mercredi 24 mai 2006
J'aime infiniment traduire parce que je m'instruis constamment, parce que cela nourrit ma passion dévorante pour l'écriture et la lecture, parce que je me sens l'âme d'une exploratrice. En donnant une version française au roman de Barrie qui va sortir en septembre, j'étais tombée sur cette phrase :
J’étais le seul survivant de l’infortunée Anna Pink. Si épuisé étais-je qu’ils durent me porter jusqu’à leur cabane, et grande fut ma gratitude quand j’ouvris les yeux dans cet édifice romantique, au lieu de me retrouver dans la cabine de Davy Jones.

Je me suis demandée qui était ce Davy Jones. Mes recherches m'entraînèrent dans des contrées lointaines. Pour résumer, je rédigeai cette note : Expression qui signifie la mort. Jones est peut-être une corruption du nom Jonas, le prophète jeté dans la mer, qui passa trois jours et trois nuits dans le ventre d’une baleine. La première occurrence de cette expression se trouverait dans le livre de Tobias Smollett [je ne crois pas vous avoir déjà parlé ici même de Roderick Random], Adventures of Peregrine Pickle (en 1751) : « Ce même Davy Jones, selon la mythologie propre aux marins, est le démon qui préside aux esprits malins des profondeurs, et qui prend diverses formes, perché sur le gréement les soirs où la tempête fait rage, responsable des naufrages et des autres dommages auxquels sont exposés les navigateurs (…) » Ainsi cette « cabine » désignerait le fond de la mer, les profondeurs de l’océan. Personne ne sait si ce Davy Jones fut une personne réelle. Certaines légendes disent qu’il s’agissait d’un pirate redoutable, qui aimait faire marcher ses victimes sur la planche (à l’instar de Crochet !), avant qu’ils ne tombent dans les abîmes de l’océan… Le Brewer’s dictionary of phrase and fable offre une autre perspective, de surcroît : Davy serait un abâtardissement de Duffy, un terme indien pour fantôme.
lundi 22 mai 2006
Wim Wenders demeure pour moi celui qui a réalisé un chef-d'oeuvre, Les ailes du désir,

un film exigeant, poétique et humain, aux côtés de Peter Handke en ce qui concerne le scénario. J'ai toujours beaucoup aimé l'idée que je me fais depuis toujours, dans mon for intérieur, des anges. Je ne crois pas plus à ces êtres qu'aux fées, mais je fais semblant ; et faire semblant est aussi bien que réellement le faire ou le vivre. Je plagie quelque peu une déclaration de mon bien-aimé Barrie mais je ne trouve pas de meilleure façon d'exprimer ce vécu.

Wim Wenders a mis en images ma conception imaginaire des anges qui est tangence, murmure et fugue. Un ange tombe amoureux et pour prix de cette chute devient mortel. N'en sommes-nous pas tous arrivés à ce point ? Les plus chanceux d'entre nous, en tout cas.

Il y a quelques mois, j'avais découvert en salle son dernier film, Don't come knocking. Je pensais en parler ici même et puis je me suis retrouvée dans un maelström. Le temps est une denrée rare. Tout à coup je pense à lui, par association d'idées, et j'éprouve le besoin de jeter ces quelques lignes à l'eau, dans cette petite bouteille (d'encre et non pas de whisky) qu'est mon devenue mon JIACO. J'ai retrouvé, comme dans chacun de ses films, une sensation d'étrangeté qui surpique l'exposition de faits plutôt réalistes. Mélodie triste et douce. Tout pour plaire à une mélancHollyque.

La vie n'est pas une maladie ni un poison. La vie ressemble plutôt au sac à main d'une femme : un n'importe quoi où se frôlent les univers les plus hétéroclites. La beauté surgit du commun, du chaos et du hasard. C'est la récompense d'une vanité audacieuse au coeur de nos histoires personnelles.

Un acteur un peu raté, déglingué comme une guitare dont toutes les cordes serait cassées, s'enfuit d'un tournage et part à la recherche de son passé. Autrefois, il fut célèbre. Il n'est plus qu'un acteur de seconde main. Il s'en moque. Il a dépassé depuis longtemps cette ligne de fuite. Il va revoir sa mère qu'il a abandonnée hier, il y a dix ou vingts ans. Il est poursuivi par un type qui veut le contraindre à regagner le tournage du film.

Sur sa route, qui n'a pas de but réel, il retrouvera un ancien amour de dix secondes mais la partition est déchirée. Il a aimé avec la rapidité et la dévinvolture d'un alcoolique qui enfile son énième verre. Deux enfants, trop grands pour l'être encore vraiment, qui ne se connaissent pas, qui ignorent tout de leur père vont le croiser. Le ballet est mal chorégraphié. L'un (Sarah Polley, fragile et douce, dont j'ai fait la connaissance dans l'excellent film d'Isabel Coixet, Ma vie sans moi) le devine et est prête à l'aimer, car elle sait tout de la perte - elle porte sa mère sous son bras dans une urne ; l'autre lui en veut à bon droit. Ils se retrouvent dans le no man's land de leur mémoire. Et puis... Et puis...

Ce film m'évoque Honky-Tonk Man d'Eastwood : une tendresse identique veine ce long métrage sinueux. Mais Wim Wenders est moins désespéré que Clint. Mais, paradoxalement, peut-être plus pessimiste, car il ne fait pas de cette histoire un drame ou une tragédie (le malheur est noble) mais l'écrit et la filme comme une banalité de plus dans l'existence de ces êtres.

Bande annonce ici.

Interview et extraits.

dimanche 21 mai 2006

Le film de Christian Vincent ne porte pas tout à fait bien son nom. Je ne donnerai pas quatre étoiles à ce film, trois peut-être, tout au plus. De toute façon, en matière de palace, je préfère le Gritti. My heart belongs to Venezia. J'ai une réticence opiniâtre face aux comédies françaises qui sont, en général, et à mon goût, de très mauvais films ou des films vaguement médiocres, possédant à peine les moyens de leurs basses ambitions. Rares sont celles qui provoquent en moi le rire franc, profond, salvateur, contagieux dans son impertinence. Car il s'agit de cela : je ne vais pas au cinéma pour vulgairement me distraire, plonger dans l'oubli de mon existence personnelle ; le cinéma ou la lecture ne sont pas simplement une giclée de morphine ; je suis attentive aux échos, au ton. Mon esprit fait une partie de squash avec les personnages ; l'écran est l'un des quatres pans de la salle où se projette mon âme. Je suis très méfiante lorsqu'il s'agit de José Garcia, que j'imagine, avec une immense injustice très certainement, en trublion sans profondeur. Il m'évoquait trop un vilain sergent... J'ai tort. J'aime que l'on me contredise. Il le fit, hier. Je suis habituée aux screwball comedies (comédies loufoques in French), à Lubitsch, à Wilder et à quelques autres. Nécessairement, je suis très difficile et exigeante en cette matière. Mon rire ressemble au dernier baiser de Mrs. Darling. Il faut aller le décrocher. Comme la lune. Autant s'y prendre de bonne heure et viser haut. Alléchée par la supposition émise, ici et là, que ce film était une comédie dans le style de celles que j'afffectionne, je me suis rendue d'un pas légèrement précipité à cette invitation de la salle obscure. Que nenni ! Dire de ce film qu'il a un esprit lubitschien serait se moquer. Ou penser que le spectateur est idiot et inculte. Je me souviens que l'on avait dit une chose comparable - les critiques sont des paresseux qui s'engouffrent dans n'importe quel raccourci même s'il y a une impasse au bout - en parlant d'Intolérable cruauté,
l'un des mauvais films de Frères Coen (ils ont réalisé d'excellents films, dont The Barber, par exemple). J'avais détesté ce film sans surprise et sans culot. On remarquera la parenté entre les deux affiches... "Epatez-moi !", ai-je envie de créer aux artistes ! Malgré un scénario qui tient en une ligne, sans vigule ni point-virgule, il s'agit d'un film doué d'une écriture assez précise et nerveuse. Le film ne manque pas de rythme et les acteurs débordent d'allant. Isabelle Carré est belle, enfantine, mutine. Garcia est presque délicat, malgré sa désinvolture, ou peut-être à cause d'elle. François Cluzet n'a pas le beau rôle, mais il est émouvant dans cet emploi de "Belle au bois dormant", éveillé par la luminosité de cet escroc en robe décolletée. Garcia et Carré. Un couple qui ne ressemble pas aux modèles. Ils dorment ensemble une nuit ; il ne se passe rien. Mais vous savez que "rien", c'est pire que tout. Et meilleur. J'ai pris grand plaisir à déguster cette friandise délicieuse. Dans le numéro de Mai de Positif,
Isabelle Carré explique dans un entretien comment elle s'est préparée pour ce film, les improvisations qu'elle s'est permises avec son complice, José Garcia, et les références qu'elle avait en tête. Lorsqu'elle descend l'escalier du palace, pour la première fois, elle chantonnait intérieurement à la manière de Marilyn Monroe. Je crois bien qu'elle a intercepté le secret de ce film joyeux : il donne moyen, un instant, d'être un autre, un personnage. Les clients intermittents des palaces savent cette vérité : on prend plus de plaisir à jouer qu'à se frotter aux dorures. Il restera toujours quelques paillettes collés dans la prunelle, au bout des doigts... Voir le billet de Siréneau sur le même sujet.
samedi 20 mai 2006

Le chagrin est exponentiel. Un rien l'engraisse. Tout est prétexte à son extase. Rien ne peut traiter un chagrin d'amour. Il meurt de lui-même dans la plupart des cas car l'inconstance des âmes et la paresse l'assassinent. A petit feu. Comme une mort par arsenic, un poison délivré peu à peu, chaque jour. Il naît adulte et meurt en ayant la taille d'un atome. Il faut savoir l'envisager comme un personnage qui fait de l'ombre à votre jeu ou comme un convive indélicat qui prend part au festin de votre vie, à votre table, et se goinfre de vos joies ou mets les plus délicats. Il mourra par anorexie. Le chagrin vit tant qu'il existe, tant qu'il existe, chez son propriétaire, quelque chose à dévorer. La chair des souvenirs que l'on porte à sa bouche, la moelle des jolies choses passées que l'on suce. Il demeure tant que l'on retient ce qui nous attache encore à l'être perdu. Puis, lorsqu'il ne reste que l'ombre, l'écho et le squelette de ces choses, il meurt de mort naturelle. Il serait mort-né si nous n'étions pas tous autant que nous sommes des thésaurisateurs du bonheur. Ne parlent du chagrin d'amour que ceux qui ne le vivent pas. Il est l'indicible pour celui qui est atteint pour cette affection. Sagesse. En effet, il n'y a rien à dire puisqu'il ne reste rien. L’état d’âme est le flux de la conscience incarnée dans un objet, une idée, une part de soi ou d’un autre, qui se détache de l'être et part à la dérive dans les limbes du vécu. Le sujet mélancolique s'identifie à l'objet perdu et sombre avec lui. Le chagrin d'amour n'a guère eu la faveur des philosophes, en tant que cas sérieux pour une étude. C'est un tort. Si j'étais meilleur penseur [je ne me masculinise pas, mais j'use du masculin comme neutre ; rien de plus irritant pour moi que cette féminisation intempestive des mots, au mépris du bon sens et des règles du français ! Je ne suis pas vieux jeu ! Je trouve ceci affligeant.], je m'attellerais à cette tâche. Le chagrin d'amour est une flaque. Le chagrin d'amour est un trou noir. Il est les deux à la fois. On le croit profond, il n'est que surface ; on le croit superficiel, on le caresse, et la main plonge tout entière, puis le bras, puis le reste. Le chagrin d'amour est une tromperie. Il ne se laisse pas regarder en face, car on n'y voit jamais qu'un reflet de soi et non ce que l'on attend de voir : l'autre ou ce qui est à jamais perdu. Le chagrin d'amour est un deuil sans cadavre. Mais la mort d'un idéal ou d'une illusion n'est-ce pas aussi grave ? En tout cas, c'est dramatique à défaut d'être tout à fait tragique. C'est un chagrin aristocratique. Mais il en est d'autres, moins beaux, mais parfois tout aussi destructeur, comme le dégoût de soi. Il y a le chagrin du chagrin, qui ne s'arrête nulle part mais fait son miel de tout, même du néant. C'est le chagrin existentiel. Peut-on en guérir une fois atteint ? Je ne sais pas. Je n'y ai goûté que du bout des lèvres et je ne l'ai pas aimé. Les Allemands disent ce chagrin avec un mot très poétique. “Der Weltschmerz”. Mot allemand de genre masculin. Il désigne une forme de pessimisme et de mélancolie. Littéralement, on peut le traduire par “le mal du monde”. Le mot, chez les poètes allemands, désigne la douleur de vivre. C’est aussi une manière de concept qui a trait à la philosophie de l’existence. Le mot a été crée par le poète Jean Paul afin de décrire l’humeur déployée par Byron, dans des œuvres telles que Manfred et Childe Harold's Pilgrimage. Le Weltschmerz est exprimée, en France, dans les œuvres de Vigny, par exemple. Qui peut oublier le suicide de Chatterton ?*
La mort de Chatterton par Henry Wallis, 1856. Chatterton par Serge Gainsbourg Chatterton suicidé Hannibal suicidé Démosthène suicidé Nietzsche fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Chatterton suicidé Cléopâtre suicidée Isocrate suicidé Goya fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Chatterton suicidé Marc-Antoine suicidé Van Gogh suicidé Schumann fou à lier Quant à moi Quant à moi Ça ne va plus très bien Un antidote possible : Dani, l’héroïne de Truffaut (entre autres ! Mais c’est ce qui, en premier lieu, me relie à elle…) et son dernier album, Laissez-moi rire. J’aime les femmes qui ont des voix râpées par le tabac et l’alcool. Dani.  
 * En souvenir, une de mes chattes se nomme Kitty Bell.
vendredi 19 mai 2006
En réponse à la fin de ce billet-ci. Tel était le sort des suicidés en Angleterre. Afin qu'ils ne puissent jamais trouver le repos (à cause du bruit) et qu'ils ne soient pas enterrés avec les autres morts, les dignes macchabées. Qu'on ne puisse pas les confondre surtout ! Le suicidé est un criminel. Je mesure à quel point la tolérance de mon cher Hume (avec le temps, je me rends compte à quel point il est le philosophe que j'ai le plus de bonheur à lire et celui qui me paraît le plus sage en bien des endroits ; ses provocations sont saines et calculées afin de produire une réflexion soudaine, qui est un feu exigeant, qui n'a de cesse d'être nourri par la pensée) sur ce sujet était courageuse.
Mais la vie d'un homme n'a pas plus d'importance pour l'univers que celle d'une huître. Et quand bien même elle serait d'une si grande importance, l'ordre de la nature l'a effectivement soumise à la prudence de l'homme, et nous oblige, constamment, à nous déterminer à son sujet.
Essai sur le suicide

Le suicide était considéré comme un homicide - techniquement on ne peut nier que cela en soit un. Un suicide raté était passible de sanctions pénales. Les corps des suicidés étaient envoyés en salle de dissection. Les choses s'améliorèrent peu à peu sous le règne de Victoria. Un fragment [la traduction est en prose, car je n'ai guère le temps de m'adonner à la poésie en ce moment, malheureusement ! ] dit les tourments de ces morts sans sépulture véritable : Mort ! Depuis longtemps mort ! Depuis longtemps mort ! 
Et mon coeur est une poignée de poussière 
Et sur ma tête les roues passent 
Et mes os sont secoués dans la douleur 
Car dans une tombe peu profonde ils ont été jetés 
Seulement un yard* sous la rue 
Et les sabots des chevaux frappent, frappent 
Les sabots des chevaux frappent 
Le supporter dans ma peau et dans mon cerveau 
Sans que jamais ne cesse le flux des gens qui marchent 
Ils roulent ; ils se pressent ; ils se marient ; ils enterrent 
Clameur et bagarre, les cloches qui sonnent et le fracas 
Et, ici, en-dessous, c'est tout aussi terrible 
Car je pensais que le mort avait la paix, mais ce n'est pas le cas N'est-il pas triste de ne pas avoir la paix dans la tombe ? 
Mais agité de haut en bas, d'avant en arrière 
Même les morts me fuient 
Et d'entendre un mort jacasser 
Est suffisant pour rendre fou 
Pauvre de moi ! 
Pourquoi ne m'ont-ils pas enterré assez profond ? 
Est-il aimable de m'avoir creusé une tombe aussi sommaire ? 
Moi, qui ne fut jamais un paisible dormeur 
Peut-être le suis-je encore mais à moitié mort 
Alors, je ne peux être totalement sourd 
Je crierai aux pas des gens au-dessus 
Et quelqu'un, sûrement, quelque gentil coeur viendra 
M'enterrer, m'enterrer 
Plus profond, ne serait-ce qu'un peu plus profond 
Alfred Tennyson (1809-1892) 

* Moins d'un mètre.  

 Puisqu'il est question de poésie, j'enjoins ceux qui en ont l'intérêt à lire ce volume de La Pléiade, orné du portrait de Keats :
qui est un régal pour mon coeur.
Quelques livres achetés ce matin, sur le net, afin de perfectionner mon éducation (victorienne) :
  • Une petite encyclopédie holmésienne :

  • Ce que mangeait Jane Austen et ce que savait Charles Dickens :

La première page de ce singulier manuel :

  • Un guide londonien écrit par le fils de Charles Dickens.

  • Et un livre qui manque à ma collection : George Meredith: A Tribute par J. M. Barrie...
jeudi 18 mai 2006
J'ai toujours eu un faible pour les désespérés, les brûlés, les piqués, les gens abîmés. Moi, qui n'ai jamais su que pleurnicher là où il aurait fallu se tenir raide sur la corde. Je crois que Miossec, avec Cali et quelques autres pour la jeune génération de chanteurs, fait partie de ceux-là. Il y a de la beauté dans la déchéance. Les grands Tragiques de l'Antiquité l'ont compris. Keats de même lorsqu'il évoque "la joie de la souffrance". J'ai un appétit pour le malheur, ou plus exactement pour le sublime auquel il conduit parfois, lorsque l'on tente de se relever. Souffrir est encore vivre et le pire n'est que l'absence d'émotion. Madame, une chanson en alexandrins, écrite en hommage à Juliette Gréco : miossec.  
mercredi 17 mai 2006

Je n'ai guère de temps aujourd'hui pour écrire. A peine ai-je essayé de mettre en place un index pour jeter un peu d'ordre parmi les cinq cents messages qui composent ce bouquet de roses hivernales... J'ai pris modèle sur Miss Poivert. Premier pas vers un déménagement de mon JIACO sur mon propre serveur. Je tombe par hasard sur cette citation, relevée au début de ma passion barrienne. Je la livre, brute, dans la gangue d'une traduction rapide, au canif.

« (…) il n’y a pas de grand homme sur terre, hormis celui qui part à la conquête de lui-même. Et, dans certains hommes, la part maudite - qui est en chacun de nous -, est si forte que la combattre et malgré tout être vaincu n’est pas tout à fait un échec. Il est fou d’exiger une complète réussite de la part de ceux que nous voulons aimer. Nous devrions les rejoindre au moment où ils s’élèvent au-dessus d’eux-mêmes, pendant un instant, et faire preuve de compassion quand ils retombent. Dans les premiers temps, les jeunes amoureux pensent que l’autre est parfait, mais un amant plus noble vient quand ils découvrent les faiblesses de l’autre, et cet amour plus grand est tellement plus attractif qu’il rend vain tous les pleurs bien qu’il les flagelle en leur for intérieur. Ainsi, ils apprennent les limites de l’humanité, et cette part maudite qui est en moi n’est pas semblable à celle qui est en vous, mais nous en possédons tous une, et de là vient la pitié que nous éprouvons pour ceux qui sont marqués par cette tare, et naît alors le désir de s’aider les uns les autres, car la connaissance est compassion, et la compassion est amour. Comprendre ceci fait du Fils de Dieu un homme. » (Tommy et Grizel)
mardi 16 mai 2006

A priori, je suis hostile au mélange abrupt des genres, à la vulgarisation vulgaire et consort. Mais je fais voler en éclats mes réserves naturelles face à ce petit livre, malicieux et plutôt bien pensé. Il s'agit d'une récollection des grands concepts de la pensée de Freud en bande-dessinée. Je n'ai relevé, après une lecture rapide, aucun contresens ou bêtise. Bien au contraire. Comment comprendre la pensée - j'ai failli dire philosophie, ce qui en dit long sur ma compréhension du bonhomme- de Freud, en s'amusant, pour une somme modique, tel est l'enjeu de ce charmant roman graphique. Tout y est ou presque : du principe de plaisir/réalité, au fort-da, à la névrose obsessionnelle de l'Homme aux rats, en passant par le complexe d'Oedipe, en rendant visite au petit Hans... Il est même question des disciples de Freud et des raisons de la rupture de certains avec leur "Père". Et l'humour qui sous-tend le texte rend hommage à Freud, qui est était un type tellement plus drôle que ne semblent le croire ceux qui ne l'ont jamais lu !

« Les contes de fées sont partout et de tous les jours ; nous sommes tous des princes et des princesses déguisés, ou des ogres, ou des nains malfaisants. Toutes ces histoires sont celles de la nature humaine, qui ne semble pas changer beaucoup en mille ans, et nous ne nous lassons jamais des fées parce qu’elles lui sont fidèles. »

Lady Anne Isabella Thackeray Ritchie (la fille aînée de Willliam Makepeace)


Vailima, décembre 1892

Cher J.M. Barrie,
Bientôt vous en aurez assez de moi. Je n’y peux rien. J’ai cessé de travailler depuis quelques temps et j’ai relu The Edinburgh Eleven [livre à sketches de Barrie] et j’ai dans l’idée d’écrire une parodie, j'éprouve un  immense désir de vous rendre la monnaie de votre pièce et d’imiter votre toupet [Barrie fait référence dans ce livre à Stevenson] afin de voir comment vous l’apprécierez vous-même. Et alors, j’ai lu (pour la première fois, je ne sais pas comment cela se fait !) A Window in Thrums [livre de Barrie, scènes de la vie de son lieu de naissance]. Je ne dis pas que que le livre est meilleur que The Minister [pièce, puis roman de Barrie] : cette fois, il s’agit pas vraiment d’un conte – et il y a de la beauté, une beauté matérielle inhérente au conte IPSE, que les critiques intelligents de nos jours et depuis longtemps aiment à oublier. Certes, il y a plus de défauts avérés ; quoi qu’il en soit, je l’ai lu dernièrement et c’est écrit par Barrie ! Et il est l’homme de la situation – à mon avis ! Le chapitre intitulé « Le Gant » est une grande page : c’est étonnamment original et aussi vrai que la mort et le jugement dernier. Tibbie Birse [personnage du Petit Ministre] dans le passage consacré à l’enterrement est immense ! (...)

Je suis fier de penser que vous êtes Écossais, bien que, soyez-en assuré, je ne sais rien de ce pays, étant un simple touriste anglais, pour citer Gavin Ogilvy [un pseudonyme de Barrie, mais également l'un de ses personnages]. Je recommande le difficile cas de M. Gavin Ogilvy aux bons soins de J.M. Barrie, dont l’œuvre est pour moi une source vive de plaisir et de sincère fierté nationale. (...) Et, s’il vous plaît, ne pensez pas, lorsque je semble me comparer à vous, que je sois totalement aveuglé par la vanité. Jess [un des personnages de Barrie in Auld Licht Idylls] marque les limites que je ne saurais franchir : je ne puis même pas effleurer sa jupe. Ma plume ne recèle pas une telle séduction crépusculaire. Je suis un artiste compétent, mais j’ai l’impression de commencer à voir en vous un homme de génie. Prenez soin de vous, pour mon propre salut. C’est une chose diablement difficile pour un homme qui écrit tant de romans que moi d’en avoir aussi peu à lire. Et je peux lire les vôtres et je les aime.
Dommage pour vous que ma copiste [Fanny, sa femme] ne soit pas là aujourd’hui et ma propre main est sensiblement pire que la vôtre.
Bien à vous,
Robert Louis Stevenson

Le 5 décembre 1892,
P.S. : On me dit que votre santé n’est pas robuste. Venez ici et essayez la Chambre du Prophète ! Vous n'y trouverez qu'un seul inconvénient : nous nous levons tôt. La copiste dit que vous êtes un amoureux du silence – et que notre maison est bruyante et qu’elle-même est un moulin à paroles – je ne suis pas responsable de ces assertions, bien que je pense fermement qu’il y ait une touche de loquacité dans mes appartements. Nous avons si peu de choses à discuter, voyez-vous ! La maison est éloignée de trois miles de la ville, située au milieu de grandes forêts silencieuses. Il y a un ruisseau non loin de là. Et quand on ne parle pas, on entend le ruisseau, et les oiseaux, et la mer qui vient se briser sur les côtes, trois miles au loin et six cent pieds au-dessous de nous. Et trois fois par mois on entend le tintement d'une cloche. Je ne sais pas où se situe cette cloche ni qui la fait sonner. Il se peut qu’il s’agisse de la cloche du conte d’Andersen. Il ne fait jamais chaud ici. Nous ne dépassons pas les 86 degrés à l’ombre [fahrenheit, à savoir 30 degrés celcius]. Et il ne fait jamais froid, sauf au petit matin. Tenez-le vous pour dit. Je pense que ce climat est le plus sain au monde : même la grippe perd entièrement son piquant. Seulement deux malades en sont morts : et l’un d’entre eux avait dans les quatre-vingts ans et l’autre était un enfant qui avait moins de quatre mois. Je ne vous dirai pas que c’est beau car je veux que vous veniez ici le constater de visu. Tout le monde, hormis ma femme, a du sang écossais dans mon domaine et – je vous demande pardon – les indigènes font également exception. Ma femme est néerlandaise.
(...)
R.L.S.
Venez, cela ouvrira votre esprit et cela me fera du bien.
************************


Je signale la sortie en traduction française de ce livre-ci (une anthologie de contes picorés dans The Merry Men et passim) :

Traduit par l'admirable Marcel Schwob :
http://www.marcel-schwob.org/

http://www.larevuedesressources.org/article.php3?id_article=13

On y retrouve, entre autres, Janet la Torte.



* Dans Better dead, un des premiers livres de Barrie, ce dernier pastiche le Club du suicide
(un fragment des Nouvelles mille et une nuits) de Stevenson. Bien des années plus tard, James Matthew B. reniera ce livre, regrettant de ne pouvoir en détruire tous les exemplaires.
Humeur du jour, en marge de mes billets stevensoniens : love. Avec Sinatra, Harry Bellafonte et quelques autres, Nat King Cole, j'ai le coeur en joie. J'ai une passion inextinguible pour les crooners - to croon « chanter des chansons sentimentales » - question de classe, de charme, de beauté, d'élégance, de bien-être. Impression que rien de grave ne peut advenir dans un monde bercé par ces voix.
Mon homonyme, Holly Golightly, éprouve cette sensation avec Tiffany. Je connais deux endroits au monde où je ne ressens jamais la moindre contrariété. Ce sont les palais du raffinement, d'un certain art de vivre suranné et désuet (les deux adjectifs ne sont pas tout à fait synonymes). Un célèbre café parisien qui est l'une des grandes avenues de ma cartographie intérieure. Non, ce n'est pas le Flore, que j'exècre ! Vous m'offensez ! Et, non, je ne suis pas snob, malgré Boris Vian ! J'aime me sentir en sécurité. C'est aussi simple que cela. Lorsque je me déplace, j'ai besoin que l'on prenne soin de ma petite personne, si mal à l'aise partout elle se rend.
Rares sont les lieux où je puis me décrisper. Un des endroits au monde que je préfère : le Harry's bar à Venise.
Qui n'a jamais mis les pieds dans ce lieu exigu ne peut expliquer les palpitations qui agitent ma carcasse lorsque j'évoque les nappes jaune paille (le ton fut choisi pour mettre en évidence le teint des dames, d'après M. Cipriani), la douceur du bellini (qui ne m'a jamais saoulée et qui n'a pas le goût de celui du Florian), la saveur généreuse du risotto (un de mes plats préférés), le ballet lent et précis des serveurs qui enroulent et déroulent, avec un soin exquis, une nappe qui chasse l'autre, avant le dessert (je n'ai jamais pu reproduire ce geste), les petits pains en spirale qui ont le goût d'une brioche aérienne... Le luxe discret. Le lieu est figé dans une autre époque, celle d'Hemingway (j'aime cet homme, ce grand suicidé des Lettres), qui en avait fait son lieu de perdition.
vendredi 12 mai 2006
Je débute avec ce billet, la rapide (et vilaine) traduction d’un échange épistolaire entre Stevenson et Barrie. J’ai neuf pages format Word, interligne simple, en ma possession.
Ensuite, Je traduirai l’article parodique de Punch mettant en scène Barrie, puis les deux pastiches holmésiens de ce dernier.
En espérant que ce choix et ce programme des prochains billets agréeront mes aimables lecteurs.
Je serai de retour lundi ou mardi.
Je vous souhaite à tous et à toutes un splendide week-end.

  • Première lettre :
Lettre à James Matthew Barrie, Vailima, Samoa, février 1892

Cher Monsieur Barrie,

C’est au moins la troisième lettre que je vous écris, mais ma correspondance a la fâcheuse tendance à ne pas atteindre le bureau de poste. Ma part d’humanité s’évanouit face au labeur requis par la rédaction d’une adresse sur une enveloppe, mais j’espère avoir plus de chance avec celle-ci. En effet, au-delà de l’usuel et fréquent besoin de vous remercier pour votre œuvre, vous êtes l’un des quatre coins contre lesquels je me cogne depuis que j’ai mon propre coin à regarder, et il n’y a aucune raison – à moins que ce ne soit les mystérieux flux et reflux de la marée, qui font et gâchent et tuent le travail des pauvres écrivaillons – pour que vous ne soyez pas un artiste de premier ordre. Les marées ont emporté ma phrase, mais de toute façon j’en étais las... Et, comme nous sommes entre écrivains, je m’autorise la liberté de la laisser en souffrance. De plus, nous sommes tous les deux Écossais et je nous soupçonne de l’être beaucoup. Le fait que, moi-même, je sois Écossais me conduit à l’intermittence, mais parfois cela mène à l’érysipèle - si ce mot doit être correctement épelé. Récemment, j’ai réalisé que nous avions fait tous les deux notre apprentissage dans la cité des vents [Londres], notre virgilienne cité grise, et je tiens cela pour un autre lien entre nous. Aucun lieu ne marque à ce point un homme. Finalement, je me sens comme un devoir de vous faire part de mes progrès. Il se peut que je fasse erreur mais je crois avoir reconnu votre tour de main dans un article [lequel ?] – il s’agit peut-être d’une illusion, c’est peut-être l'un des ces diligents insectes qui attrapent et reproduisent le tour de main de chaque homme de lettre naissant, mais je persévère à espérer que c’était votre travail. Je me plais à croire que cela vous fera plaisir d’apprendre que la suite de mon roman, Enlevé ! [Catriona], est en cours. Je n’en suis pas encore arrivé à parler d’Alan [un des personnages d'Enlevé !] - ainsi je ne sais pas s’il est encore en vie - mais David [personnage principal dudit roman] semble avoir plus d’un tour dans son sac. J’étais content de constater que la théorie anglo-saxonne s’est fourvoyée. J’ai donné à mon jeune homme des Basses-Terres un nom gaélique [relatif au nord de l'Écosse, les Hautes Terres ou Highlands], et j’ai même fait des commentaires à ce sujet dans le texte. Pourtant, la plupart des critiques ont reconnu en Alan et David un Saxon et un Celte. Je ne sais pas ce qu'il en est en Angleterre, mais en Écosse, au moins, où le gaélique est parlé à Fife depuis un peu plus d’un siècle et depuis guère plus longtemps à Galloway, je réfute le fait qu’il existe une chose telle qu’un pure Saxon et je pense qu’il est plus que discutable qu’il existe un pur Celte. Mais qu’avons-nous à faire de tout cela ? Et qu’en ai-je à faire ? Continuons à graver nos bouts d’histoires et laissons aux barbares leur fureur !


Bien à vous,


Avec mon sincère intérêt quant à votre carrière,


Robert Louis Stevenson
Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés, car Stevenson est mort avant.

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