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lundi 28 septembre 2009

Titania et Bottom, Henry Fuseli, 1790


Détails :









Thésée parle :

The poet's eye, in fine frenzy rolling,
Doth glance from heaven to earth, from earth to heaven;
And as imagination bodies forth
The forms of things unknown, the poet's pen
Turns them to shapes and gives to airy nothing
A local habitation and a name.
Such tricks hath strong imagination,
That if it would but apprehend some joy,
It comprehends some bringer of that joy;
Or in the night, imagining some fear,
How easy is a bush supposed a bear!

— le regard du poète, animé d’un beau délire, — se porte du ciel à la terre et de la terre au ciel ; - et, comme son imagination donne un corps — aux choses inconnues, la plume du poète — leur prête une forme et assigne au néant aérien — une demeure locale et un nom. — Tels sont les caprices d’une imagination forte : — pour peu qu’elle conçoive une joie, — elle suppose un messager qui l’apporte. — La nuit, avec l’imagination de la peur, — comme on prend aisément un buisson pour un ours !

Le songe d’une nuit d’été, V, 1. (trad. François-Victor Hugo)

J'aime beaucoup le travail de traduction de François-Victor Hugo, jusque dans ses limites. Les défauts de son travail me le rendent encore plus cher. J'admire l'ardeur du traducteur et sa persévérance. Sylvère Monod et lui sont mes modèles inaccessibles, pour une multitude de raisons très différentes...

***
Discographie proposée [dorénavant, j'essaierai pour la plupart des billets de proposer un ou plusieurs CD très aimé(s), issu(s) de ma discothèque, classique ou non, en guise d'illustration ou d'accompagnement] :


lundi 14 avril 2008
Le secret, c'est de prendre son temps. Tout son temps, même s'il est avare en terme de floraisons.





J'ai changé !
C'est indéniable.
Vous ne pouvez pas encore savoir.
Je n'ai plus peur.
De voyages réels en voyages imaginés, je me promène sur la terre.
Mes voyages réels ne sont jamais que le passé de mes voyages imaginaires.
Ils n'en sont pas moins beaux ou nécessaires, bien au contraire. Ils me reflètent simplement à divers instants d'un temps qui n'est jamais plus le mien.
Je cherche à résoudre les énigmes que j'ai posées autrefois et dont je ne connais plus les réponses, puisque je ne suis plus tout à fait ce que je fus. C'est l'Aventure intérieure !
La vie est belle et bonne. Je me sens vivante comme un enfant ou comme une fleur de printemps, avec la conscience de la mort qui ouvre sa focale sur les jolies choses.
Je prépare le présent en dévorant les pages de guides raflés chez Gibert Joseph.

Je tressaille en songeant aux ruines de Waverley que, peut-être, je pourrais toucher de la main.
J. M. Barrie demeure toujours le fil conducteur. Je vais dans le Surrey pour lui et il m'emmène sur les traces des Brontë, car il aimait Emily autant que je l'aime, je crois.
Dans le même esprit, je me rendrai un jour à Samoa - M. Golightly l'a promis et le mot impossible est un mot qu'il n'a jamais prononcé devant moi - sur les traces de son ami, Stevenson. Je suis prête pour ce genre de voyages qui m'auraient horrifiée il y a encore un an. Le voyage n'est plus la violence que je m'affligeais parfois. Je rêve si bien mes voyages qu'ils deviennent une part de moi.


[Joli recueil reçu récemment qui va s'ajouter à ma collection de livres anciens concernant Stevenson et l'époque à laquelle il appartient, volume auquel des fragments barriens sont insérés, ce qui le rend inestimable à mes yeux...]



Il rejoindra la dernière acquisition pour le musée Barrie, un livre assez rare qui contient un texte de Barrie que je n'avais pas encore lu et qui concerne... les ânes. En apparence, en tout cas...




Je contemple le probable naufrage d'un bateau au Jardin du Luxembourg.



Merveilleux week-end à Paris. "M. Golightly" est le maître de mes illusions autant que de ma réalité.
Point d'orgue : un très beau concert à Pleyel,


où nous nous étions rendus afin d'entendre, entre autres, Renaud Capuçon, virtuose violoniste, que j'admirais jusques alors, par disques interposés, sans avoir encore jamais assisté à l'un de ses concerts. My M. Anon m'avait prévenue en sa faveur et, quand on sait le niveau d'exigence de cet homme, devenu mon personnage de fiction préféré, c'était un gage inestimable pour moi de confiance.
Renaud Capuçon a interprété - non, il a incarné - le romantique Concerto pour violon de Mendelssohnn (opus 64) avec une ferveur et une fougue telles qu'à certain moment, à le voir et à l'entendre, je me suis dit que la vie valait vraiment la peine d'être vécue. Bien sûr, Renaud Capuçon est conscient de sa valeur, il possède l'impertinence de la jeunesse, manifeste une certaine fierté pour sa personne, mais témoigne d'une réelle générosité, d'un quelque chose qui va droit au coeur.
(Je n'ai pas résisté à la tentation de lui faire signer mon programme. Non pas que je sois une chasseuse de paraphes, quoi que...).

Le jeune chef Tugan Sokhiev est rigoureux et profondément humain avec ses musiciens. A la tête depuis assez peu du très bon Orchestre du Capitole, il semble creuser son chemin, avec beaucoup de conscience et de sûreté. Lui et son orchestre nous ont donné une grandiose interprétation de la Cinquième symphonie de Tchaïchovski, que j'essaierai de garder dans ma mémoire affective et sensorielle.

Au hasard de mes pérégrinations dans les libraires de la capitale, je suis tombée nez à nez avec ce livre dans ma librairie du cinéma préférée :



et j'ai pensé à Fauna, ma si belle et si talentueuse amie, qui est de la race des reines. Elle avait écrit un noble billet sur cet acteur hors du commun. Elle avait saisi avec acuité la personnalité de cet être indéfinissable, de cette libellule-marionnette au sourire divin.
Ce livre est très pudique, très beau, taillé en pleine peau d'homme et d'âme. Il ne contient rien de trop et, en à peine cent vingt pages, cette miniature nous restitue l'élégance d'un homme que j'aurais aimé connaître, en qui je reconnais certaines des blessures qui sont miennes, et un certain idéal d'existence.
"Moi, je le dis avec orgueil, je n'ai jamais rien sacrifié pour la mangeaille." (p.19)
Je ne connais pas l'auteur de ce récit et, après avoir refermé le livre, je ne sais rien de lui, sinon qu'il a été capable de faire vivre cet autre, en qui certainement il trouvait des correspondances que l'amitié n'explique pas seulement. Peut-être a-t-il atteint ce que je nomme "le point d'effraction d'autrui" et que Deleuze nomme le charme, notion très profonde que seuls les superficiels par nature réduisent à des considérations épidermiques - alors que la peau, c'est ce qu'il y a de plus profond, pour parler comme Valéry - et qui est comme l'endroit où se cristallise la folie, la petite phobie ou obsession, qui nous sert de centre de gravité.
Il rêvait de lire sur scène une sélection des sonnets de Shakespeare dans la traduction de Jouve - dont j'ai lu le magnifique Paulina 1880, livre offert par un ami à Noël et dont il faudra que je reparle. Il n'a pas trouvé le financement. Triste moment où le réel de ceux qui paient déchire celui de ceux qui rêvent.
"Mais ne cherchez pas à comprendre, il est à la recherche de ses rêves d'enfants." (p. 109)
"Quand tu t'en vas où est le cimetière des heures parties ?
Dans mon coeur, dans mon coeur

(Il touche trois fois son coeur)
Je t'embrasse fort." (p.16)
Regard brouillé de larmes en recopiant ces lignes.
Au revoir.
vendredi 22 février 2008
La vie sans musique serait une erreur. Nietzsche dit ceci ou peu s'en faut. Pourtant, je ne parle jamais de musique ici (de véritable musique, j'entends), parce que je ne me sens pas prête à le faire et parce que, à bien y réfléchir, c'est un des jardins souterrains de mes ardents secrets. Non pas que je me sente davantage autorisée à parler de livres, d'études diverses ou de films. Mais, si je puis m'appuyer sur des années d'études philosophiques, sur mes travaux universitaires, sur ma quête en ce domaine, pour me garantir une certaine crédibilité à mes propres yeux, je ne possède aucune assise théorique pour parler de musique. Je suis venue à la musique très tard. Je veux dire avec une certaine conscience, avec un peu de sérieux dans l'écoute. Ma pratique d'un instrument, le violon, a débuté il y a quelques mois. Je demeure extérieure à ce monde qui n'admet aucun dilettantisme ou la moindre faute. Mon jugement n'a aucune valeur ni légitimité. Il n'est que sensation, sans la moindre once d'intelligence. Pourtant, si je dois continuer à écrire ici, de loin en loin, j'aimerais parler de musique, d'opéra, car il manque une facette essentielle au portrait - même si, bien sûr, tout portrait est mensonger.
Pour l'heure, puisque le temps presse, je me contente d'une liste des disques qui ont fait éclater les vitres de ma forteresse intérieure ces derniers mois, les disques que j'écoute et réécoute, dans lesquels je puisse de la force et que je recommande à mes bienveillants lecteurs, avec humilité. Il en manque des dizaines, car la forge qui me sert de ventre et qui nourrit la machine à écrire a, elle aussi, besoin de combustible, mais il fallait faire un choix. Et tout choix comporte sa part d'injustice.
Je suis amoureuse de la voix de Jaroussky, comme je le suis de celle d'Andreas Scholl, pour des raisons évidemment très différentes, et ce Vivaldi-là me donne envie de vivre.

Il ne faut certainement pas manquer de s'offrir cet opus-ci, également, par lequel je suis entrée dans la voix de Jaroussky. Divin.


Un de mes plus grands chocs, fut l'écoute de ce disque. Mon émotion est tellement violente... que je n'écoute cette oeuvre qu'à des moments très choisis. Le concerto de Sibelius par Oistrakh : une de mes oeuvres préférées, sinon la préférée, par son meilleur interprète.

Ma révélation de l'année 2007. Je ne pense pas être très originale puisque tout le monde s'est accordé pour reconnaître à quel point cet interprète donne tout son sens à ses suites. Si Dieu a existé, je pense que Bach en est la preuve.


Je pourrais citer tous les disques de Carlos Kleiber, puisqu'à mes yeux, c'est un génie et qu'il est le chef d'orchestre que j'admire le plus - suivi par Furtwängler.
Je me contente de détacher ces deux-ci :



Le seul opéra dont je ne me lasserai jamais, je le sais. Wagner est mon héros. Disque parfait.


Entre autres, pour la symphonie numéro 7.




Je parlais de Wagner. Ce coffret-ci de la tétralogie est indispensable. Et merde à ceux qui n'aiment pas Karajan !


Parce que dans certain concerto, Samson François fait entendre des choses que je n'ai jamais entendues ailleurs...



Une autre voix que j'aime infiniment. J'espère aller l'écouter, un jour. Ce disque-ci d'abord.



Un "péché de vieillesse" tout à fait étonnant et qui recèle mille et une petites surprises.

Je serais ridicule d'en parler. Nous sommes dans l'essentiel.
Quant à cette version, si j'avais plus de mots, je la défendrais contre les quelques détracteurs.

Un des cadeaux de Noël de mon ami Robert, qui m'a beaucoup émue. "Le bord des larmes" à chaque écoute des lieder de Strauss.



Le voyage d'hiver et pas par n'importe qui... pour atteindre ces contrées de glace que nous portons en nous. Je suis vraiment en retard !


Au revoir.
vendredi 30 septembre 2005
Miss Havisham [1], personnage inoubliable de Dickens [2] est toute à la fois le pathétique et le tragique. La description qu’en donne à voir le grand écrivain anglais est sublime. Nous en reproduisons ci-après des extraits. Une vieille femme figée ou fossilisée dans son désespoir demande à ce que notre jeune héros, Pip, vienne jouer devant elle afin de la distraire, mais aussi dans l'idée qu'il devienne une une proie pour la jeune fille qu’elle a élevée. Celle-ci est éduquée pour devenir un monstre, non pas tant par cruauté ou folie que par le désir de lui éviter les peines que son vieux cœur avait goûtées.
Voici ce que Giono comprend : « J’avais eu, bien entendu, cent milliards de désillusions depuis cette fameuse fois où j’avais établi le premier rapport entre la vie et moi-même. Ce banquet de noce écrasé de poussière, de toiles d’araignée et de cancrelats, c’était le banquet de la jeunesse. Nous comprîmes cent fois mieux Miss Havisham qu’Estella. Nous avions vécu des rêves . On s’efforçait de nous faire comprendre que ces rêves étaient minuscules. Mais les rêves n’ont pas de dimension, et les désillusions ont une valeur de choc indépendante de l’âge et de la pesanteur spécifique du désillusionné. La jeunesse est une aristocratie ; même quand elle emploie ses révoltes à contresens, elle chouanne. Elle n’est jamais le commun des mortels ; elle porte en elle-même sa statue équestre sur sa place des Victoires. Quoi de plus orgueilleux que ces pendules arrêtées, ce banquet momifié dans ces bandelettes ?
Miss Havisham était des nôtres, l’amande de notre coquille, le milligramme millénaire en germe dans les jeunes cœurs. Il n’était pas besoin de nous expliquer ses réactions, nous agissions tous les jours comme elle pour affirmer notre liberté. Elle nous justifiait. »[3] Malgré son âge et son dégaine de squelette, Miss Havisham représente la jeunesse car elle n’a renoncé à rien, n’a fait le deuil d’aucune de ses aspirations et de ses rêves brisés. Elle a laissé sa chambre de jeune fille dans l’état où elle était au moment où elle se préparait pour son mariage, lorsqu’on est venu lui annoncer que l’homme en question ne l’épouserait pas. Elle est demeurée figée dans cet instant, ne s’est pas changée et n’a pas changé. Elle est immobile depuis cet instant. Seule la poussière, la moisissure, la pourriture des choses autour d’elle et sur elle, lui indiquent la fuite d’un temps qui ne la concerne plus. Or, Freud, nous l’apprend, et l’expérience de la vie également, que le deuil est le travail nécessaire et souterrain de toutes les âmes qui vieillissent et vivent. Quelqu'un disait en ce sens que «Vivre, c’est survivre à un enfant mort.» Il y en a en nous des milliers d’enfants morts de désespoir, de désillusion, de dégoût, d’amertume et de chagrin. Est-ce tragique ? Non, ce qui semble tragique, c’est plutôt le refus de ces deuils, si tant est que cela soit possible. Toute tragédie, que ce soit Hamlet (impossibilité de faire le deuil du père ou de l’idée de la mère parfaite), Othello, Œdipe, Médée, etc. tous ces personnages ne peuvent renoncer au pivot de leur existence, qui peut être un être, ou par-delà celui-ci le monde ou les valeurs qu’il incarne, ou une manière de penser. Le monde de Miss Havisham est une ruine, elle-même en est une et, pour ces raisons, elle est belle dans sa laideur, heureuse dans son malheur, vainqueur dans son échec et plus vivante que n’importe lequel d’entre nous dans sa mort.
« Quand le ruine sera complète, dit-elle avec un regard sinistre, et quand ils m’étendront, morte, dans ma robe de mariée, sur la table de noces, la malédiction s’appesantira sur lui ; et je voudrais que ce fût aujourd’hui. »[4] Il y a quelque chose qui ressemble à de la magie, à un rituel dans ce comportement, mais aussi à un spectacle qu’elle donne à contempler
Le grand Meaulnes a une atmosphère brumeuse qui ressemble à celle qui se dégage de l’univers de Miss Havisham. Je ne sais si Alain-Fournier avait lu Dickens, mais les points de contact entre les deux œuvres sont nombreux : une noce, celle de Frantz de Galais, s’achève avant d’avoir commencé. Le personnage, déguisé en musicien affirme : « Je voulais mourir. Et puisque je n’ai pas réussi, je ne continuerai à vivre que pour l’amusement, comme un enfant, comme un bohémien ». Qu’ont en commun le bohémien et la momie ? Rien sinon une vie en marge, hors de l’ordre de la vie ordinaire ?
Un autre personnage nous fait songer à Miss Havisham : l’Emily de la nouvelle de Faulkner intitulée "Une rose pour Emily". Elle aussi a été abandonnée - on le suppose en tout cas - par son amoureux avant les épousailles, deux ans après la mort de son père, et l’auteur fait dire au sujet d’Emily et de sa famille, les Grierson : «Nous nous les étions souvent imaginés comme des personnages de tableau (…) »[5] Son père meurt et elle refuse de l’enterrer, puis y consent après y avoir été contrainte par les autorités. Le narrateur anonyme est une voix, celle de la ville tout entière : « Personne ne dit alors qu’elle était folle. Nous croyions qu’elle ne pouvait faire autrement. »[6] Cette phrase est étrange, pour le moins.


Miss Havisham est décrite comme un squelette et Miss Emily « avait l’air enflée, comme un cadavre qui serait resté trop longtemps dans une eau stagnante, elle en avait même la teinte blafarde. »[7] L’eau stagnante est peut-être une évocation de ses larmes.


Miss Emily a une relation avec Homer Barron mais il ne l’épouse pas. La ville chuchote. Miss Emily achète du poison : « le meilleur que vous ayez. »[8]. Emily achète un nécessaire de toilette pour homme aux initiales de Homer Barron. Miss Emily va se marier ? Miss Emily est-elle mariée ? Homer Barron part, revient une fois et personne ne le revoit plus. Faulkner aime bouleverser, dans ses récits, la chronologie et mélanger les événements, sans souci de la succession de ceux-ci. Tant et si bien qu’il est très difficile de remettre les événements dans leur ordre logique. Sûrement est-ce là la leçon de l’auteur : il n’y a pas d’ordre. Pas de lien de cause à effet. Quoi qu’il en soit, il semble bien que Miss Emily ait empoisonné son « fiancé ». En effet, une odeur pestilentielle se répand autour de la maison… Puis, quarante après, lorsque la vieille jeune fille meurt, on ouvre une pièce fermée depuis toutes ces années. La description est extraordinaire : « Sous la violence du choc, quand on défonça la porte, la chambre parut s’emplir d’une poussière pénétrante. On aurait dit qu’un voile mortuaire, ténu et âcre, était déployé sur tout ce qui se trouvait dans cette chambre parée et meublée comme pour des épousailles, sur les rideaux de damas d’un rose passé, sur les abat-jour roses des lampes, sur la coiffeuse, sur les délicats objets de cristal, sur les pièces du nécessaire de toilette avec leur dos d’argent terni, si terni que le monogramme en était obscurci. Parmi ces pièces se trouvaient un col et une cravate, comme si on venait juste de les enlever. Quand on les souleva, ils laissèrent sur la surface un pâle croissant dans la poussière. Le costume était soigneusement plié sur une chaise sous laquelle étaient les chaussettes et les souliers muets.
L’homme lui-même était couché sur le lit.
Pendant longtemps, nous restâmes là, immobiles, regardant son rictus profond et décharné. On voyait que, pendant un temps, le corps avait dû reposer dans l’attitude de l’étreinte, mais le grand sommeil qui survit à l’amour, le grand sommeil qui vainc même la grimace de l’amour l’avait trompé. Ce qui restait de lui, décomposé sous ce qui restait de la chemise de nuit, était devenu inséparable du lit sur lequel il était couché ; et sur lui, comme sur l’oreiller à côté de lui, reposait cette couche unie de poussière tenace et patiente.
Nous remarquâmes alors que l’empreinte d’une tête creusait l’autre oreiller. L’un d’entre nous y saisit quelque chose et, en nous penchant, tandis que la fine, l’impalpable poussière nous emplissait le nez de son âcre sécheresse, nous vîmes que c’était un cheveu, un long cheveu, un cheveu couleur gris fer. »[9] Ainsi s’achève la nouvelle. On comprend que Emily et Homer ont eu leur nuit de noce sans être mariés et qu’avant de mourir, Emily est venue s’allonger une nouvelle fois près de celui qu’elle a empoisonné et qui est mort après l’amour, comme en témoigne cet unique cheveu, ultime trace de son passage.
La poussière, chez l’une et l’autre de nos héroïnes, est un des personnages principaux. Chez Shakespeare, cet élément fait souvent partie de ses tragédies, par exemple chez Hamlet : « Seek for thy noble father in the dust. » («Cherche ton noble père dans la poussière.», la Reine à Hamlet, acte I, sc.2 ) ; «What a piece of work is a man ! how noble in reason ! how infinite in faculties! in form and moving how express and admirable! in action how like an angel! in apprehension how like a god ! the beauty of the world, the paragon of animals! And yet to me what is this quintessence of dust ? » («Quelle œuvre d’art est un homme ! combien est-il noble en raison ! combien est-il infini en ses facultés ! quelle expression admirable en silhouette et en mouvement ! en acte, quel ange ! dans l’appréhension quel dieu ! la beauté du monde, le modèle des animaux ! et pourtant à mes yeux qu’est-ce que cette quintessence de poussière ? » Hamlet, acte II, sc. 2)


La grandiloquence de Miss Havisham qui désigne son cœur et s’écrie : «Brisé !» nous fait songer à elle comme à une machine. Il y a identification entre elle et les pendules qui se sont arrêtées, à neuf heures moins vingt, l’heure où elle a reçu le jour de son mariage une lettre de son fiancé lui annonçant qu’il ne viendrait pas.
Estella est un jouet pour elle, une poupée obéissance à qui elle fait jouer le rôle de celui qui l’a abandonnée.


[1] Emettons une hypothèse : « sham », le substantif, qui est une partie du prénom de notre personnage fétiche signifie « comédie », « imposture », « imitation », « cabotinage » et l’adjectif exprime en conséquence ce qui est « feint » ou « simulé ». Au crédit de cette hypothèse : l’envie de la vieille femme de voir Pip jouer devant elle.
[2] Les grandes espérances, Ed. Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade (que nous signalons sous cette abréviation : B.P.). Voir aussi l’édition du livre de poche (L.P., 1964) pour sa magnifique préface par Jean Giono. Dans les deux cas, il s’agit de la même traduction par Pierre Leyris.
David Lean a réalisé une belle adaptation cinématographique de ce roman.
[3] LP, p. 9-10.
[4] LP, p. 100.
[5] "Une rose pour Emily" et autres nouvelles (extraites de Treize histoires), Paris, Ed. Gallimard, Coll. Folio, 2002, p.20.
[6] Ibidem, p. 21.
[7] Ibidem, p. 16.
[8] Ibidem, p. 24.
[9] Ibidem, p. 32-33.

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Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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