il avait pénétré gaiement dans ma chambre, comme si une nouvelle année commençait pour nous deux. Ce qui précède est le rêve et ce qui suit les réflexions que j’ai faites à son sujet, à la seule exception que je savais dès son retour que je ne devais pas lui laisser entendre que quelque chose lui était arrivé – ce qui était, à proprement parler, vital. Tout doit se dérouler comme s’il était revenu d’une absence ordinaire. Si j’écris quelque chose à ce sujet, je dois faire comme si l’ancienne vie se poursuivait, et assez longtemps pour que je cesse d’éprouver un malaise. Je n’ai aucune idée, jusqu’à ce que le jour fatal arrive, qu’il va m’être à nouveau repris. Je donne des détails sur cette année supplémentaire que nous vivons tous les deux. Nous vivons assez ordinairement, mais nous sommes étrangement proches l’un de l’autre. Je fais certaines choses qu’il désirait autrefois et que je n’avais pas faites. Crainte de le gâter, lutte pour ne pas le faire. Comment, malgré ma souffrance, je devais le laisser partir au loin, quelquefois, afin qu’il eût la vie des jeunes gens. Il n’est pas nécessaire de lui donner un âge approchant des 21 ans. Il pourrait être plus jeune, si cela me chante. Peut-être des pouvoirs sinistres et hostiles comme les nuages dans le livre féerique de M. James. Sa grande peur de l’eau qu’il me confie pendant cette année supplémentaire. (Cette confidence m’affecte, je décris mes tourments.) Il pourrait m’écrire de l’école pour me dire sa peur de l’eau quand il apprend à nager ; ainsi cette vague ombre hante l’histoire. Elle pourrait s’appeler « Eau » - ou « L’étang silencieux » ou encore « Le 19 du mois »). Mary Hodgson[1] est de retour ? Il ne peut pas échapper à cette date fatale. Nos véritables lettres dedans ? Dans une certaine mesure, c’est bizarre, mais ses goûts – ses dispositions – sont différents. De même, il semble savoir vaguement de nouvelles choses, d’étranges choses, et en avoir oublié d’autres. Cette fatale nuit, il vient à moi, les lèvres légèrement pincées, en disant qu’il va se baigner – qu’il doit partir –, qu’il le doit. En rêve est-il revenu comme il était, un peu plus vieux ou à l’âge qu’il avait lorsqu’il m’a quitté – ou une année plus jeune ? Dans le dernier cas, cela signifierait qu’il ne peut dépasser un certain âge, aussi bien qu’un certain jour. Dans les autres cas, c’est simplement le jour en lui-même qui est un obstacle. Essayer de l’enfermer, de le faire surveiller par d’autres – il est dans une telle souffrance morale que je dois le laisser partir. Il va à l’étang. Aller avec lui ce jour fatal est aussi triste que l’histoire de Charles Lamb[2] traversant les champs avec sa sœur pour l’emmener à l’asile. Sa main posée sur mon épaule.  Il faut qu’il soit clair qu’il ne s’agit en aucun cas d’un suicide[3]. Je l’ai entraîné, afin qu’il soit un nageur hors pair, afin qu’il puisse se défendre le jour fatal. (Le jour est-il mieux que la nuit ?) Quand il réapparaît, c’est aussi soudain que s’il avait été dans la pièce voisine. Il ne sait pas qu’il est parti. Effet sur ma propre vie. Abandonne travail ordinaire – il me réprimande au sujet de ma paresse. Sa joie de vivre plus grande que jamais. Enthousiasme de l’enfance qui revient. C’est comme si, longtemps après avoir écrit Peter Pan, son véritable sens m’apparaissait – effort désespéré pour grandir, mais échec. En enquêtant sur son passé, je me rends compte qu’il a toujours eu du mal à passer le dix-neuf de chaque mois ; il est malade – une fois, il s’est perdu, etc. J’assèche l’étang – l’eau revient. Ou je construis un mur très élevé, pourtant on le retrouve noyé. (Nous essayons de partir au loin – un étang similaire s’y trouve – terrible quand il prend vaguement conscience de quoi il s’agit, ce doit être un jour affreux pour lui. Tout se passe comme si l’étang le suivait. Une histoire d’amour ? (Comment en parlerais-je sachant qu’il va à nouveau partir ?)][4]

Le cauchemar de Barrie est atroce, mais il témoigne de la surprenante capacité de l’artiste à s’approprier le réel le plus tragique pour le transformer en matière d’écriture, pour filer la mauvaise laine des cauchemars et tisser un texte dont la trame est réelle et imaginaire. Ce rêve survient un an après la mort de Michael, l’enfant adoré, le préféré de J. M. B. ! Pour autant, le pouvoir d'écrire, comme toujours chez Jamie, reprend ses droits. Observons sa volonté de transmuer en fiction le réel pour s’en rendre maître ! Remarquable et terrifiante leçon d'écriture s'il en est… Barrie, que certains trouveront certainement morbide et se complaisant dans le morbide, prouve que nulle peur d’explorer les abîmes ne le retient.


[1]Bonne des enfants Davies.
[2] Écrivain aimé de Barrie, qui tenta toute son existence d’éviter l’asile à sa sœur.
[3] Barrie, on le comprend, n’a jamais pu accepter cette idée et il est possible qu’il ait eu raison.
[4] Je souligne.


Sir Bernard Partridge (1861-1945) était un ami de Barrie. Célèbre caricaturiste et illustrateur, il a contribué au magazine Punch et a illustré certains romans de l'auteur de mon obsession écossaise... Une caricature de Conan Doyle, grand ami de Barrie et membre des Allahakbarries : Sir George Frampton (1860-1928) , le créateur de la statue de Peter Pan dans Les Jardins de Kensington :
Caricature de Barrie :

Illustration du Allahakbarries Cricket Book :
Page de garde de l'édition Scribner du Petit Oiseau blanc :
(Cliquez sur les images pour les agrandir.)

La liberté sartrienne a besoin de se prouver à elle-même et elle ne le peut à travers des actes, qui sont toujours arbitraires, c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune justification absolue : ils ont bien des causes (mes velléités), mais pas de raison suffisante au sens leibnizien. Or, le suicide se présente dans l’esprit du personnage nommé Mathieu comme la seule possibilité pour la liberté de s’affirmer comme telle. Pourquoi le suicide et non pas un autre acte ? Parce que le suicide est un acte particulier, irrémédiable, qui implique aux yeux de celui qui en a l’idée un choix véritable, le seul choix qui ait une réelle importance, puisque le personnage lui accorde le pouvoir de déterminer la valeur ou l’absence de valeur de mon existence. To be or not to be, that is the question… « Se choisir pour l’éternité » est une manière de se justifier dans l’existence ou dans la mort, à défaut de la présence d’une transcendance, d’un Dieu qui nous aurait reconnu ou légitimé. En effet, il faut un intermédiaire entre moi et moi-même, qui témoigne de ma présence, qui me fasse exister et si Dieu n’est pas, et si je ne puis me saisir autrement qu’intuitivement, il me faut un intermédiaire qui me restitue mon corps, mon identité, mon essence. En réalité, il y a du jeu entre moi et moi-même et rien pour combler ce vide ou cette lacune. Cet intermédiaire, c’est autrui qui se présente à moi comme « solidification et aliénation de mes propres possibilités ». « Car enfin, j’existe, je suis, même si je ne me sens pas être ; et c’est un rare supplice que de trouver en soi une telle certitude sans le moindre fondement, un tel orgueil sans matière. J’ai compris alors qu’on ne pouvait s’atteindre que par le jugement d’un autre, par la haine d’un autre. Par l’amour d’un autre aussi, peut-être (…) ». La haine d’autrui me révèle plus à moi-même que l’éventuel amour qu’il me porte, car enfin l’amant absorbe aimé, tandis que la haine rejette hors de soi et opère une différenciation qui confère une identité à celui qui est ainsi rejeté.

Mais, afin que le suicide – qui se présente ici comme l’expérience cruciale de ma liberté, comme la preuve fondamentale de mon existence - relève d’une volonté véritablement libre, il faut qu’il soit gratuit. Or, depuis l’expérience de Lafacadio, sans parler de la psychanalyse, l’on a de sérieuses raisons de mettre en doute l’existence de tels actes. Le plus ironique, dans cette histoire, c’est qu’avoir des raisons empêche la liberté de la liberté, mais n’en avoir pas, ce n’est pas être davantage libre : c’est être indéterminé ou indifférent ! « c’était ça l’horrible, l’horrible liberté » : Sartre résume ici, dans cette expression désespérée, tous les paradoxes de la liberté ; on ne choisit pas d’être libre («je suis condamné à être libre »), la liberté est donc, en quelque sorte, viciée dès le départ. En outre, on ne choisit pas sa liberté, c’est-à-dire que, d’une part, on ne choisit pas de n’être pas un simple élément dans une série causale, répondant mécaniquement aux diverses injonctions de la nature et, d’autre part, cette liberté qui nous est accordée a une nature telle qu’elle ne produit jamais que de l’arbitraire, à moins qu’elle nous demeure simplement incompréhensible quant à ses ressorts. En un mot, la liberté s’impose à nous, dans sa nécessité, et suscite des interrogations sans réponse et un certain malaise. Elle est l’autre terme pour désigner l’existence, l’être humain comme surgissement. La liberté est viciée et vicieuse puisqu’elle réclame toujours des preuves qui, si elles existaient, la détruiraient ! Comment, dans ces conditions, le suicide peut-il être conçu autrement que comme un acte involontaire, pathologique ? Peut-on croire en l’existence d’un « suicide philosophique » ?

Il est à noter, dès à présent, que le sursis est toujours, en quelque sorte, présent dans la tragédie : tous les événements qui se déroulent - qui retardent, devrions-nous dire - et qui mènent au dénouement ne sont que l'expression d'un sursis accordé par Atropos. C'est un espace de temps neutre, une durée sans conséquence, une coupure dans le temps. En effet, rien de ce qui se passe n'a d'influence réelle sur le cours des choses, puisque la fin est déjà inscrite dans le commencement. C'est ainsi que Rosset écrit fort judicieusement :

"Le tragique, c'est d'abord l'idée de l'immobilité introduite dans l'idée du temps, soit une détérioration de l'idée du temps : au lieu du temps mobile auquel nous sommes accoutumés, nous nous trouvons soudain dans le temps tragique, un temps immobile."

"Au début, nous savons la fin ; à la fin, nous comprenons le début."

Tout est déjà joué avant que ne se joue la tragédie. Mais le temps tragique est circulaire tandis que le temps du sursis est stationnaire et sans forme. Toutefois, ces deux temps sont à rapprocher parce qu'ils s'opposent à la temporalité, si l'on définit celle-ci par la succession d'événements qui importent à l'homme, à savoir le temps qualitatif bergsonien (celui de la durée intérieure) ou le temps existentiel (à tonalité affective) défini par Gaston Berger. Le temps du sursis et le temps circulaire de la tragédie ont aussi en commun de ne pas avoir de sens, c'est-à-dire qu'ils ne renvoient pas à quelque chose d'extérieur à eux-mêmes (soit une signification transcendante ou divine, un destin… ou, de façon immanente, à un cours logique d'une suite d'événements dans lesquels ils s'emboîtent). Néanmoins, le sursis vit sur le dos d'un paradoxe : il n'y a de véritable sursis qu'a posteriori, après qu'un épisode singulier brise la période de latence, ou de repos, de la temporalité. Cependant, c'est la conscience qui crée le sursis, et quand bien même celui-ci ne serait jamais interrompu par un épisode singulier - nous expliciterons cette expression plus loin, disons simplement que cet épisode singulier se doit de marquer la fin d'une certaine temporalité chère à l'homme, par la mort ou par un événement tragique - et quand bien même cette période rejoindrait la temporalité la plus ordinaire, le sursis n'en aura pas moins été vécu comme tel. De même, le cercle tragique peut être perçu comme une abstraction de la conscience ou de l'intelligence, par ceux qui sont hors de ce cercle.

La notion de liberté (en tant qu'affirmation de mon éternité) telle qu'elle se définit en relation avec la notion de sursis a certains traits de la liberté kantienne : elle se situe hors du monde sensible - "dans une région où les mots n'ont plus de sens "-, hors du monde soumis aux lois de la causalité, en dehors du repère orthonormé par l'espace et le temps. Elle est pensable (ici la liberté sartrienne est perçue plus que pensée, ressentie en l'être comme une illumination vive, une joie qui assaille l'homme, sans qu'il puisse ou cherche à la comprendre ; elle est en moi à l'état d'une évidence qui n'a rien à voir avec l'évidence cartésienne, elle serait plutôt de la nature de ce que l'on appelle - à tort ou à raison - une "expérience métaphysique") et inconnaissable, parce qu'elle ressort du domaine purement intelligible. C'est ce qui explique que cette liberté soit cause d'angoisse (qui s'oppose au souci, en tant que ce dernier est circonscrit par nos intérêts précis, sensibles et immédiats), car l'angoisse est diffuse et ne se fixe sur rien de déterminé ; on peut même dire de l’angoisse qu’elle est l’absence de tout souci sur lequel se greffer et s’éteindre. Toutefois, ainsi que le précise Lacan, « l’angoisse n’est pas sans objet, même si cet objet on ne sait quel il est ». Or, de même la liberté, si l’on suit Kant, est d’ordre intelligible, nouménal, donc non soumise à des séries causales, et ainsi elle est véritablement libre. Elle se détermine elle-même, et tourne pour ainsi dire « à vide », ce qui donne naissance à l’angoisse dite existentielle. En effet, la liberté se pose comme un absolu, c’est-à-dire comme un terme premier, un principe premier, qui se suffit à lui-même et porte en lui sa propre justification. Or, cette justification nous est invisible ou, pour le moins, incompréhensible. C’est le sens de cette phrase : « l'absolu, sans cause, sans raison, sans but, sans autre passé, sans autre avenir que la permanence, gratuit, fortuit, magnifique. "je suis libre", se dit-il soudain. Et sa joie se mua sur-le-champ en une écrasante angoisse. » C’est pourquoi nous recherchons cette justification de la liberté hors d’une liberté dont nous ne savons que faire, et c’est peut-être de cette manière que l’on peut expliquer l’hétéronomie de la volonté kantienne. C’est la gratuité de la liberté qui engendre l’angoisse chez Sartre, ce qui ne peut avoir lieu chez Kant, car dans la philosophie de ce dernier liberté et loi morale forment un couple : la loi morale est la ratio cognoscendi de la liberté et le liberté est la ratio essendi de la loi morale. Loi morale et liberté se justifient réciproquement. Dans le même sens, nous comprenons le passage suivant :

« Dehors. Tout est dehors : les arbres sur le quai, les deux maisons du pont, qui rosissent la nuit, le galop figé d’Henri IV au-dessus de ma tête : tout ce qui pèse. Au dedans, rien, pas même une fumée, il n’y a pas de dedans, il n’y a rien. Moi : rien. Je suis libre, se dit-il, la bouche sèche.

Au milieu du Pont-Neuf, il s’arrêta, il se mit à rire : cette liberté, je l’ai cherchée bien loin ; elle était si proche que je ne pouvais pas la voir, que je ne peux pas la toucher, elle n’était que moi. Je suis ma liberté. Il avait espéré qu’un jour il serait comblé de joie, percé de part en part par la foudre. Mais il n’y avait ni foudre ni joie : seulement ce dénuement, ce vide saisi de vertige devant lui-même, cette angoisse que sa propre transparence empêchait à tout jamais de se voir. Il étendit les mains et les promena lentement sur la pierre de la balustrade, elle était rugueuse, crevassée, une éponge pétrifiée, chaude encore du soleil d’après-midi. Elle était là, énorme et massive, enfermant en soi le silence écrasé, les ténèbres comprimés qui sont le dedans des choses. Elle était là : une plénitude. Il aurait voulu s’accrocher à cette pierre, se fondre à elle, se remplir de son opacité, de son repos. Mais elle en pouvait lui être d’aucun secours : elle était dehors, pour toujours. Il y avait ses mains, pourtant, sur la balustrade blanche : quand il les regardait, elles semblaient de bronze. Mais justement parce qu’il pouvait les regarder, elles n’étaient plus à lui, c’étaient les mains d’un autre, dehors, comme les arbres, comme les reflets qui tremblaient dans la Seine, des mains coupées. Il ferma les yeux et elles redevinrent siennes : il n’y eut plus contre la pierre chaude qu’un petit goût acide et familier, un petit goût de fourmi très négligeable. Mes mains : l’inappréciable distance qui me révèle les choses et m’en sépare pour toujours. Je ne suis rien, je n’ai rien. Aussi inséparable du monde que la lumière et pourtant exilé, comme la lumière, glissant à la surface des pierres et de l’eau, sans que rien, jamais, ne m’accroche ou ne m’ensable. Dehors. Dehors. Hors du monde, hors du passé, hors de moi-même : la liberté c’est l’exil et je suis condamné à être libre. (…) Et qu’est-ce que je vais faire de toute cette liberté ? Qu’est-ce que je vais faire de moi ? (….) « Je suis libre pour rien », pensa-t-il avec lassitude. (…) Partir, rester, fuir : ce n’étaient pas ces actes-là qui mettraient en jeu sa liberté. Et pourtant il fallait la risquer. Il s’agrippa des deux mains à la pierre et se pencha au-dessus de l’eau. Le repos. Pourquoi pas ? Ce suicide obscur ce serait aussi un absolu. Toute une loi, tout un choix, toute une morale. Un acte unique, incomparable qui illuminerait une seconde le pont et la Seine. Il suffirait de se pencher un peu plus et il se serait choisi pour l’éternité. Il se pencha, mais ses mains ne lâchaient pas la pierre, elles supportaient tout le poids de son corps. Pourquoi pas ? Il n’avait pas de raison particulière pour se laisser couler, mais il n’avait pas non plus de raison pour s’en empêcher. Et l’acte était là, devant lui, sur l’eau noire, il lui dessinait son avenir. Toutes les amarres étaient tranchées, rien au monde ne pouvait le retenir : c’était ça l’horrible, l’horrible liberté. Tout au fond de lui, il sentait battre son cœur affolé ; un seul geste, des mains qui s’ouvrent et j’aurai été Mathieu. Le vertige se leva doucement sur le fleuve ; le ciel et le pont s’effondrèrent : il ne resta plus que lui et l’eau ; elle montait jusqu’à lui, elle léchait ses jambes pendantes. L’eau, son avenir. A présent c’est vrai, je vais me tuer. Tout à coup, il décida de ne pas le faire. Il décida : ce ne sera qu’une épreuve. Il se retrouva debout, en marche, glissant sur la croûte d’un astre mort. Ce sera pour la prochaine fois. »

Ce texte est construit sur l’opposition dehors / dedans et se réfère sans aucun doute à la phénoménologie : il y a tout un jeu, ou une dialectique de l’être, de l’apparaître et du disparaître, mise en branle par la conscience du sujet, ou plus simplement par son regard. « l’inappréciable distance qui me révèle les choses et m’en sépare pour toujours » permet le regard qui éprouve les êtres et les choses comme différents de moi, qui les comprend de l’extérieur, mais n’en autorise jamais une connaissance intime, en profondeur ; paradoxalement, la distance est la condition de toute forme de connaissance de l’objet en tant qu’autre que moi-même, mais une connaissance de l’extérieur, non intuitive, donc partiellement fausse. Toutefois, la connaissance de soi-même, dans la transparence du sujet à lui-même, ou dans l’intuition qu’il a de son être ne lui livre rien, car il n’y a pas assez de distance entre moi et moi-même. Nous disions précédemment de la liberté qu’elle « tournait à vide », nous aurions pu dire aussi qu’elle était vide, qu’elle attendait un contenu (des actes) pour lui donner un sens qu’elle ne perçoit pas autrement qu’en acte. Je ne suis rien d’autre que ma liberté, je ne suis rien d’autre qu’une forme sans contenu, prête à me matérialiser dans n’importe quel acte qui me ferait exister. L’angoisse, comme la nausée, est le résultat de la confrontation entre mon être, ma conscience d’être et le sentiment d’un vide ou, au contraire, dans le cas de la nausée, d’un trop-plein. Les choses sont pleines, opaques, alors que les êtres sont vides, transparents par le regard que l’on porte sur eux. Transparents et cependant incompréhensibles. Incompréhensibles parce que dépourvus d’aspérités par lesquelles les saisir. Le regard (ou la conscience) découpe les choses et les êtres ; lui seul reste intact, un. Je puis me détacher des autres, et même de mon propre corps, de mes propres actes, mais je demeure tout entière dans ma conscience, même si je ne puis m’appréhender que comme un « rien ». Un « rien », à savoir une liberté ou un être sans support, sans essence dans laquelle se reconnaître. Au contraire, la nausée est le sentiment éprouvé devant une surabondance de déterminations qui remplissent et alourdissent la liberté ou l’être. En réalité, l’être se sent toujours au-delà de cet être sensible, réducteur, qui n’est qu’une matérialisation singulière de ses infinies possibilités. L’angoisse et la nausée sont des expériences métaphysiques, dans la mesure où elles font fi de l’aspect sensible de mon être. La description sartrienne de l’être libre ressemble à se méprendre à la monade leibnizienne, à cette différence près que la monade est harmonieuse ; elle est une entité métaphysique, et bien que singulière, elle est d’une tonalité mathématique, tandis que la liberté sartrienne est avant tout humaine, existentielle.

" "Te casse pas la tête. La guerre , la paix, c'est égal.

- C'est égal ? dit Jacques, étonné. Va donc dire ça aux millions d'hommes qui se préparent à se faire tuer.

- Eh bien, quoi ? dit Mathieu avec bonhomie. Ils portaient leur mort en eux depuis leur naissance. Et quand on les aura massacrés jusqu'au dernier, l'humanité sera toujours aussi pleine qu'auparavant : sans une lacune, sans un manquant.

Moins douze à quinze millions d'hommes, dit Jacques.

Ce n'est pas une question de nombre, dit Mathieu. Elle n'est plaine que d'elle-même, personne en lui manque et elle n'attend personne. Elle continuera à n'aller nulle part et les mêmes hommes se poseront les mêmes questions et rateront les mêmes vies."

Jacques le regardait en souriant, pour montrer qu'il n'était pas dupe :

"Et où veux-tu en venir ?

Eh bien, justement, à rien", dit Mathieu. "

Comme précédemment, la vie humaine est présentée dans ce dialogue comme quelque chose qui n'a pas de valeur en elle-même, comme un phénomène ordinaire, banal, un léger soubresaut du cours de la nature qui englobe toute forme de vie : les hommes, les chiens, les mouches et la mauvaise herbe. C'est l'aboutissement au néant, d'où n'est peut-être jamais réellement sorti l'homme. De cette conception de l'individu humain, de son existence est nécessairement corrélative une certaine vision de la liberté humaine, qui n'est pas sans rappeler celle mise en scène par André Gide, dans Les Caves du Vatican :

"La liberté au second degré ; la liberté contestant la liberté. A dix heure moins trois il décida de jouer son départ à pile ou face. (…) il prit la pièce de quarante sous, pile je pars ; il la lança en l'air, pile, je pars ! pile, je pars. Elle retomba pile. Eh bien, je pars ! dit-il à son image. Non parce que je hais la guerre, non parce que je hais ma famille, non pas même parce que j'ai décidé de partir : par pur hasard, parce qu'une pièce a roulé d'un côté plutôt que de l'autre. Admirable, pensa-t-il ; je suis à l'extrême pointe de la liberté."

Drôle de moyen de prouver sa liberté en la niant, en refusant d'en faire usage, en la subordonnant au hasard ! Philippe, adolescent révolté du Sursis, qui a pour dessein de devenir "un martyr de la paix", n'assume pas sa liberté de choix, ne veut pas être responsable et c'est ainsi, qu'en se détachant en apparence de tout déterminisme, en préservant sa liberté de toute décision libre (et donc douteuse puisque peut être soumise à des déterminismes invisibles), il n'a que l'illusion d'un acte gratuit. L'acte gratuit n'existe pas, de même peut-être le hasard n'est -il qu'une causalité sont nous n'apercevons pas la chaîne. Un acte gratuit serait un acte qui n'aurait pas de raison, or un tel acte n'est jamais possible pour nous, même si nous n'apercevons pas toujours clairement les raisons qui nous guident, même si nous nous les dissimulons soigneusement. Au fond, ceci constitue une affirmation très spinoziste. Philippe fait preuve de mauvaise foi. C'est encore le problème de la coïncidence entre mon existence et mon essence.

De même, comme nous l'avons vu plus haut, Sartre chosifie la mort, l'individu qui refuse sa liberté, l'homme de mauvaise fois chosifie tous ses actes, tous ses sentiments, comme si ceux-ci étaient des parcelles de lui-même qu'il détachait, comme des peaux mortes qui se décollent. Le personnage sartrien qui se découvre existant a la tentation du sédiment :

" Une chose opaque, passive, une présence impénétrable. Mon projet.

Son projet de boire, qui s'était déposé par plaques ternes sur la transparence du verre, son projet de fumer, son projet d'écrire, l'homme avait accroché ses projets partout. "

"Un nouveau monde était en train de naître : le monde austère et pratique des ustensiles. (…) Une église de village [Sartre évoque ici l'église de Saint-Germain-des-Prés]. Elle était neuve, elle était belle ; elle ne servait à rien [puisque "Dieu n'existe pas"]. Un vent léger se leva ; une auto passa, tous feux éteints, puis un cycliste, puis deux camions qui firent trembler le sol. L'image de pierre se troubla un instant, puis le vent tomba, le silence se fit et elle se reforma, blanche, inutile, inhumaine, dressant au milieu de tous ces outils verticaux, au bord de la route de l'Est, l'avenir impassible et nu du rocher. Eternelle. Il suffirait d'un tout petit point noir au ciel pour la faire éclater en poudre et cependant elle était éternelle. Un homme tout seul, oublié, mangé par l'ombre en face de cette éternité périssable. Il frissonna et pensa : moi aussi, je suis éternel.

Cela s'était fait sans douleur. Il y avait eu un homme tendre et timoré qui aimait Paris et qui s'y promenait. L'homme était mort. (…) Cet homme s'était taillé un avenir à sa mesure, culotté, boucané, résigné, surchargé de signes, de rendez-vous, de projets. Un petit avenir historique et mortel : la guerre était tombée dessus de tous son poids et l'avait écrasé. Pourtant, jusqu'à cette minute, il restait encore quelque chose qui pouvait s'appeler Mathieu, quelque chose à quoi il se cramponnait de toutes ses forces. Il n'aurait pas pu dire ce que c'était. Peut-être quelque habitude très ancienne, peut-être une certaine manière de choisir ses pensées à son image, de se choisir au jour le jour à l'image de ses pensées, de choisir ses aliments, ses habits, les arbres et les maisons qu'il voyait. Il ouvrit les mains et lâcha prise ; cela se passait très loin au fond de lui, dans une région où les mots n'ont plus de sens. Il lâcha prise, il ne resta plus qu'un regard. Un regard tout neuf, sans passion, une simple transparence. "J'ai perdu mon âme", pensa-t-il avec joie. Une femme traversa cette transparence. Elle se hâtait, ses talons clapotaient sur le trottoir. Elle glissa dans le regard immobile, soucieuse, mortelle, dévorée de mille projets menus, elle passa la main sur son front, tout en marchant, pour rejeter une mèche en arrière. J'étais comme elle ; une ruche de projets. Sa vie est ma vie ; sous ce regard, sous le ciel indifférent, toutes les vies s'équivalaient. (…) L'église peut crouler, je peux choir dans un trou d'obus, retomber dans ma vie : rien ne peut m'ôter ce moment éternel. Rien : il y aurait eu, pour toujours, cet éclair sec, enflammant des pierres sous le ciel noir ; l'absolu, sans cause, sans raison, sans but, sans autre passé, sans autre avenir que la permanence, gratuit, fortuit, magnifique. "je suis libre", se dit-il soudain. Et sa joie se mua sur-le-champ en une écrasante angoisse."

Tous les thèmes de l'existentialisme sartrien sont présents dans ce passage : l'angoisse d'être, la liberté, la facticité, le refus de l'essence, la liberté, l'éternité, la mauvaise foi, le regard … Il y a, dans la philosophie sartrienne, deux mondes qui s'opposent et, cependant, se construisent en s'appuyant l'un sur l'autre : il s'agit, d'une part, du monde de la liberté, de l'être agissant, de l'éternité, de la conscience de soi et, d'autre part, le monde de l'ustensilité ou de la facticité, de l'essence-sédimentation, du temps et de la difficulté de coïncider avec soi-même (c'est-à-dire de la mauvaise foi). Le monde des ustensiles est le monde des êtres perçus comme des moyens, sédimentés dans leur utilité, dans leurs actes, dans leur ponctualité, tandis que le monde de la liberté est celui des êtres qui sont, indépendamment de leurs actes ou de leur fonction dans un monde condamné à la disparition, qui existent au-delà de leur essence immédiatement accessible au regard des autres. C'est pour cette raison que ces derniers sont éternels, car ils vivent dans le présent véritable, dans une conscience infragmentable d'eux-mêmes, c'est-à-dire qu'ils ne se réfèrent ni à un passé (qui les solidifierait, les fossiliserait dans des actes ou des sentiments susceptibles de les définir en tant qu'essence : "honnête", "menteur", nymphomane", "tricheur", etc.) ni dans un hypothétique futur (où ils immobiliseraient des parties d'eux-mêmes dans des projets, nécessairement réducteurs de leur existence, nécessairement parcellaires). L'éternité s'oppose au temps, à l'histoire. Cette conscience de l'éternité est celle d'un présent vécu qui ne peut être périmé par le temps et transformé en passé, une conscience qui exprime un être qui adhère à lui-même, sans s'enfuir par la pensée dans le futur. Le présent vécu de cette manière est éternel, il est indestructible, il ne peut être "dépassé" car il est expression de l'être véritable qui ne se solidifie pas. C'est dans ce sens précis que Jankélévitch disait, selon certains de ses anciens élèves, en se frappant la poitrine : "Voici une vérité éternelle qui va mourir". Rien ne peut faire que je n'ai pas été ; cette éternité ne concerne que mon être, pas mon essence, c'est-à-dire l'ensemble de mes actes décidus.

La guerre a, en quelque sorte, permis un arrêt du temps, rendant insignifiantes toute idée de passé et, plus encore, de futur ; elle restitue aux êtres le sens du présent, en leur ôtant la certitude du futur et l'idée du projet, puisque seul importe le maintenant qui peut se prolonger mais qui demeure, malgré tout, comme par magie, indéfiniment du présent. Expliquons-nous. Si Sartre a intitulé son roman Le sursis, c'est bien pour signifier que ce présent qui s'éternise, dans l'attente de la déclaration de guerre, paradoxalement, ne durera pas, qu'il n'est qu'un contretemps, un délai, un retard, une parenthèse ; il permet la remise d'un événement à un autre temps. En un mot, le sursis donne naissance à un temps sans temporalité, à une durée indépendante du reste du temps, sans contact avec l'essence même du temps, qui est fuite et succession d'instants ou d’événements : le sursis est un temps amorphe, immobile, une contradiction dans les termes. En réalité, le sursis n'est pas de l'essence du temps ordinaire, il est d'une autre nature : il tutoie l'éternité, puisqu'il semble n'exister que pour lui-même, sans autre raison, indépendamment de toute série causale. Bien sûr, ceci n'est qu'une illusion causée par la présence d'un danger que perçoit la conscience du sujet. Un danger qui rend précieux le présent et vain tout autre temps. La conscience du temps n'est plus diachronique mais synchronique, non plus horizontale, mais verticale. Le sursis ronge le temps, alors que d'ordinaire, c'est le temps qui dévore les êtres et les choses. L'on peut définir également le sursis par un moment que s'octroie l'être sur son essence, la liberté sur la facticité, l'éternité sur la temporalité.

Notre existence est un sursis dont nous n'avons qu'une vague inconscience ou, au mieux, une conscience diffuse, momentanée et fragmentaire, qui regarde de biais ce qu'elle ne peut soutenir par le regard. A ce titre, le roman de Sartre intitulé Le sursis pourrait être une illustration, à travers les réflexions et les sentiments des divers personnages, de notre (in)conscience quant à notre mort prochaine. Bien sûr, ici, il s'agit de l'attente par des personnages très différents (et donc représentatifs des divers degrés possibles d'une conscience qui appréhende une mort soudain devenue plus proche, plus réelle, presque incarnée) d'une éventuelle (et pourtant menaçante) déclaration de guerre. Tout ce que Sartre dit ici de la peur, de l'angoisse, du sentiment de liberté, de l'interrogation sur le sens de l'existence humaine ou encore de l'instinct de mort des divers êtres qui se croisent dans ce livre, à propos de cette guerre qui n'en finit pas d'arriver, pourrait être dit aussi justement de notre attente quant à la mort, la nôtre ou celle des autres. Une seule phrase illustre notre propos et elle est prononcée par Daniel : "Ce qu'il y a de terrible, c'est que rien n'est jamais bien terrible. Il n'y a pas d'extrêmes." Pas d'extrêmes, c'est-à-dire ni naissance ni mort, pas d'événements saillants qui soient graves, sérieux, et moins encore tragiques. La vie humaine peut être considérée de ce point de vue comme une entité amorphe, une continuité sans queue ni tête, un presque rien. Dans le même esprit, on peut comprendre le dialogue entre deux des personnages de Fin de partie, un dialogue qui sert en quelque sorte de leitmotiv ou de refrain à la pièce puisqu'il est répété plusieurs fois :

"Hamm (avec angoisse). - Mais qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qui se passe ?

Clov. - Quelque chose suit son cours."

"Quelque chose suit son cours", c'est-à-dire que "ça" passe, une vie humaine, indéterminée, impersonnelle se produit, suivant le processus biologique qui est le sien, selon des lois naturelles. Le "ça" renvoie à une indétermination universelle, à une espèce de masse indistincte, un magma d'êtres et d'événements. Affirmation qui équivaut à celle de Mathieu, personnage du Sursis qui déclare peut-être péremptoirement "On est toujours n'importe qui", écho à l'auteur de l'épigraphe de La nausée. Point de vue qui semble anti-tragique par excellence. De même cette description de la mort par Sartre : "Mort. Et sa vie était là, partout, impalpable, achevée, dure et pleine comme un œuf, si remplie que toutes les forces du monde n'eussent pas pu y faire entrer un atome, si poreuse que Paris et le monde lui passaient au travers (…)"Cette description contradictoire ("pleine", "si remplie" et "poreuse") d'une vie achevée et figée en statue de pierre par la mort pourrait être celle d'un objet ; sa description d'une mort singulière est faite à la manière de celle d'un objet inerte et sans importance. La mort transforme une vie humaine en sédiment.

"Moi marié, moi soldat : je ne trouve que moi. Même pas moi : une suite de petites courses excentriques, de petits mouvements centrifuges et pas de centre. Un centre : moi, Moi - et l'horreur est au centre. (…) Etre de pierre, immobile, insensible, pas un geste, pas un bruit, aveugle et sourd, les mouches, les perce-oreilles, les coccinelles monteraient et descendraient sur mon corps, une statue farouche aux yeux blancs, sans un projet, sans un souci ; peut-être que j'arriverais à coïncider avec moi-même. Pas pour m'accepter, dieu non : pour être enfin l'objet pur de ma haine. (…) Etre ce que je suis, être un pédéraste, un méchant, un lâche, être enfin cette immondice qui n'arrive même pas à exister."

La mort se présente ici, bien qu'à titre d'hypothèse, comme le moment qui permettrait à l'homme de "coïncider avec lui-même", à savoir de se reconnaître en tel qu'entité une et singulière dans chacun des actes, des sentiments qu'il doit reconnaître comme les siens. La mort devrait, selon cette perspective, unir, ou plus exactement souder dans la rigidité cadavérique l'existence et l'essence. Seul le mort a une existence qui épouse les contours de son essence, puisqu'il n'y a plus de sujet, de conscience, pour s'interroger et se tourmenter sur cette "coïncidence" qui fut, jusqu'à la dissolution de cette conscience singulière qui n'a jamais pu tout à fait s'éprouver comme sujet de ses actes et de ses sentiments, le fait de tous les regards étrangers à son être. La "coïncidence" entre une existence et une essence est le fait de tous, sauf de celui qui s'éprouve comme existence en quête d'une essence dont il ne sait pas si celle qui se présente est la sienne

"(…) c'est moi qui ai raison, c'est moi qui ai raison, j'ai raison d'avoir peur, je suis fait pour vivre, pour vivre, pour vivre ! Pas pour mourir : rien ne vaut la peine de mourir."

Cette affirmation désespérée va à l'encontre des passages précédemment mis en lumière : l'existence se présente ici, dans la bouche du personnage, comme un "droit naturel", ou plus précisément comme un fait qui est inhérent à la nature de l'homme, comme une nécessité qu'il porte en lui, comme une finalité biologique. L'existence ne dépend ni d'un choix ni d'une volonté ; elle est considérée ici d'un point de vue que l'on pourrait presque qualifier d'animal. On aurait aisément l'envie de comparer ce passage à la définition que donne Schopenhauer du vouloir-vivre ; c'est un point de vue corporel qui est adopté ici. Pas de valeurs transcendantes, pas d'idées, qui justifieraient la mort. La vie et la mort n'ont pas partie liée avec l'intellect.

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