mercredi 23 août 2006
"The past is a foreign country—they do things differently there..."


*

Adapté d'un roman (que j'ai hâte de lire dans sa version originale, mais qui a été publié il y a quelques années chez 10/18 et désormais épuisé),
sur un scénario de Harold Pinter, avec qui il collaborera plusieurs fois (The servant, Accident), Joseph Losey signe ici la chronique intimiste et solennelle de deux amours : l'un interdit et presque honteux, l'autre sans espoir et bientôt saccagé. Le premier servira de révélateur au second. Le premier sera consommé avec fureur, le second fermera le coeur à jamais de celui qui l'éprouve. Briser le coeur d'un enfant est le plus honteux des crimes qui soit et le châtiment de la récipiendiaire de ce pur amour sera de payer le prix de ses fautes, comme le laisse entendre cet étrange épilogue, qui vient délivrer son message, en surimpression sur la continuité du film.
Néanmoins, la leçon de cette histoire est sans ambiguïté : l'amour vaut la peine d'être vécu, lorsqu'il se présente, indépendamment des conséquences éventuelles, dût-il tout ravager sur son passage.
Mais, avant tout, il s'agit de la douloureuse perte d'une innocence, celle d'un enfant, Leo, à cause des machinations des adultes.
Le film révèle sans aucun doute des accents jamesiens, même si Leo ne fait pas preuve de la perspicacité acidulée de Maisie. Le cinéma de Losey est sensuel et cérébral. Les deux ne font pas toujours bon ménage, mais le grand homme dispose de la difficulté assez aisément, semble-t-il, ou tout au moins a-t-il la politesse de le laisser croire. Une touche d'horreur, induite notamment par la musique de Michel Legrand, fendille le vernis de la correction, flattant ici et là l'existence de tout un chacun.
L'époque édouardienne, peut-être moins galonnée de vertu et de rigidité que la victorienne, n'en demeure pas moins parfaitement découpée en castes inflexibles, où la bienséance distribue les rôles. Le langage est châtié, les moeurs propres, les réactions idoines et les apparences polies jusqu'à les rendre opaques. Au moins, dans ce monde, les règles sont évidentes. La vie est simple. Chacun connaît son jeu et sa place.
Leo (Dominic Guard) aura bientôt treize ans. Sa mère est veuve et les temps sont difficiles pour lui. Il s'en rend certainement compte mais il assez bien élevé pour éviter de déchoir jusqu'à une prise de consciente trop claire. C'est un enfant devenu pauvre, mais il peut se prévaloir d'une excellente éducation. Cette dernière est son visa pour un monde plus fortuné que le sien et il va passer un été chez un camarade de classe. Engoncé dans son unique costume présentable (mais d'hiver), il fait triste mine au milieu de ces gens à qui il ne viendrait pas l'idée d'avoir le mauvais goût de manquer de quoi que ce soit. Marian, la demoiselle de la maison, va acheter des vêtements convenables au jeune garçon. Nous nous prenons soudain de tendresse pour elle. Comment pourrait-il en être autrement ? Julie Christie donne de la ferveur à son personnage ; elle détonne dans ce cadre étroit. Elle est si jolie qu'on en oublie qu'elle puisse avoir des arrière-pensées. Pourtant, les sous-entendus et les calculs sont partie prenante de son milieu. Marian n'oublie pas qu'elle lui appartient ! Ô combien sa mémoire est vive ! On l'estime, toutefois, malgré de rapides soupçons à l'encontre de sa peronne, aimable de faire preuve de tant de compassion pour cet enfant. Mais la mauvaise foi est le propre de la société qui est la leur, répétons-le ; je ne prétends pas que la nôtre soit meilleure car les limites entre le coeur, le devoir et le spectacle de la vertu que l'on donne à contempler aux autres, sont simplement déplacées...
Très vite, Leo va s'éprendre de la si belle Marian, qui, à ses moments de désinvolture, flirte gentiment avec lui. Marian a un sale petit secret : elle est amoureuse de Ted Burgess (Alan Bates), un fermier.




La déchéance n'affecte pas simplement le coeur puisqu'elle lui livre également son corps. Nous n'avons aucun doute à ce sujet, avant même la révélation finale.
Leo va devenir leur Mercure, c'est-à-dire le messager des dieux, entre elle et son amant, un solide gaillard, dont la force bestiale est exhibée, par contrastes avec la bonne tenue des autres personnages, à plusieurs reprises.
La scène la plus frappante est peut-être celle où Burgess se saisit d'une lettre de Marian, les doigts tachés du sang d'un lapin qu'il vient d'abattre. Le sensible Leo sera écoeuré de ce qu'il prend pour un défaut de délicatesse. Sauf que Burgess est peut-être le seul personnage qui vive sans se soucier des apparences. Ce sang sur la lettre est aussi un rappel silencieux du sang de Marian, celui de son hymen.
Leo veut savoir ce qu'il en est de l'amour. Il demande des précisions crues à Burgess, car il pense peut-être qu'il est le seul à même de ne point lui mentir. L'homme préférera se taire et lorsqu'il sera prêt à lui signifier les mystères des "hommages" que les hommes rendent aux femmes, l'enfant ne voudra plus savoir, déjà souillé et traumatisé par trop de révélations.
Leo s'est rendu compte, plutôt tard, de la nature de l'échange épistolaire entre les deux amants. Il en souffrira mais demeurera loyal, même lorsque la mère de Marian, le nez pincé, reniflera le parfum du scandale. On peut trouver la mère de Marian abominable mais elle n'est pourtant pas dépourvue de sentiments. Sa raideur morale n'est pas un péché contre l'affection et l'amour dus au prochain ; elle a soin de Leo, d'une manière peut-être brutale, par exemple lorsqu'elle écrase sa tête contre elle, afin qu'il ne contemple pas Marian prise à la hussarde par Burgess, mais sincère. Finalement, par comparaison, les sentiments de Marian à l'égard de Leo sont inexistants. Elle se sert de lui jusqu'au bout, jusqu'à l'épilogue de leur relation, insoucieuse de ce qu'il peut éprouver.
Mais, comme le lui avait dit, le fiancé officiel de la cruelle et douce Marian, Hugh Trimingham (Edward Fox), "rien n'est jamais de la faute d'une lady". L'homme trompé épousera d'ailleurs sa promise, malgré tout. Et l'on comprend alors qu'elle a eu un enfant de Ted Burgess.
Leo voulait tout savoir de l'amour et il ne pourra jamais plus s'y ouvrir, puisqu'il demeurera célibataire, inapte à cet abandon ultime, frigorifié à jamais par une vérité sanguine qui l'a entaché à jamais.
Losey fait sienne, une fois de plus, la phrase de Brecht : « Un homme ne peut pas ne pas avoir vu ce qu'il a vu ». Ce dévoilement précoce de l'intimité cachée équivaut pour Leo à la perte de sa virginité, à un viol de son âme, qui le crucifie à jamais.

mardi 22 août 2006

Le professeur Dodds cite en exergue du dernier chapitre de son livre majeur,

cette citation de T. H. Huxley, qui pourrait illustrer notre propos préféré, dans son entièreté :

« A man’s worst difficulties begin when he is able to do as he likes.» ("Les pires difficultés de l'homme commencent quand il lui est possible d'agir à sa guise.")

L’homme a peur de sa liberté. Toute sa vie, il réclame plus de liberté et si, par malheur, celle-ci lui échoit, il ne sait qu’en faire. La liberté sans imagination est une punition, une boîte vide qu’il faut remplir, un ennui sans rémission.

Les hommes manquent de sève pour vivre hors du joug des contingences - qu'ils travestissent en nécessités - d'une existence prosaïque. Seul l'artiste est libre même s'il se plie aux exigences de sa muse ou de son daïmôn.

Le rationalisme de certains Grecs, tels les Stoïciens, héritiers du Platon autour du Timée et des Lois, a tenté de bâillonner l'irrationnel de l'âme humaine, réduisant par exemple les passions à des jugements erronés.

Quelle folie ! Retour de bâton de l'irrationnel, malgré eux. Ironie.

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  • lundi 21 août 2006
    Les fictions ne servent à rien si l’on considère l’utilité effective qui est la transformation, la modification de la réalité ; mais leur inutilité apparente est peut-être ce qui fait leur valeur et leur sens. En outre, l’utilité des fictions réside peut-être dans l’influence invisible et souterraine qu’elles ont sur nous, sur notre esprit, notre intelligence, notre imagination… et de ce fait participent, bien qu'indirectement, à la réalité.
    Nous aimerions citer ce texte de Freud extrait des « Principes du cours des événements psychiques » in Résultats, idées, problèmes (vol. I) :
    « L’art accomplit par un moyen particulier une réconciliation des deux principes [le principe de plaisir et le principe de réalité]. A l’origine, l’artiste est un homme qui, ne pouvant s’accommoder du renoncement à la satisfaction pulsionnelle qu’exige d’abord la réalité, se détourne de celle-ci et laisse libre cours dans sa vie fantasmatique à ses désirs érotiques et ambitieux. Mais il trouve la voie qui ramène de ce monde du fantasme vers la réalité : grâce à ses dons particuliers il donne forme à ses fantasmes pour en faire des réalités d’une nouvelle sorte, qui ont cours auprès des hommes comme des images très précieuses de la réalité. C’est ainsi que, d’une certaine manière, il devient réellement le héros, le roi, le créateur, le bien-aimé qu’il voulait devenir, sans avoir à passer par l’énorme détour qui consiste à transformer réellement le monde extérieur. Mais il ne peut y parvenir que parce que les autres hommes ressentent la même insatisfaction que lui à l’égard du renoncement exigé dans le réel et parce que cette insatisfaction qui résulte de la substitution du principe de réalité au principe de plaisir est elle-même un fragment de la réalité. »

    Le principe de plaisir nous conduit là où nos pulsions et nos désirs pourront être satisfaits. Or, on ne peut compter sur le réel, qui n’est pas fait pour nous et qui s’accorde rarement avec nos exigences. Le principe de réalité est le principe de plaisir en tant qu’il tient compte des possibilités que lui offre ou non la réalité, c’est un principe de plaisir raisonnable qui sait différer ou renoncer à ses jouissances. Ce qui le fait agir, c’est le souci de notre conservation, de notre bien être, donc le principe de plaisir. L’art semblerait pour Freud être ce qui nous permet d’atténuer la douleur et les frustrations consécutives à nos sacrifices et à nos échecs. Non que l’art nous fasse échapper au réel par une substitution d’un autre réel fantasmatique, illusoire, ou par le divertissement qu’il occasionne. L’art produit des œuvres qui sont réelles même si elles ne sont qu’une image de cet autre réel.
    Le mot « fragment » est un mot (et l’idée qui lui est associée) qui revient sans cesse dans les écrits de Freud lorsqu’il parle de la réalité. La réalité n’est pas un bloc incassable. Le regard lui-même détaille le monde. Que dire de la pensée qui n’agit que par découpage ?
    La fiction a une fonction talismanique, c’est pourquoi les images qu’elle nous offre nous sont si «précieuses».
    Sir Arthur Quiller-Couch était un écrivain et un professeur renommé de Cambridge. Dans son On the Art of Writing (non traduit en France), celui-ci expose ce qu’est pour lui la littérature. Nous traduisons d’une manière hâtive, mais espérons-le fidèle :
    «(...) ainsi que Johnson l’a affirmé de l’Elégie de Gray : "elle regorge d’images qui trouvent un miroir dans chaque esprit, ainsi que de sentiments auxquels chaque cœur renvoie un écho". Quand George Eliot dit : "Je n’ai jamais trouvé autant de mes propres sentiments exprimés de la manière dont j’aurais aimé qu’ils le fussent", elle ne faisait que dire de Wordsworth (dans une langue plus simple, plus familière) ce que Johnson disait de Gray ; le même témoignage repose dans cette fine remarque d’Emerson : "L’histoire universelle, les poètes, les romanciers" - tous les bons écrivains, en somme - "ne doivent en aucun endroit nous faire sentir que nous dérangeons, que ces mots s’adressent à des êtres meilleurs que nous. Plutôt doivent-ils, en vérité, nous laisser penser que c’est dans leurs mots que nous nous sentons le mieux chez nous." Il existe moult preuves, dont ces extraits sont des exemples, qui expriment une théorie qui pourrait être résumée comme il suit : nous demeurons ici entre deux mystères, celui d’une âme fermée de l’intérieur et celui d’un univers extérieur ordonné [qui manque à cette âme et auquel probablement cette âme manque également ; « without » semble indiquer deux choses : l’extériorité et le manque], alors il est accordé à certains hommes parmi nous de parler. [les deux sens du mot « dwell » sont utilisés dans la même phrase et cette connivence entre le verbe « demeurer » et « parler » n’est pas rendue par la traduction]. Ces hommes ont une fibre intellectuelle plus délicate que leurs contemporains ; leur esprit est ainsi fait qu’il semble posséder des filaments pour intercepter appréhender, conduire et ramener chez nous des messages perdus entre ces deux mystères, de même qu’un télégraphe moderne a appris à chercher, à saisir et à relier entre eux des messages humains égarés parmi les vastes étendues d’eau de l’océan. De cette manière, le poète peut rendre ce service à l’homme ordinaire, afin que ce dernier (ainsi que le professeur Johnson le déclarait) "sente ce qu’il se rappelle avoir déjà ressenti auparavant, mais qu’il le sente avec une sensibilité plus grande" ; ou bien, même si le message ne lui est pas familier, qu’il nous suggère alors (...) de "sentir que nous sommes plus nobles que nous ne le pensions". »
    La littérature est pour Quiller-Couch
    « une nourrice pour les natures nobles et le bien lire fait de l’homme un être entier ».
    Contre Platon, Quiller-Couch affirme que
    « les hommes n’ont jamais pu se débarrasser de la littérature depuis son invention, ne serait-ce que pour un moment. »


    On ne peut que se réjouir de cette impossibilité...
    Lier ce mini-billet à celui-ci et à celui-là.



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  • dimanche 20 août 2006
    Après l'indépassable The Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Michel Gondry réalise son troisième film, en France, sans la compagnie de Charlie Kaufman.

    The science of sleep : le site officiel du film, extrêmement intéressant.
    Alors que j'avais tendance à attribuer beaucoup de mérites au génial scénariste de Gondry, je puis enfin prendre la mesure du talent propre à Gondry, qui a écrit et réalisé le film en solitaire. Il s'agit d'un autoportrait ou peut-être bien de ce que Barrie nommait une cartographie de son imaginaire. C'est dire l'énormité de la tâche, mais aux coeurs purs rien n'est impossible.
    Imaginez un univers où l'eau d'un ruisseau est faite de morceaux glanés de cellophane, où les voitures et les immeuble sont en carton, où il n'existerait pas de séparation franche entre l'état diurne et nocturne. De quoi faire vaciller Descartes... Bien fait ! Faisons un croche-pied au réel.
    Vous venez, tout à coup, d'envahir la devanture

    de ce joli petit film, qui se dépêtre d'un soupçon de maladresse avec une grande dose de poésie et de fraîcheur. Vous êtes l'invité d'un cerveau en fusion, pour lequel imaginer est aussi important que de battre pour un coeur. Vous êtes dans la vie très privée de Stéphane.
    En aucun cas, il ne s'agit d'affectation. On devine que le cinéaste est sincère. Sans cette conviction, le film agacerait. Je prends le pari qu'il déplaira aux aigris de l'existence. Je propose même de se servir de ce film comme d'un étalon mesure pour la morosité des esprits. Les deux univers des personnages principaux (ou ceux de Gondry et de Kaufman d'ailleurs) sont, bien entendu, liés de façon étroite. De l'un à l'autre, on a le sentiment de se promener dans une galerie de glaces déformantes. Nous sommes soudain des enfants. L'émerveillement est permis. Qualité si rare en notre sombre époque. Il n'y a, pour moi, que les victoriens pour avoir su saisir ce merveilleux en mouvement au sein de notre prosaïque existence.
    Aucun des personnages de ce film n'est réellement un adulte accompli. Ils sont des bienheureux. Louons-les ! Les deux héros (nommés respectivement et ingénieusement Stéphane et Stéphanie - comme un dextrogyre et un levogyre)

    ne sont donc pas en total décalage avec le reste du monde, malgré l'univers fantaisiste dans lequel il vivent et gravitent. Tous les deux ressentent la nécessité de créer le décor de leur existence fantasque, d'exprimer concrètement l'essence vaporeuse de leurs rêves, de leur intimité créatrice.
    L'un fabrique d'étranges inventions, dont une machine à remonter ou accélerer le temps (mais seulement d'une seconde à la fois) ! L'autre crée des personnages et des objets en feutrine (mais non exclusivement). L'appartement de Stéphanie (Charlotte Gainsbourg, toujours aussi épatante dans son jeu retenu) est littéralement peuplé d'objets dotés d'une âme. Elle leur insuffle la vie d'une manière ou d'une autre. Elle ne connaît pas la solitude, j'en suis persuadée. Les gens qui ne supportent pas de demeurer seuls, en face à face avec eux-mêmes, sont en général très dépourvus intérieurement. Elle ne se rend probablement pas compte de son étrangeté pour les pauvres êtres que nous sommes, car nous n'osons pas toujours autant qu'elle...
    J'ai toujours escompté, quant à moi, ma capacité à vivre au-delà de mes ressources imaginaires.
    Il faut se pavaner, en balançant légèrement la tête, et non pas marcher les fesses serrées. Vivre en promeneur et non en tâcheron : mon unique but. C'est à la portée de chacun d'entre nous puisque l'imaginaire ne connaît aucune des lois restrictives du réel supposé. Le monde intérieur est-il moins véritable que celui dans lequel on se projette machinalement au travers d'un travail, par exemple ? Bien sûr que non. Si vous pensez l'inverse, c'est que vous manquez de conviction et que ce modeste billet n'aura pas rempli son dessein.
    Il y a de la magie là-dedans, mais un enchantement involontaire, qui ne répond pas aux besoins d'une technique (contrairement au fiancé de la mère de Stéphane, prestidigitateur de son état).
    Stéphane, attiré un instant par l'amie de Stéphanie, qui paraît plus jolie mais qui est aussi un peu (complètement) garce, ne peut que se tourner vers Stéphanie, car elle possède la vie, parce qu'"elle est différente" dira-t-il plus tard.
    Mais deux cerveaux fantaisistes peuvent-ils se pénétrer ? Quoi de plus impossible à partager qu'un rêve ? Comment jeter une passerelle entre leurs deux mondes personnels qui peuvent ne jamais se télescoper, à la manière de ces deux marcheurs qui se croisent dans la rue et accomplissent à chaque fois le même geste, bloqués dans leur marche par le mouvement de l'autre qui s'oppose aux leurs ?
    Stéphanie demeure dans sa réserve. Elle accepte de créer des objets avec Stéphane mais semble avoir peur de cette collision entre leurs deux mondes, c'est pourquoi elle sera d'abord outrée que Stéphane pénètre par effraction chez elle - car ils sont voisins de pallier

    - mais sera émue de constater que Stéphane a mécanisé son merveilleux poney en feutrine, pendant son absence.
    La vie. Le rêve. La vie et le rêve. La vie dans le rêve et le rêve dans la vie. Tel est le sujet du film au travers d'une histoire d'amour en devenir, car l'amour et l'enfance sont le combustible privilégié de l'imaginaire. Peut-on à nouveau aimer avec la foi et l'absence de mémoire des enfants ? Il me semble que c'est l'une des questions posées par ce film fragile et tendre.
    Il fallait beaucoup d'audace pour oser donner naissance à un film aussi difficile, de mon point de vue, à réaliser. Je ne suis pas certaine qu'il sera toujours bien reçu et compris. Puissé-je me tromper !
    Gael Garcia Bernal était extraordinaire dans La mauvaise éducation d'Almodovar et il l'est tout autant ici, dans un registre plus léger. Il a le profil d'un homme-enfant, ce qui est assez rare dans le panorama du cinéma mondial. Les femmes-enfants sont légion mais pas leurs homologues masculins. Stéphane-Gael est un spéciment assez rare de cette catégorie que j'aime nommer le néoromantique*. Qu'est-ce donc ?
    Un homme qui sort de l'enfance comme il le ferait de son lit. Inquiet de l'amour, maladroit, qui se cogne ici et là contre la réalité, parce qu'il ne parvient pas à ouvrir tout à fait ses yeux. Grand bien lui fasse de les laisser à demi clos.
    Il se rendormira à la fin du film, dans le lit de celle qu'il aime et qui le repousse, et rêvera qu'il galope dans son monde onirique, chevauchant avec elle le poney qui est leur création commune, qui est le point d'intersection entre leurs deux mondes.
    L'histoire murmure cette fin mais elle ne précise pas tout à fait si Stéphanie rejoindra Stéphane dans la réalité. Et c'est mieux ainsi, car les choses n'adviennent que si l'on croit en elles, et la foi exige une incertitude à combattre, sinon elle ne vaut rien, sinon c'est de la triche. Et qui plus qu'un enfant refuse la tromperie ?
    Le conditionnel est le mode de ce beau film et j'exprime ma fougue et ma tendresse à l'indicatif.

    * REM. Néo- étant senti comme élément permutable, les comp. sont généralement écrits avec un tiret; certains préfèrent appliquer la règle générale et écrire : néokantien, néoromantisme, etc. (Le grand Robert)
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    vendredi 18 août 2006
    J'en discutais avec mon ami Robert. Je lui disais à quel point j'étais convaincue de l'influence néfaste de Margaret Ogilvy sur son fils, James Matthew Barrie.
    Et voici ce qu'Andrew Birkin publie ce jour sur le forum ANON...
    Je traduis ses paroles en couleur. Le reste de la traduction est celle qui se rapporte aux écrits du biographe de Barrie.
    **************************************************************************
    Le passage suivant, extrait du manuscrit original de la biographie de Denis Mackail, en date de 1941, pourrait être d’intérêt. Il a été censuré par Cynthia Asquith avec un crayon rouge. Les mots : « Détruisez ceci ! » barraient le passage. Voir la page 212, troisième paragraphe, dans la biographie de Mackail, pour comparer les deux versions.
    « Jane Ann [la sœur de Barrie] avait quarante-six ans [en 1893]. Toujours aussi dévouée, se sacrifiant comme de coutume. Simple, déjà vieille, mais ayant surmonté le risque de développer la complexion vaniteuse de sa mère. Elle vivait dans le secret de son existence intérieure, qui était si malheureuse et pénible (il n’est plus besoin de le cacher plus longtemps), car elle n’était pas le seul membre de la famille à céder à cette tentation mortelle. Il y avait, en effet, deux démons qui guettaient les enfants de Margaret Ogilvy : la mélancolie et la boisson. Seul le plus fort d’entre eux pouvait résister aux deux forces. Jane Ann, par l’exemple qu’elle avait sous les yeux et par la prévention qu’elle avait conçue contre l’un d’entre eux, s’était battue et avait remporté le combat. Mais, voilà, il semblait maintenant que cette victoire avait laissé une voie à l’autre démon. Son frère savait. De même qu’il était au courant de tous les incidents se produisant par ailleurs. Il me fit part qu’il devait prendre garde à ne pas succomber lui-même. En effet, il y prit garde. Une ou deux fois, cela lui procura un certain bien-être lorsque l’un de ses mondes tomba en ruines. Mais c’est le pire qui lui advint. Ce sentiment ne le gouverna jamais. Et, bien que la mélancolie flotta dans les airs, autour de lui, toute sa vie, il put toujours la contrer, au moment où il le voulut, car il était aussi bien fuyant que courageux, y compris quand l’hérédité avait rattrapé tous les autres et qu’il était à terre. Mais les autres étaient plus faibles et vulnérables que lui. L’impulsion donnée par la renommée et par leur situation ne pouvait les aider qu’indirectement. Alors, ils buvaient ou bien se mettaient au lit pour n’en plus se lever. Encore une fois, tout se passait comme s’il existait quelque effrayant mystère biologique produit par l’union de ce tisseur et de cette fille de maçon. Quelque chose d’inexplicable, qui les remplissait d’effroi, qui les hantait tous. De quelque façon que ce fût, apparemment, qu’ils fussent ou non coupables, chacun de leurs enfants dut payer une impitoyable rançon. »
    Il doit être rappelé que Denis Mackail – à la fois un ami de Barrie et des enfants Davies – avait été nommé par l’agent littéraire de Barrie (à savoir, Cynthia Asquith et Peter Llewelyn Davies) pour écrire une biographie. Celle-ci, selon Nico, manqua de le tuer !
    Je précise que le terme d'hypocondrie, présent dans le texte original, désigne en fait davantage une forme de mélancolie. Je traduis donc ainsi. Cette mélancolie ou cette neurasthénie s'apparente à ce que l'on nomme aujourd'hui la dépression. Je commenterai tout ceci plus tard.
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  • Il y a quelques semaines, j'ai fait une découverte magnifique.
    Si vous désirez savoir de quoi il retourne, il vous suffit de visiter ce lien.
    Miss Poivert, en lectrice avisée, connaissait déjà cette bonne adresse, je viens de m'en rendre compte.

    Tout ceci ne serait jamais arrivé sans la propension de mon grand ami David à exciter mon appétit en matière de bandes dessinées.

    Pendant mes vacances parisiennes, il m'a offert plusieurs trésors. Je vous en reparlerai peut-être.


    Le premier d'entre eux est la bande dessinée de Little Nemo in Slumberland
    ("Petit Nemo au pays des songes" littéralement ; je rappelle que Nemo en latin signifie "personne"). Ce délicat bijou laisse muet d'admiration et d'émotion confondues. Je connaissais bien évidemment de réputation cette oeuvre, j'en avais avisé plusieurs planches, mais je ne possédais rien d'aussi magnifique qu'un ouvrage relié pour faire plus ample connaissance.

    Winsor McCay (1867-1934), un américain, la dessina de 1905 à 1914, puis, de nouveau, de 1924 à 1927. Née le 15 octobre 1905, dans le supplément dominical du New York Herald, la série a simplement (mais les idées les moins denses sont les meilleures, car la pureté est un état difficile à atteindre) pour thème les rêves d'un petit garçon, Nemo, qui se réveille à la dernière case de chaque planche... en tombant de son lit !

    Par le biais de l'onirisme, l'auteur épuise et explore diverses voies narratives pour une bande dessinée qui s'élève bientôt au rang d'art. Son style graphique s'inspire parfois (souvent) de l'Art nouveau. La couleur y revêt, pour la première fois, une importance capitale. Remarquable idée puisque la plupart d'entre nous rêvent en noir et blanc...
    Nemo a les yeux écarquillés mais bien moins que nous, à chaque fois supris par les inventions de la Reine Mab*. Son univers poétique est distors, aspirant à une verticalité qui appelle les cieux de ses voeux.

    Par association d'idées, je songe tout à coup à ces comic strips qui ont inspiré le film inattendu de HustonAnnie. Harold Gray inventa le personnage de la petite orpheline Annie. Cette série est contemporaine de la deuxième vague de Little Nemo.



    Grâce au site précédemment nommé, j'ai découvert un autre dessinateur, Frost.

    McCay considérait A.B. Frost


    comme le plus grand dessinateur de son époque. Son principal souci était d'illustrer la vitesse, la rapidité des réactions. Parfois, l'animal qu'il dessine court si vite qu'il ne laisse que sa trace dans la case !


    Lewis Carroll lui demanda d'illustrer Rhyme ? or Reason ?, ce dont il s'acquitta. Mais la collaboration tourna court par la suite. Hélas !

    Dans un état d'esprit voisin, je me suis prise d'affection pour Carl Larsson, dont l'apparente naïveté rendu par un trait géométrique quasiment exempt de rondeur, ou qui atténue fortement la portée de cette dernière, et par l'exposition de scènes domestiques, me touche assez profondément. Il est l'un des premiers suédois auteur de bandes dessinées. Il a peint quelques portrait de sa compatriote Selma Lagerlöf. L'oeuvre de ces deux individus me paraît en grande harmonie.

    * Reine des fées, dans la littérature anglo-saxonne, accoucheuse des songes.




    Je ne vais pas vous refaire le coup de Nick Hornby et de Stephen Frears, dans High Fidelity, que je n'avais d'ailleurs pas aimé, sûrement parce que la musique qui était au centre du film ne m'évoquait rien. Et puis, David, mon vieux camarade, va m'accuser de verser dans le sentimentalisme visqueux.
    Je suis de la vieille école. Je suis une sale petite midinette trentenaire à la peau bientôt (qui a dit "déjà" ?) flasque et j'aime la variété française des années 70-80. Je ne suis pas démodée. Je n'ai jamais suivi le tempo de mon époque. J'étais déjà vieille à ma naissance. Le concept de mode est, par parenthèse, une ineptie en soi. Son contenu est aussi fluctuant que le phénomène qu'il désigne. Ce qui est qualifié d'(in)démodable est implicitement périmé.
    Je rétrécis au fur et à mesure. Je chante à tue-tête.
    La vie est jonchée de tas de petits fragments sonores et visuels. Une vie, c'est petit, c'est immense aussi et, parfois, quand c'est trop tard, c'est tout sec et raccorni. La mienne est un trou dans un tronc d'arbre. J'y entasse mes souvenirs et je joue aux osselets avec eux. De quel côté vais-je tomber ?
    Hier, j'ai assisté à deux concerts : celui de Dave
    et celui de Michel Delpech.

    Le premier est ironique, dans un mouvement d'autodéfense, de cynisme entretenu, peut-être. Sa voix est intacte. J'aimerais bien que les minets à la mode, aphones pour la plupart, se mesurent à lui. On verrait alors de quel côté sont les rieurs.
    Ma chanson préférée de Dave :
    Dave

    Delpech est fidèle à lui-même : vaguement mélancolique, la main posée à plat, qui tremble un peu, sur une hanche, rieur, convaincu. Je le devine blessé, probablement un peu inquiet. Le feu sacré brûle toujours. Je suis admirative face aux gens qui gardent le souffle, malgré le temps qui passe, malgré l'ingratitude du public et l'incompréhension des stériles. A ces derniers qui sifflent les insultes de ringardise, j'aimerais leur dire que, dans leur petite vie minable, ils n'ont pas, pour la plupart d'entre eux, accompli un seul acte un peu vaillant, qui laissera une infime trace quand ils seront crevés.
    Une chanson qui pouvait être, à l'époque, qualifiée de prémonitoire est entonnée... Ironie devancée.
    Delpech
    Je me défends souvent (je suis bientôt en train de le faire ici même), presque coupable, immédiatement fusillée par les regards que je devine moqueurs. Si vous êtes de ceux-là, passez votre chemin. Je n'ai aucune indulgence pour vous. Je me souviens de ce lecteur, à l'esprit pourtant pas si mal torché, qui s'étonnait ici que je m'enthousiasmasse pour mon idole, Julia Roberts, malgré ma connaissance du propos nietzschéen sur le sujet. Je devine son éventuel commentaire et ceux de ses semblables...
    J'aime ces sexagénaires. J'ai toujours eu le double de mon âge. J'appartiens à leur classe. Je suis à l'aise avec eux. C'est moins évident en compagnie de ceux qui ont moins de cinquante ans, à quelques exceptions près.
    La variété est un art à part entière.
    Avez-vous déjà essayé d'écrire une chanson ?
    Je vous suggère de le faire pour constater que la simplicité apparente du procédé est une illusion. Trouver un refrain qui va balancer la vie des gens pendant des décennies n'est pas aussi facile que d'écrire 800 pages pour une thèse de philosophie. J'ai expérimenté tout ceci. On atteint dans l'art de la chanson quelque chose d'essentiel, d'indicible, un éphémère durable, un paradoxe. Ne serait-ce que de gribouiller trois lignes pour dire cette émotion marginale et nécessaire, je suis incapable de retranscrire les oscillations de mes sentiments... N'est pas Philippe Delerm qui veut - même si je ne l'admire pas tous les jours... L'art de dire le minuscule et le dérisoire demande certainement une innocence et un talent dont je suis dépourvue.
    J'aime l'opéra et le classique mais, dans mon coeur, dans ma vie, force est de constater que Mozart ou Verdi ne collent pas aussi bien aux divers instants de mon existence.
    Je sais précisément ce que j'écoutais en boucle, en août 1990, quand untel est mort par exemple. Mon prénom est un hommage à une chanson d'Hugues Aufray.
    Dave, et plus encore Delpech, ont tamponné divers moments de mon enfance et de mon adolescence. Ils chantaient avant ma naissance, mais j'ai fini par les rejoindre. Je suis bien dans le creux de leurs chansons. Ils sont importants.
    Tout à coup, je constate que, devant moi, il y a une femme brune que je reconnais avant même de la regarder. Elle ne porte plus ses longues jupes amples. Elle a remisé ses bottes de cow-boy. Elle s'appelle toujours Aline. Son Christophe est parti depuis longtemps. Elle a vieilli. Elle ne se maquille toujours pas. Ses yeux sont recroquevillés dans des plis et des replis. Elle est toujours belle. Aussi douce que lorsqu'elle s'occupait de la première classe de maternelle, en 1977.
    Elle débutait à l'époque. Je ne crois pas qu'elle soit encore à la retraite. J'ai vieilli dans son reflet, un peu plus loin.
    Nous mesurons notre propre déchéance à celle des autres. Dave a plus de cheveux blancs, Delpech n'en a plus beaucoup, mon corps se capitonne disgracieusement. Bientôt, j'aurai des rides. Où sera Aline à ce moment-là ?
    Je la rencontre parfois. Je n'oserai pas aller la déranger, à moins que cette délicatesse ne s'adresse qu'à ma peur de bouleverser l'ordre de souvenirs un peu tristes.
    Le temps qui passe est la conjonction de ces chansons, de mon passé retrouvé et déjà perdu, de ma fureur de vivre présente et de l'ombre pressante de quelque chose qui va disparaître.

    Delpech.


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    jeudi 17 août 2006
    • Premier grain :
    Les préraphaélites suscitent en moi la rêverie. Douceur, exaltation et, dans quelques recoins, la douleur d'être au monde, comme le signifie souvent Schopenhauer. J'aime leur art qui me paraît toujours dépasser les limites de leur technique et qui se révèle toujours au-delà de la peinture, se prolongeant dans la littérature et la photographie naissante (Julia Margaret Cameron est, à mes yeux, une préraphaélite dans son art).
    Edward Burne-Jones est un élève de Rossetti. Il est très influencé à la fois par son maître et par la littérature (Chaucer et les légendes arthuriennes entre autres). Mon tableau préféré est L'enchantement de Merlin :
    Il exprime la trahison de Viviane à l'égard de Merlin dont elle a appris le pouvoir d'enchanter qu'elle retourne contre lui en le plongeant dans le sommeil.
    • Deuxième grain :
    Rossetti et Elizabeth Siddal, un couple d'enfer. Rossetti, magnifique peintre et poète, s'éprend d'Elizabeth Siddal, personnage fascinant, douée, torturée, nevrosée jusqu'à la moelle. Leur relation est aheurtée. Il diffère le mariage, car ils sont de classes très différentes, et le peintre craint la réaction de sa propre famille. Ils seront fiancés pendant dix ans et, plusieurs fois, Rossetti rompra avec l'idée du mariage.
    Elle est enceinte mais perd la petite fille qu'elle portait et qui était née avant terme.
    Incapable de surnager, elle va se shooter au laudanum, après les prémices d'une seconde grossesse. Rossetti découvrira son corps. Suicide ou overdose accidentelle ? Si elle a écrit une lettre avant de se donner la mort, elle fut détruite. Le suicide était un crime à l'époque et l'on ne pouvait prendre le risque de s'exposer à l'opprobre. Nous sommes en 1862.
    Rossetti ensevelit un carnet de poèmes, dont il ne possède aucune copie, avec le corps. Puis, bien des années après (1869), poussé par le regret de cette oeuvre qui va pourrir, alors qu'il devient aveugle, il la fait déterrer. Le corps est parfaitement conservé. Probablement une légende. Le recueil de poèmes est à peine grignoté par les vers.
    Une histoire à la Edgar Allan Poe, mais c'est Bram Stoker qui va écrire à ce sujet une nouvelle, publiée dans le recueil intitulé L'invité de Dracula.
    A la différence de la peinture éthérée et idéalisée de Rossetti, sa muse peint avec brutalité et donne à percevoir une âme tourmentée.

    Elle crée un autoportrait peu flatteur,
    quand son amant la perçoit sous les traits de la Béatrice de Dante,

    et Millais, qui en avait fait son Ophélie, rend hommage à sa beauté :

    • Troisième grain :
    Thomas Hardy et sa première femme. Il ne l'aimait guère, à la fin en tout cas. Mais, après sa mort, il découvrit son journal intime et tomba amoureux d'elle à cause de ce qu'il y lut... Quelle cruelle ironie, lui qui les aimait tant... Il écrivit alors, à plus de soixante-dix ans, ses plus beaux poèmes, à l'intention d'une femme qu'il avait cessé d'aimer depuis trente ans et qui ne les lirait jamais.


    mercredi 16 août 2006
    Amoureuse d'Auster, excellent écrivain, humaniste, traducteur d'oeuvres françaises, romancier brillant, je le suis tout autant de son cinéma, qu'il prête seulement main forte à des films inspirés de lui (Smoke, Brooklyn Boogie) ou qu''il s'attelle à la réalisation de A à Z. Quand j'aime, j'aime tout, car je n'aime jamais sans passion ou sans abandon absolus.

    Le monde est aussi vaste ou minuscule que vous le pouvez ou le voulez. Nous sommes le centre qui en dessine la circonférence. Simplement. Chacun des billets de ce JIACO contient en puissance tous les autres. Parfois, le lien est flagrant et instantané : du Tour d'écrou au Narcisse noir, il suffit de penser à Deborah Kerr pour faire le grand écart entre ces deux messages. De Dead like me à Lulu, un nom seulement sert de sésame : Mandy Patinkin,
    qui resplendit de générosité dans les deux oeuvres. Je pourrais multiplier à l'infini les exemples pour vous montrer la cohérence de ma démarche, qui n'est qu'un banal exemple de la manière dont se construit concrètement chaque existence, au jour le jour, au petit bonheur des associations d'idées. Le hasard, les coïncidences, les points d'intersection sont légitimement et logiquement bien plus nombreux pour ceux qui explorent davantage de territoires. Un de mes amis me faisait remarquer que j'avais passé des années à fabriquer mon filet de pêche et que je continuais chaque jour à l'agrandir. Il lui semblait normal que je ramène davantage de poissons que celui ou celle qui n'y consacre que peu de son temps et de son énergie. De même qu'il est naturel que mes poissons soient rachitiques si on les compare aux tisseurs de magnifiques filets d'or. Cette idée est fatalement en germe dans les romans d'Auster, bien qu'il ne la définisse pas avec exactitude. Le hasard, les coïncidences ne sont jamais que notre talent à aguicher la chance. Lulu on the bridge
    est un film rare, qui ne dit pas exactement son dernier mot et c'est heureux. La fin du film nous ramène, dans une certaine mesure, à La double vie de Véronique de Kieslowski, puisqu'elle est dédoublement de la réalité. Mira Sorvino possède en outre le même visage de petite fille appliquée qu'Irène Jacob, la malice en plus. Izzy Maurer est un bon saxophoniste de jazz. Il est amer et désinvolte à l'égard des autres. Ni meilleur ni pire que les autres. Juste moyen. Sa carrière s'achève brutalement lors d'un concert donné dans un club de New York. Un homme pénètre dans le club et se met à tirer avant de se donner la mort. Izzy reçoit une balle en plein poumon. Les semaines passent. Izzy se remet doucement, mais il ne pourra plus jamais jouer de son instrument, puisqu'il a perdu de surcroît l'un de ses deux organes respiratoires. Le goût de vivre le quitte en même temps que le souffle. En Grec, "souffle" et "âme" sont désignés par le même mot. Un jour qu'il se promène dans Manhattan, il découvre un drôle de cadavre, troué au front. La crevasse, qui a la taille d'une balle, est un abîme dans lequel on pourrait sombrer. Le corps est affublé d'une mallette. Irrépressiblement, Izzy se saisit du bagage et le ramène chez lui. Il l'ouvre. Izzy en extrait une serviette en papier sur laquelle est inscrit un numéro de téléphone ainsi qu'une boîte renfermant deux autres boîtes. Dans la dernière se trouve une curieuse pierre. La nuit venue, elle devient phosphorescente, d'un bleu onirique, puis s'élève dans les airs. Très troublé, Izzy décide d'appeler le numéro inscrit sur la serviette. Il correspond au téléphone d'une jeune actrice de trente ans, Celia Burns. Elle écoute justement un disque d'Izzy. Muni de la pierre, Izzy se rend chez Celia. Les deux étrangers tombent immédiatement amoureux au contact de la pierre.
    Ni l'un ni l'autre ne comprennent le sens de leur aventure. Ils s'aiment. Ils ne sont guère plus avancés que nous, lorsque nous sommes amoureux. Celia postule pour le rôle de Loulou dans un remake du film de Pabst.
    Ne pas oublier, dans ces circonstances particulières, que le titre du film est littéralement La boîte de Pandore. La concordance entre le film que va tourner Celia et la boîte qu'a ouverte Izzy n'est pas sans raison. Je laisse cet indice. A vous de le déplier comme une carte au trésor cachée quelque part. Izzy a ouvert une boîte qui lui a, peut-être, permis de contempler sa propre âme... J'ai songé à cela immédiatement et Auster de me donner raison dans un entretien... Il offre la pierre à Celia, lorsqu'elle part à Dublin tourner. Il doit la rejoindre plus tard, mais il est rattrapé par des hommes qui veulent la pierre. Il est enfermé et questionné par un curieux docteur, qui a tout d'un ange à la porte du purgatoire et qui comptabilise toutes ses mauvaises actions depuis l'enfance. Il ne lui apprend pas qu'il a transmis la pierre à Celia, dans l'idée de la protéger. Mais le docteur et ses hommes retrouvent Celia... Celle-ci, entre-temps, a jeté la pierre à l'eau, pensant qu'Izzy l'a abandonnée puisqu'elle n'a plus de nouvelles de lui. Poursuivie, elle finit par se jeter aussi à l'eau. Izzy parvient à s'enfuir de sa prison mais Celia a disparu. Il est fou de douleur. Puis, nous nous apercevons soudain qu'il est toujours allongé dans le club et que nous n'avons peut-être été témoins que d'un rêve... Au moment où il meurt, dans l'ambulance, Celia marche dans la rue. La siréne s'est éteinte et elle fait un signe de croix. Tout se passe comme si en mourant Izzy donnait à Celia moyen de vivre à nouveau. Ne lui avait-il pas dit, après l'avoir rencontrée, dans cette autre dimension de sa vie et de sa conscience, qu'il pourrait donner sa vie pour elle ? La lecture du scénario,
    agrémenté d'interviews, est très instructive mais elle ne vous livrera pas une seule interprétation car la réponse est en chacun des spectateurs. Il faut l'inventer, la tirer de son propre fonds et l'adapter à ses croyances personnelles. Nous sommes dans la demeure des songes et nul n'y peut pénétrer sinon le dormeur réveillé. Certains, je le pressens, seront inaptes à cette compréhension car ils oublient ce principe essentiel mis en exergue au début du film par Izzy : "La vie n'est pas belle. On la rend belle." La mauvaise réception du film à sa sortie en France me conforte dans une triste pensée. Je crois que j'aurais choisi une fin différente de celle écrite par Auster. Je lui aurais donné la forme du cercle, alors que Paul le brise. Celia aurait pu à son tour trouver une malette avec la même pierre à l'intérieur et rencontrer, de nouveau, Izzy, bien qu'innocente de leur autre rencontre passée, quelque part, dans un rêve ou bien dans une autre réalité, parallèle à celle du spectateur qui demeure immobile. Catégories:


  • mardi 15 août 2006
    J'envie tous ceux qui ne connaissent pas encore les films de Michael Powell (et de son génial collaborateur Emeric Pressburger). Ils ne savent qu'à moitié ce que recouvre la notion de sublime.
    Martin Scorsese a beaucoup oeuvré afin que celui qu'il nomme poète ne sombre pas dans cet oubli, qui était devenu au fil du temps, avant même sa mort, un linceul.
    Aujourd'hui, l'Institut Lumière propose plusieurs de ses films dans des versions éclatantes qui rendent justice à la fringance du Technicolor, qu'il sut parfois détourner au grand dam des détenteurs du procédé mais toujours utiliser au plus près de ses fins.





    Les chaussons rouges, Le voyeur et Le narcisse noir sont mes trois films préférés de Powell. Ils ont en commun une évidence, qui crève les yeux, de solliciter notre vue dès leur titre, que celui-ci contienne des couleurs ou qu'il se réfère simplement à l'acte de voir.

    Aujourd'hui, il sera trop rapidement question du Narcisse noir, qui est peut-être le film le plus subtilement érotique de l'auteur. L'érotisme, qui est effleurement, papillonnement d'une instantanéité donnée à saisir, s'accorde à merveille avec ce sens qu'est la vue.

    En effet, selon nous, le regard





    est l'un des thèmes par lesquels on pourrait aborder et englober tous les films de Powell. Le voyeur, oeuvre plus tardive, dernier film majeur, explore de fond en comble cette notion, jusqu'au point de non retour, puisqu'elle prend pour objet une névrose obsessionnelle ayant pour épicentre le regard.

    Le héros en vient à filmer le meurtre, puis son suicide, obnubilé par cet instant qui est insaissable, car la mort est invisible et n'existe que dans l'attente de ce qui va ad-venir. Elle ne peut se recueillir sur la pupille. Le film du héros et le film de Powell sur ce premier film crée une mise en abyme déroutante, qui fera dire à Scorsese qu'avec Le voyeur et le Huit et demi de Fellini, tout ce qui pouvait être dit sur le cinéma avait été dit.

    Regard expressif, qui cligne, et regard immobile, celui de la conscience. Non pas seulement le regard que pose le cinéaste sur les histoires et le monde qu'il met en scène, mais aussi celui du spectateur qu'il ne cesse d'assigner, afin de compléter ou d'affronter le sien. Le regard est l'indice de l'expressionnisme de Powell, où le décor, la couleur, la lumière, ne sont jamais que des moyens d'extérioriser et de symboliser les tourments intérieurs, d'exposer une hystérie convulsionnée des personnages.

    On ne sait plus très bien si ce sont réellement les décors, l'atmosphère, qui contaminent les personnages ou s'ils ne sont qu'un catalyseur pour des affects réprouvés. Le Narcisse noir est un film sur le désir réprimé, sur l'amputation de la dimension sexuelle de l'individu et sur l'univers carcéral constitué par un couvent. La tension sexuelle est perceptible dans quasiment tous les plans de ce film. Chaque mouvement des draperies, le vent qui agite les végétaux et les robes des nonnes qui se détachent fantomatiquement sur le reste des décors, le parfum du jeune général d'où le film tire son titre, la parade nuptiale de la jeune Jean Simmons, tout concourt à évacuer cette pression inconsciente.
    L'intrigue est censée se dérouler en Inde, sur les hauteurs de l'Himalaya - en réalité, tout fut tourné en studio, l'illusion n'en étant que plus stupéfiante. Jack Cardiff réalisa un travail incroyable qui lui valut un Oscar pour son irréelle et néanmoins réaliste photographie.
    La plupart des décors ont été peints sur verre et le travail reposa, pour une part, sur des maquettes.
    L'Inde est une préoccupation assez anglaise, comme de légitime. En cela, Powell n'est pas si éloigné d'un Kipling. Le roman qui l'inspira fut celui de la romancière Rumer Godden. On associe, bien que le lien soit lâche, assez aisément ce film aux Horizons perdus de Capra (d'après le roman de James Hilton).
    Certains plans sont inspirés des Maîtres de la peinture, tels Vermeer ou Caravage. L'autre influence la plus flagrante est celle de Bunuel. Pourtant, Powell le devance au moins une fois : toutes les scènes autour de la cloche ne peuvent pas ne pas rappeler El. Hitchcock s'en inspira via Bunuel pour Vertigo. Mais Bunuel avait-il vu le film de Powell ?
    Le résultat est flamboyant, intrigant, malsain.


    Oui, ce film est pervers et il n'en est que plus beau, puisqu'il sait exposer les séductions d'une âme pourrie, de l'esprit en proie à des pulsions irrémissibles.
    Vivre là-bas signifie soit s'adonner à une sagesse absurde, qui se contente de faire corps avec l'univers tel le vieil homme silencieux.


    Ou bien accepter de se laisser absorber par la sensualité de l'environnement, ce qui est le choix de l'élément perturbateur, Mister Dean, l'intendant du Général qui offert le palais abritant son ancien harem aux nonnes. On apprend, dans un bonus vidéo du DVD,que David Farrar a été choisi pour le rôle grâce à ses "yeux violets", d'une intensité incroyable.



    Toute tentative pour créer un enclos dédié à la raison et au travail au sein de cet univers est voué à l'échec, car le climat, qui est celui de la passion, échauffe les corps et les esprits. Cette étuve, aussi bien physique que psychologique, ranime les souvenirs lyophilisés des diverses femmes qui constituent la communauté.
    Sister Ruth (Kathleen Byron), qui aurait fait le bonheur de Freud et Charcot, est une effrayante hystérique qui va se dépouiller de son artificielle peau (son uniforme de pureté et d'invisibilité criante) et révéler un monstre assoiffé de chair.



    L'une des scènes les plus marquantes est celle où elle enduit ses lèvres de rouge. La scène fait écho à celle, foudroyante, où son habit consacré est maculé de sang, celui d'une autochtone. Elle appelle le liquide vital, elle s'en barbouille, elle refuse d'être une créature de sang froid. Pendant quelques secondes le cosmétique coule légèrement et épouse les plis de sa bouche. On a le sentiment que du sang afflue ou qu'elle vient de mordre dans un corps. Tout n'est qu'illusion. Ruth ne vit plus mais elle n'appartient pas davantage, malheureusement pour elle, au monde des soeurs.



    Elle se pèle à vif dans un geste paradoxal et prosaïque de recouvrement (la robe rouge) et de dévoilement (au sens strict), pour exister. Elle refuse le dénuement, elle appelle la couleur et la vie, mais tout ne se révèle que perte absolue de soi. Elle blasphème, non pas Dieu ou ses soeurs, mais le lieu qui ne peut vraisemblablement pas l'accepter, sinon en l'ingurgitant (elle y sera enterrée).


    Une citation me paraît convenir à la pensée de Powell :

    « Je vous le dit : Il faut porter encore en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ».
    Nietzsche

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  • lundi 14 août 2006

    Le premier épisode donne le ton de cette série épatante, comme seuls les anglais savent en porter à l'écran. TMC l'a rediffusé hier soir et je me suis, à nouveau, laissée emporter par l'amplitude et l'élégance de cette oeuvre télévisuelle, adaptée d'une série de livres de R.D. Wingfield. Cet auteur ne délivre que peu de confidences sur lui, ce qui attise ma curiosité...


    • A Touch of Frost
    • Night Frost, 1992, Constable, London (1995, Bantam, New York)
    • Frost at Christmas
    • Hard Frost
    • Winter Frost
    A ma connaissance, point de traductions de ces livres dans la langue de Molière... On ne peut que déplorer ce manque. Je suis, pour ma part, plus qu'encline à me jeter dans la lecture des originaux. David Jason est un acteur à la fois très émouvant et complètement maître des sentiments qu'il accorde à son personnage fétiche depuis 1992. Premier épisode. William Edward "Jack" Frost est un homme déprimé, à qui il ne manque guère de raisons pour sombrer tout à fait dans une forme de cynisme discret. Sa femme est mourante et il la fuit dans son travail, accablé par son état et surtout par son incapacité à éprouver les sentiments qu'il estime devoir ressentir en cette occasion. Mais la maladie ne peut rien ranimer. L'amour était déjà mort depuis que les deux acteurs de ce couple se sont mutuellement déçus : l'une espérait mieux de son mari en terme de carrière et d'ambition, l'autre attendait simplement de la compréhension. Etre aimé pour soi, et rien que cela. Est-ce aussi simple ? Kundera nous avait déjà mis en garde :
    "Si nous sommes incapables d'aimer, c'est peut-être parce que nous désirons être aimés, c'est-à-dire que nous voulons quelque chose de l'autre (l'amour), au lieu de venir à lui sans revendications et ne vouloir que sa simple présence."
    Le monologue final de Frost (que je traduis à main levée, pardonnez donc la forme) est bouleversant et illustre à merveille la rude vérité de Kundera :
    "La nuit dernière, je me suis assis là. Toute la nuit, je suis demeuré assis à cet endroit, dans l'attente d'éprouver quelque chose. Elle était ma femme ; elle était mourante et je ne pouvais rien ressentir pour elle. Dieu sait combien il y a d'années que les choses ont commencé à mal tourner pour nous. Quand nous avons découvert que nous ne pouvions pas avoir d'enfants, elle a simplement changé. Nous avons changé. Elle est devenue une femme d'intérieur implacablement fière. Tout devait être nettoyé, propre et rangé. Vous auriez dû me voir à cette époque. J'avais mon travail. Je suis un flic des rues. J'appartiens à tout ceci. Mais ce n'était plus assez bien pour elle désormais. Elle attendait de moi que j'obtienne une promotion, que je sois ambitieux, que je fasse quelque chose de ma vie. Elle voulait que je lui donne un motif d'être fière, voyez-vous. Et elle n'a eu que moi. Elle en est arrivée à être déçue à la fin. Je le sais. J'en suis venu à retarder le moment de rentrer chez moi, afin de ne pas voir cet air de déception sur son visage. Et puis j'ai cessé de rentrer chez moi. Je sais que je n'avais aucune excuse. De toute façon... J'ai... J'ai rencontré quelqu'un d'autre. Pourquoi pas ? Je m'étais décidé à quitter ma femme. Le jour même où j'ai trouvé le courage de le lui annoncer, son médecin m'a appelé au poste. "Elle a un cancer. Dix-ans mois d'espérance de vie." Elle avait toujours eu des ennuis avec son estomac. Elle pensait que c'était nerveux, ou ceci ou cela. Quoi qu'il en fût, elle voulut savoir. Elle espérait qu'elle pourrait faire face. Elle parla sans détours. Elle s'accrocha à moi pour la première depuis des années. Elle tremblait de la tête aux pieds. "Tu prendras soin de moi, Billy ? Tu prendras soin de moi, Billy ?" Je lui ai répondu qu'évidemment je serai là pour elle. Je suis sorti et je me suis saoulé. Et j'étais encore saoul quand je me suis retrouvé face à ce dingue qui avait un revolver. Et, avant qu'ils n'aient pu m'en empêcher, je marchais vers lui. Savez-vous à quoi je pensais ? La seule chose qui m'occupait l'esprit était la suivante : "Vas-y, pauvre con, bute-moi ! Finir comme ça ou autrement..." Et pour cet éclatant acte d'héroïsme, j'ai obtenu une médaille. Je pense que c'était le plus beau jour de sa vie pour ma femme. Elle se tenait à côté de moi, à Buckingham Palace. J'avais un haut de forme. Finalement, j'avais accompli quelque chose dont elle pouvait être fière. Et je n'étais même pas là quand elle est morte. Elle aurait apprécié. "Même maintenant, tu me laisses tomber, Billy. On ne peut jamais te faire confiance."
    Moins raffiné que l'inspecteur Morse, Frost n'est pas non plus aussi cultivé que lui et officie davantage en cavalier seul dans la cité imaginaire de Denton. Son patronyme, qui signifie "gelé", dit son caractère ombrageux, distant, abrupt et terriblement efficace, que l'on peut parfois confondre avec de la froideur. Mais la glace se brise parfois et l'on entrevoit les tourments de cette âme solitaire. Le schéma des épisodes veut que deux enquêtes occupent le devant de la scène : l'une qui prend le pas sur une autre, mineure celle-ci, mais qui exerce son attraction sur la première. Dans ce premier épisode, une disparition d'enfant est liée avec l'exhumation d'un cadavre vieux de trente ans. Le réel point commun entre Frost et Morse est l'introspection sociale à laquelle les conduisent leurs enquêtes respectives. Morse est attaché à un contexte plutôt universitaire tandis que Frost oeuvre dans les franges moins ragoûtantes de la cité. Mais l'un et l'autre se définissent par un souci de tolérance et de compréhension de cette humanité déchue, charriée par les petits et grands crimes quotidiens. Un signe clanique les associe l'un à l'autre. Catégories:
  • dimanche 13 août 2006
    Le tour d’écrou (The Turn of the Screw), 1898
    Henry JamesCe roman aux dimensions d’une longue nouvelle est un classique du genre et, peut-être, la meilleure histoire de fantômes jamais écrite à ce jour, bien qu’il ne s’agisse pas exactement de revenants. Ou, si tel est le cas, pas dans le sens où vous seriez susceptibles d’entendre immédiatement ce dernier terme. Les reliques de nos souvenirs et de nos inconscients peuvent donner naissance à des revenants, sans même oser parler du retour du refoulé – expression que l’on peut mettre au pluriel…

    Amenabar s’en est inspiré pour son film Les autres,


    bien que la filiation soit moins évidente que celle qui s’affirme dans le film de Clayton, œuvre plus littérale.




    Le point commun entre Amenabar et James est l’étrangeté dissolue qui remue l’esprit des divers personnages. La grande réussite du cinéaste repose sur sa capacité à prendre à parti le spectateur et à l’obliger à un retournement sur lui-même à la fin de son film. De gré ou de force, nous participons au déroulement de l’histoire car nous sommes contraints d’y apposer fermement notre conscience, comme une loupe sur des mots écrits trop petit pour être déchiffrés de loin par les myopes que nous sommes tous. En ceci, Amenabar est fidèle aux exigences jamesiennes.

    L’histoire se glisse dans ce que Henry James appelle « la chambre intérieure de [notre] épouvante. » Il existe, bien sûr, en chacun de nous, un compartiment où s’ébroue la peur, escortée des petites peurs fondatrices et destructrices de l’enfance, qui commencent avec celles du loup et des monstres qui se nourrissent de la nuit et des ombres. Voisine également en cet endroit souterrain la grande peur, celle qui danse la java dans notre crâne, lorsque l’on pense à la dame en noir. Il n’est pas si étonnant que, par contraste, les fantômes soient souvent représentés par le blanc. Sûrement une mesure d’apaisement, bien que le blanc désigne en divers endroits la mort. Ce qui est visible ne peut nuire autant que ce qui est celé à la vue, car il est un principe certain que l’on ne peut jamais prouver l’inexistence de quelque chose. Le (dernier) tour d'écrou n'est qu'une expression, parfaitement choisie, pour désigner ce qui visse notre angoisse au plus profond de notre esprit. Il suffit d'un petit rien pour que le doute oscille durablement vers la certitude déplaisante que nous sommes pris au piège. Il n'est pas sans importance que l'expression se trouve sous la plume de la gouvernante... Pourtant, n'est-ce pas une manière déguisée de la part de James afin de nous signifier notre perte ?

    Ici, point de fantômes enrubannés dans des draps blancs. Il s’agit d’apparitions. Ce qui apparaît doit être perçu. Or, la perversité de cette histoire est de renvoyer la perception à la subjectivité des divers protagonistes. Puis, dans un dernier acte de sadisme littéraire, à celle du lecteur, qui est contraint d’inventer le fin mot de l’histoire. Si, comme le prétendait son frère, le grand William, neurasthénique à l'image de sa sœur Alice, trop peu connu en France, « Chacun est limité par ce qu’il peut imaginer. », on comprendra que Le tour d’écrou sera un émulsif différent pour chaque complexion. Je suis assez troublée par la concordance qui existe dans les écrits des deux frères, bien que l’un ait choisi la voie du roman et l’autre celle, plus aride, de la réflexion philosophique et psychologique pure. Chez les deux hommes, le flux de la conscience emporte dans ses flots jusqu’au moindre résidu de nos pensées, y compris les moins avouables.

    On peut lire au-delà d’une histoire de fantômes, un récit plus complexe : celui des projections malsaines d’une gouvernante sur des enfants, peut-être (certainement !) pervertis. Mais rien n’est absolument certain sinon que l’enfance est le terreau des plantes vénéneuses. Tous les gosses sont des peaux de vache. On y lira aussi une métaphore du psychisme humain. L’œuvre est aussi riche que la compréhension éventuelle du lecteur l’autorise.

    Henry James est un immense auteur. Proust fait figure de piètre phénoménologue à côté de lui ; la prose de James est encore plus exigeante que celle du dandy souffreteux susnommé, parce que plus sincère et gonflée d’une puissance inépuisable et inexplicable. Il exige beaucoup de ses lecteurs mais, en retour, il offre le centuple de votre don. Lire ne devrait jamais être un acte qui s’expose à la légère. Henry James n’a jamais galvaudé cet acte suprême qui, à mes yeux, a tout de la prière bien qu’elle s’adresse à un dieu invisible. Dans ce court roman, James ne donne pas la pleine mesure de son art, qui atteint sa perfection, selon moi, dans des romans tel que Les ailes de la colombe. Pourtant, la concision du propos et la gerbe d’interprétations provoquées prouvent la force de l’écrivain.


    David Lodge, dans son sublime L’auteur ! L’auteur !, retrace la vie de Henry James. Rien de comparable, bien entendu, avec l’immense biographie de Leon Edel, mais Lodge fait preuve d'une admirable compréhension. Rien de tel qu'un écrivain pour en comprendre un autre. On retrouve une filiation avec son précédent roman, Pensées secrètes, qui était, somme toute, un roman éminemment jamesien, puisqu’il "s’attaquait" à l’objet adulé du grand romancier : la pensée intime, la pensée des autres, la sienne, les entrecroisements de pensées... et les expériences sur la pensée ! On y rencontre, entre autres, Sylvia Du Maurier, la dame des pensées de Barrie, son père George, grand ami de James et, si l'on pense très fort à lui, Barrie lui-même !
    Bonheur de lire deux grands romanciers, qui ne sacrifient rien à l’intelligence mais n’en font pas pour autant, du moins explicitement, le sujet de leurs livres. La chair et le squelette, l’histoire et la réflexion. Trop souvent, les romanciers sacrifient à l’un ou l’autre pan de l’alternative, quand il ne faudrait jamais élire l’un ou l’autre. Il n’y a peut-être qu’un grand style qui soit capable d’unir ces deux exigences de l’art romanesque.

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    Il est regrettable qu'aucune chaîne hertzienne ne se soit décidée à diffuser cette série, qui ne tint que deux saisons, malgré l'attachement de son public. Les lois de la divinité "Money Money" me sont incompréhensibles... Je regarde assez peu de séries, quoique je sois assez férue de ce genre de créations, si l'on me compare à certains de mes condisciples... et autres apprentis philosophes de bazar. Mais celle-ci a sans doute nourri quelque chose en moi qui se mourait de faim, car elle prit sa place dans mes attentes et jamais elle ne me lassa ou m'irrita. Le premier épisode me surprit, notamment à cause du physique atypique mais, néanmoins, charmant de l'héroïne, Ellen Muth. Sa moue boudeuse, qui s'apparente au rire désespéré (?) du bouledogue est assez sexy.
    Cette très jeune fille, visiblement mal à l'aise dans son existence, à l'instar des êtres qui sortent un peu hagards de l'enfance, est mise en demeure par sa mère de trouver un emploi. George, puisque tel est son prénom (Georgia, en réalité), s'acquitte de mauvaise grâce de la tâche. Et, tout à coup, les toilettes de la station spatiale MIR lui tombent sur la tête et elle meurt dans la seconde. Quelle fin ridicule, n'est-ce pas ? Ne le sont-elles pas toutes ? Dommage de mourir si vite quand on a eu si peu de temps pour décevoir les autres - et soi-même ! Dommage de mourir sans avoir connu le goût fiévreux et amer de l'amour. Dommage de mourir sans l'espoir d'une rédemption, après avoir gâché sa vie sans même l'entamer. Elégance suprême ou absolue bêtise de partir sans mots dire. Personnellement, j'aimerais mettre à sac toutes mes possibilités et me casser la gueule sur les vitres des magasins, ceux qui exposent mes plus jolis songes. Je voudrais pas crever sans... Mais je ne suis pas George. Tant mieux. Elle est donc morte, mais son avantage est de le savoir, tandis qu'il en est qui gigotent encore, bien que tout crevés à l'intérieur. Pourtant, sa vie ne fait que commencer. Elle devient faucheuse d'âme, c'est-à-dire qu'elle recueille l'âme des futurs décédés en les touchant de la main, avant leur mort, qui n'emportera que le corps usagé des défunts. Elle devient, malgré elle, à son corps défendant, une autre personne, puisque son apparence physique n'est pas celle qui était la sienne de son vivant. Son rôle est défini. Elle trouve un sens à sa vie en trépassant. Jolie ironie. Elle n'est pas seule puisqu'elle oeuvre au sein d'une équipe. Chacun des protagonistes doit se débrouiller afin de vivre discrètement parmi les vivants, en exerçant une activité professionnelle. Tous ses comparses sont des personnages, notamment Mason drogué, désespéré, qui ne pense qu'au sexe. Sans oublier Daisy Adair, morte en 1938, sur le tournage d'Autant en emporte le vent, qui se vante sans cesse d'avoir fait quelques gâteries à Errol Flynn ! De loin, George observera les conséquences de sa mort sur sa famille, qui va éclater. Elle ne pourra pas les aider directement, mais prendra soin d'eux à distance. Et de mesurer l'espace qui sépare les pensées des uns et des autres de la parole qui ne fut pas prononcée à temps. Les dialogues sont brillants, l'ensemble est d'une drôlerie incroyable et l'on prend plaisir à coudoyer avec la faucheuse. Le dernier épisode ne livrera pas tous les secrets de cette histoire mais c'est peut-être aussi bien. Les deux saisons sont sorties en DVD zone 1. La première est d'ores et déjà disponible en zone 2. 
    Extrait de la bande originale de la série : Metisse.  
    "Boom Boom Ba" du groupe Metisse. 
    Bien à vous, amis lecteurs ou gens de passage.

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