lundi 21 janvier 2013
Andersen était une sorte de génie du papier découpé et, lorsque j'ai commencé à travailler sur une dramaturgie (le mot est pompeux) possible de La Petite Sirène, à la demande d'Alexis Moati et de L'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, il m'a immédiatement semblé pertinent de confronter ses œuvres littéraires et ses papiers découpés, de les considérer ensemble dans leur rapport intime à l'âme d'Andersen – la recherche de l'âme étant un thème présent en filigrane dans toute l'œuvre du célèbre conteur danois.
J'ai imaginé l'âme sous la forme d'un papier plié et replié très finement, à l'infini...
J'ai songé au Pli de Deleuze, à Leibniz...
J'ai parfois entrevu cette âme sous la forme d'un oiseau de papier, que l'on porte en soi toute sa vie, sans le déplier et qui, un jour, finit par s'envoler, lorsque nous fermons les yeux, lorsque nous ne pouvons plus le voir.
Dans mon esprit, naissait une petite sirène qui ne cessait, sur scène, de découper du papier pour trouver cette âme immortelle à laquelle elle aspirait tant – jusqu'à en mourir.
Tout cela fut vain, comme le prochain billet vous le montrera, mais peu importe. Je demeure dans cette vision et cette esthétique.
Dans mon esprit, naissait une petite sirène qui ne cessait, sur scène, de découper du papier pour trouver cette âme immortelle à laquelle elle aspirait tant – jusqu'à en mourir.
Tout cela fut vain, comme le prochain billet vous le montrera, mais peu importe. Je demeure dans cette vision et cette esthétique.
Qu'est-ce qu'une âme ? est l'impossible et essentielle question posée par La Petite Sirène. L’âme, c'est ce qui danse en nous, ai-je souvent coutume de dire. C'est aussi ce qui ne se laisse jamais définir ni saisir. C'est l'endroit où quelque chose "tombe au flot" (pour reprendre une expression de Bachelard). Le papier est un matériau intéressant, qui peut avoir plusieurs vies et qui dit milles histoires, selon qu'on le plie ou le découpe, par exemple ; et il peut changer de forme au contact de l'eau – larmes ou mer. Il se métamorphose, comme la sirène d'Andersen... C'est, en outre, une belle métaphore de l'âme, de ses rides, de ses creux...
Le papier découpé donne à voir une réalité double : ce qui est découpé et conservé d'une part et le déchet d'autre part. La forme et l'informe. La destruction et la création. Avec ce paradoxe possible que ce qui est déchet est peut-être plus révélateur que ce qui est mis en forme, avec cette idée que le sens est peut-être davantage caché dans ce qui tombe à terre.
Pour créer, il faut toujours détruire quelque chose. Pour aimer, ai-je envie de dire, il faut non pas haïr, mais élire ; et ce choix suppose toujours un rejet de ce qui n'est pas élu.
La création artistique est une forme d'amour. Cela procède de l'Eros (amour) en nous, qui va toujours de pair avec Thanatos (mort). Ces deux forces ou pulsions, Eros et Thanatos, sont présentes dans le conte La Petite Sirène, à travers les deux couleurs dominantes et, parfois, mélangées, le rouge et le bleu. Cela explique aussi le masochisme de la sirène. Le positif et le négatif, qui n'existent l'un que par l'autre, en miroir, comme la mer et le ciel dans le conte.
Dans une oeuvre littéraire, il y a toujours deux contenus superposés : le manifeste (ce qui se laisse lire de manière plus ou moins immédiate, le texte que la paupière caresse à distance en somme) et le latent (ce qui est présupposé, caché, induit par le texte, mais ne se laisse pas saisir au premier regard et requiert une "enquête", un investissement ou un "découpage"de la part du lecteur). Cette distinction du latent et du manifeste est empruntée à Freud qui considère les rêves selon ce double point de vue : le rêve en lui-même tel que l'on peut le raconter et l'interprétation cachée qu'il faut mettre à jour, tirer du rêve – pour résumer très grossièrement, bien sûr.
Précisément, le conte intitulé La Petite Sirène a tout du rêve. Il suffit de le lire attentivement pour s'en convaincre (l'héroïne saigne, mais son sang ne tache pas ; elle ne parle pas, et son cri muet, comme le nôtre dans certains rêves particulièrement effrayants, ne cesse de nous assourdir). Nous, lecteurs, sommes conviés à l'intérieur d'un rêve. Rien n'a d'existence hors de ce rêve. À moins que ce rêve ne soit qu'un rêve dans un autre rêve plus vaste et ultime – celui de d'Andersen ou, mieux, de Dieu, qui rêve alors autant d'Andersen que d'Andersen rêvant de la sirène – qui, elle-même, rêve d'un Prince, qui ne rêve pas d'elle...
Mais le Prince n'existe pas.
Dieu, lui, existe peut-être.
Andersen, lui, existe certainement.
La petite sirène est évidemment un décalque de la Cordelia de Shakespeare (auteur qu'Andersen admirait follement, tout comme Walter Scott d'ailleurs) et, à ce titre, elle est une incarnation de la mort.
Dans une oeuvre littéraire, il y a toujours deux contenus superposés : le manifeste (ce qui se laisse lire de manière plus ou moins immédiate, le texte que la paupière caresse à distance en somme) et le latent (ce qui est présupposé, caché, induit par le texte, mais ne se laisse pas saisir au premier regard et requiert une "enquête", un investissement ou un "découpage"de la part du lecteur). Cette distinction du latent et du manifeste est empruntée à Freud qui considère les rêves selon ce double point de vue : le rêve en lui-même tel que l'on peut le raconter et l'interprétation cachée qu'il faut mettre à jour, tirer du rêve – pour résumer très grossièrement, bien sûr.
Précisément, le conte intitulé La Petite Sirène a tout du rêve. Il suffit de le lire attentivement pour s'en convaincre (l'héroïne saigne, mais son sang ne tache pas ; elle ne parle pas, et son cri muet, comme le nôtre dans certains rêves particulièrement effrayants, ne cesse de nous assourdir). Nous, lecteurs, sommes conviés à l'intérieur d'un rêve. Rien n'a d'existence hors de ce rêve. À moins que ce rêve ne soit qu'un rêve dans un autre rêve plus vaste et ultime – celui de d'Andersen ou, mieux, de Dieu, qui rêve alors autant d'Andersen que d'Andersen rêvant de la sirène – qui, elle-même, rêve d'un Prince, qui ne rêve pas d'elle...
Mais le Prince n'existe pas.
Dieu, lui, existe peut-être.
Andersen, lui, existe certainement.
La petite sirène est évidemment un décalque de la Cordelia de Shakespeare (auteur qu'Andersen admirait follement, tout comme Walter Scott d'ailleurs) et, à ce titre, elle est une incarnation de la mort.
Le papier découpé (ci-contre) illustrant ces quelques mots me paraît très intéressant et assez révélateur de la vision que se faisait Andersen de l'amour, lui qui n'en connut jamais d'heureuses. Au fond, le chagrin d'amour – car il s'agit aussi de cela dans La Petite Sirène, dans le manifeste du conte – ce n'est jamais qu'une exécution. Peine d'amour et de mort !
Léthé et Mnémosyne sont des
sources jumelles et la petite sirène nage entre deux eaux. Que nous
dit-elle ? Qu’il faut toujours imaginer ce que la mémoire ne peut
découvrir sans péril : l’oubli des origines et les raisons de cette
amnésie. La mémoire de l’eau – liquide nourricier, fœtal et empoisonné – est forclose.
Il est dangereux de déplier ce que l’on a mis tant de soins à dissimuler en lui
donnant des formes, en passant et repassant sur les motifs secrets d’un cœur
humain. La mémoire est un papier plié et replié, détrempé, froissé dans
l’attente de la déchirure, fait pour dissimuler les souvenirs d’un monde dont
nous ne sommes plus dignes. La mémoire est le fossoyeur de l’âme. Il faut alors
l’abandonner ici, sur terre, et entreprendre une quête verticale pour se fondre
dans cet infini auquel nous aspirons depuis le premier jour.
Nous avons beau nous masquer de mille manières : nous sommes tous et toutes d’anciennes sirènes que nous avons assassinées. Pour survivre, il a fallu se faire homme et femme, il a fallu oublier les plis de l’âme, faire taire les échos, et tuer quelque chose. Les sirènes sont dangereuses (tout comme le rêve des jeunes filles dirait Deleuze), car elles nous prennent dans leur songe, pour peu que l’on s’endorme trop profondément auprès d’elles ; et leur songe nous révélera toutes les trahisons dont nous sommes coupables depuis que l’adolescence, cette sorcière, s’est emparée de nous, pour nous piller (dérober notre Foi, avant même qu’elle ne puisse éclore – car nous n’avions pas besoin de Foi dans les eaux, mais nous en avons fort besoin pour ne point nous enraciner, ici et maintenant) et nous flanquer à la porte de l’enfance, nous poussant, à coups de pied au cul, dans le monde des âmes éteintes.
La Petite Sirène pose l’essentielle question de savoir ce qu’est une âme immortelle, vivante ; et la réponse est donnée implicitement : l’âme est ce que vous verrez dans le conte, si vous le lisez véritablement, en prenant le texte à témoin, lui accordant, en toute légitimité, ce pouvoir de vérité banale mais crue que seuls les miroirs possèdent. En effet, ce conte aquatique a d’indéniables vertus spéculaires, et ce, à l’instar de tous les véritables contes. Enfant pur du rêve et de la déraison, jeunes gens qui perdent leurs peaux de petit garçon, fillette qui chausse des chaussons rouges de son sang, homme ou femme, êtres faits ou défaits, vous trouverez toujours votre âme au fond du conte. Il faut donc, les yeux grands fermés, plonger dans le conte, dans ses eaux profondes, redevenir petite sirène, le temps de la narration, pour répondre à la question : « Qu’est-ce qu’une âme ? ». Il faut se penser âme, sirène assassinée, et rien que cela, pour, enfin, donner un nom à cette petite sirène qui n’en possède point – en apparence, car il faut, à la fin, trouver ce qui est caché et il est toujours quelque chose de caché...
Nous avons beau nous masquer de mille manières : nous sommes tous et toutes d’anciennes sirènes que nous avons assassinées. Pour survivre, il a fallu se faire homme et femme, il a fallu oublier les plis de l’âme, faire taire les échos, et tuer quelque chose. Les sirènes sont dangereuses (tout comme le rêve des jeunes filles dirait Deleuze), car elles nous prennent dans leur songe, pour peu que l’on s’endorme trop profondément auprès d’elles ; et leur songe nous révélera toutes les trahisons dont nous sommes coupables depuis que l’adolescence, cette sorcière, s’est emparée de nous, pour nous piller (dérober notre Foi, avant même qu’elle ne puisse éclore – car nous n’avions pas besoin de Foi dans les eaux, mais nous en avons fort besoin pour ne point nous enraciner, ici et maintenant) et nous flanquer à la porte de l’enfance, nous poussant, à coups de pied au cul, dans le monde des âmes éteintes.
La Petite Sirène pose l’essentielle question de savoir ce qu’est une âme immortelle, vivante ; et la réponse est donnée implicitement : l’âme est ce que vous verrez dans le conte, si vous le lisez véritablement, en prenant le texte à témoin, lui accordant, en toute légitimité, ce pouvoir de vérité banale mais crue que seuls les miroirs possèdent. En effet, ce conte aquatique a d’indéniables vertus spéculaires, et ce, à l’instar de tous les véritables contes. Enfant pur du rêve et de la déraison, jeunes gens qui perdent leurs peaux de petit garçon, fillette qui chausse des chaussons rouges de son sang, homme ou femme, êtres faits ou défaits, vous trouverez toujours votre âme au fond du conte. Il faut donc, les yeux grands fermés, plonger dans le conte, dans ses eaux profondes, redevenir petite sirène, le temps de la narration, pour répondre à la question : « Qu’est-ce qu’une âme ? ». Il faut se penser âme, sirène assassinée, et rien que cela, pour, enfin, donner un nom à cette petite sirène qui n’en possède point – en apparence, car il faut, à la fin, trouver ce qui est caché et il est toujours quelque chose de caché...
{Les illustrations sont des oeuvres d'Andersen. Je vous recommande ce livre-ci afin d'en contempler davantage.}
Libellés :Alexis Moati,Andersen,La Petite Sirène,petites sirènes
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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