vendredi 16 mars 2007
Contrainte à la concision ces derniers jours pour cause d'urgence, je vous laisse quelques liens, pour vous faire part de mon admiration pour quelques auteurs-interprètes de la chanson française, qui ne sont pas tous assez présents dans les journaux et autres émissions télévisées.
Je suis persuadée de vous étonner, par un ou deux de mes choix... Et si vous pensiez déjà que j'étais ringarde, je me demande ce que vous penserez aujourd'hui... En tout cas, je m'en moque. J'aime les êtres qui portent en eux un monde et ces personnes me sont essentielles.
une plume à part, un auteur de talent, parolier de la bien connue Juliette, un artiste hors norme qui s'unit magnifiquement à la géniale femelle, mais qui ne perd rien de sa verve quand il chante lui-même ses textes. De Joyet, il faut tout écouter, et d'abord "Verdun" par exemple : ici. Mention spéciale à la chanson intitulée "Le gérontophile".
- Henri Tachan : iconoclaste, prosateur exigeant, provocateur en diable, j'aime ce type. Il y a du Brel en lui. Je suis en rage que les media ne lui accordent pas sa place.« J'aime Tachan, insolent, triomphant. Il cogne, il mord, il ravage, il saccage, il taille en pièces, il poignarde en plein cœur… Il aime, je l'aime. » (Serge Reggiani) Pour écouter certaines de ses chansons, je vous engage à vous rendre ici. J'aime particulièrement Une pipe à pépé. Car vous savez bien que les jeunes et les moins jeunes croient que les vieux (les plus vieux qu'eux) ne baisent pas et n'en ont pas besoin. On achève bien les vieux dans notre pays...
- Jean Guidoni Vous pouvez écouter sur MySpace des extraits de son dernier album. Guidoni possède une manière de mélancolie, et surtout de colère sous-jacente en laquelle j'aime me retrouver.
- Philippe Katerine, je vous en ai déjà parlé et je suis sûre que vous le connaissez. Sa folie est contagieuse et je crois que je suis pire que lui...
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Miscellanées
jeudi 15 mars 2007
Comment vous le dire ? Cet aveu est-il permis ?
Mais, oui, c'est ça ! J'ai trouvé mon double masculin. Sauf qu'il ne fait pas semblant d'écrire des romans, mais qu'il écrit pour de vrai des chansons, très bien torchées qui plus est. Cet univers-là, c'est le mien, de A jusqu'à presque Z.
La fantaisie grinçante de Thomas Fersen, mâtinée d'une goutte de tendresse amère, me rappelle parfois l'univers de Jeunet et Caro et tout autant l'univers de Perrault ou des frères Grimm. Ne me demandez pas la raison de ces rapprochements. Peut-être bien que c'est de la faute de Hyacinthe (in Le pavillons des fous) tout ça...
Thomas Fersen est un conteur et il me plaît de m'endormir au creux de ses histoires.
Extrait de ma chanson préférée de l'album, "Le Chat botté", en guise de clin d'oeil,
pendant que mes valises réclament que je les nourrisse.
Je sais bien que je les ferai au dernier moment, car je vis dangereusement.
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Libellés :chanson française,Thomas Fersen
mercredi 14 mars 2007
Des cinéastes français de valeur, comme des romanciers d'exception, il en existe : ils sont morts, crevés ou anesthésiés et, toujours, coïtent tant bien que mal avec la postérité.
Parmi les vivants, en ce qui concerne les porteurs d'images, il en reste moins de vingt, dans notre beau pays, sur lesquels l'aube de la création se lève. Arnaud Desplechin est de ceux-là. Il pourrait aisément venir combler un peu la place vide laissée par Truffaut dans mon coeur, à bien des égards. La filiation me paraît tellement évidente que je ferais mieux de ne rien écrire.
Aujourd'hui, je dirai un mot d'un film, avant de parler, peut-être un jour, d'Esther Kahn, l'un des films français que je place le plus haut dans mon estime et dans mon affection. Esther Kahn dépeint autant l'éveil d'une actrice que celui d'une âme, qui sort de sa léthargie animale, par la souffrance du sentiment qui prend vie en elle, comme si la jeune femme ne pouvait exister qu'en étant entée sur une manifestation presque extérieure à sa conscience, ou perçue comme telle, dans l'interdit de la découverte de soi (lorsqu'Esther mâche un morceau de verre). La plupart des personnages de Desplechin vivent sur ce déséquilibre entre la personnalité qu'ils affichent, à laquelle ils s'identifient, et cette part secrète, inavouée, mais bien plus réelle que leurs actes, qui loge en eux comme la balle d'un revolver. Tout le talent du cinéaste est de faire vivre ses personnages et le spectateur (prodige !) dans cette tangence dangereuse, qui peut à tout moment faire basculer le burlesque en tragique. Fort heureusement, la réciproque est tout aussi vraie. C'est dans cet art absolu de la vacillation contrôlée que se manifeste l'immense talent de Desplechin.
Rois et reine (bande-annonce japonaise, je suis désolée, mais le propos est en français) n'échappe pas à cette règle, à ce mouvement centripète du sujet à sa conscience, et s'applique également à Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle). J'omettrai sciemment de trop parler de toute cette polémique stérile qui accompagna la sortie du film, Rois et reine. Qu'il y ait emprunt ou non à une réalité qui n'appartenait pas au cinéaste n'est pas le sujet - même si on peut regretter le procédé d'un point de vue moral, car l'art en fait n'excuse rien et ce n'est pas son rôle. Vampiriser la vie d'autrui ce n'est au pire, et c'est déjà grave je le conçois, qu'un manque de classe ou de tact. Il ne faudrait pas pour autant oublier le plus important : ce film parle d'une vérité universelle, par-delà la réalité anecdotique de l'histoire brute, de ce récit qui n'est emporté que parce que son centre d'équilibre n'est jamais où nous le plaçons ordinairement dans nos vies. Et, même lorsqu'il ne s'agit de rien d'autre que de cette banalité de l'amour, qui donne sens à nos misérables existences de cloportes, Desplechin parvient à surprendre, à engager un retournement sur nous-mêmes, car il nous présente la vérité émotionnelle ou affective comme un accident dont la paradoxale nécessité apparaît lorsqu'une révolution s'est opérée en nous (dans les personnages). Oui, il s'agit bien de l'amour à n'en point douter la cause de toute cette concaténation de situations drôles, impossibles, dramatiques, et parfois insoutenables.
L'amour, celui d'un père pour une fille, celui d'une fille pour son petit garçon, celui des hommes (les rois) pour une femme (la fausse reine de Saba, interprétée par cette actrice aux pouvoirs troubles et ambigus, que j'aime, Emmanuelle Devos) et celui de cette femme pour ces (ses) hommes. Autant de variations autour d'un thème unique qui sécrète et nourrit les autres, celui du mensonge, décliné comme mensonge à soi (mauvaise foi) ou duperie plus ou moins involontaire de l'autre. Ironiquement, le contexte extérieur au film, précédemment évoqué, alimente cette vérité du mensonge. Bien sûr que Desplechin y a songé.
Qu'est-ce que l'art ? Regardez ce film et vous obtiendrez la réponse la plus précise, la plus insaisissable et, néanmoins, la plus concrète qui soit. En effet, le prodige ne tient qu'à cela : à montrer ce que nous ne faisons que pressentir au cours d'une vie, ce qui frémit sous la réserve de notre finitude ou de notre maturité de façade, comme si pendant un instant nous avions le privilège d'être un peu Dieu et d'observer les hommes et les femmes de ce monde, de soulever le voile de Maya une fois pour toutes. Rois et reine est ce genre d'expérience unique.
Desplechin est un cinéaste de talent, un homme cultivé et très intelligent. Mais, dans notre société, l'intelligence n'est pas tellement à la mode. Ce qui compte n'est même plus de faire semblant. Nous sommes tombés bien bas et ce n'est pas encore terminé. Fort heureusement pour lui, il en possède assez pour la mettre au service d'une manière d'ironie permanente, qui lui permet de n'être pas gonflé de suffisance. Il possède l'intelligence de la race des seigneurs artistes. Et, s'il n'était pas capable de légèreté, d'ironie, d'humour, son talent serait condamné. Ceux qui n'ont pas d'humour sont des cons aussi intelligents soient-ils.
Or, il parvient à donner à son film beaucoup d'allant et d'humour, grâce entre autres au personnage lunaire et improbable d'Ismael (merveilleux Mathieu Amalric) qui nous offre plusieurs scènes burlesques tout à fait irrésistibles. La peinture des hôpitaux psychiatriques est, je ne sais s'il faut s'en réjouir ou le déplorer, tout à fait réelle. Les fous, les toqués, les mal dans leur peau, viennent aussi ici pour baiser.
Ne soyez pas choqués : le corps a aussi ses raisons. Ne soyons plus hypocrites. C'est peut-être la leçon de ce film : savoir regarder et avouer.
Son film est d'une richesse inouïe. Les références musicales et littéraires sont nombreuses. Elles convoquent en nous diverses capacités d'interprétation, de lecture, d'appréciation, sans jamais forcer le trait ou la corde sensible (ce n'est pas un film de normalien ou d'hypokhâgneux frustré). A ne citer que certaines d'entre elles pour être d'emblée inspiré : Moon River, le thème de Mancini pour Breakfast at Tiffany's, Rose Murphy et son A little bird told me, dont la voix de petite fille inspirera Marilyn Monroe, et qui reflère finalement assez bien l'infantilisme de la reine de ce film, Nora, mais aussi le décalage entre ce qu'elle est et ce qu'elle vit. Voir également certaine scène où elle sculpte des personnages dans de la mie de pain... et manifeste, instinctivement, ce qu'elle est : une petite fille, mais bouffie d'orgueil et insensible.
Des souvenirs d'Apollinaire ou d'Emily Dickinson, des clins d'oeil à la Psychothérapie d'un indien des plaines de Georges Devereux, au Théâtre de Shabbath de P. Roth, à la jubilatoire Symphonie des spectres de J. Gardner , et j'en oublie, hantent les personnages et leur donnent une consistance pleine et poreuse à la fois, à l'image de notre mémoire... La référence centrale est un poème de Yeats, qui contient en soi les divers motifs de ce film magistral et celui, à n'en point douter, de l'auteur lui-même. Ce magnifique poème, l'un des derniers de mon cher Yeats, livre quelques secrets supplémentaires. Sur le film, sur le processus terrible de la création, mais aussi sur la stérilité de celui qui a donné son oeuvre majeure (Nora a eu son enfant et son père est à la fin de son processus littéraire, tandis qu'Ismael a perdu son précieux instrument de musique ...).
J'aime cet entrecroisement des divers auteurs de son imaginaire et du calme reflux ou régurgitation de la conscience, car rien n'est jamais artificiel ou superfétatoire. Ce pourrait être écoeurant, lourdingue, faux, mais Desplechin n'assène jamais ses références qui faufilent d'or, très délicatement l'histoire, un double récit qui s'ouvre comme les deux volets d'une fenêtre, pour se retrouver à la croisée d'une question, celle de la filiation justement. J'aime aussi ces résurgences antiques, littéraires ou mythologiques qui fondent le logos des personnages.
Je crois que la caractéristique de tous les films de Desplechin, son style peut-être, est de filmer au plus près de nos émotions, comme s'il voulait s'assurer que nous pouvons vivre ce que les personnages, eux, ne font d'abord que subir avant de se reprendre. Nous comprenons plus et mieux qu'eux sans pourtant qu'il s'agisse d'une omniscience. Nous avançons du même pas qu'eux. Certains de ses personnages s'en trouvent changés, grandis (Ismael) tandis que d'autres choisissent de ne point abandonner la terre ferme de leurs certitudes, même s'ils sont enfin conscients de leur mauvaise foi (Nora).
La conclusion de tout ceci est qu'il faut grandir, malgré tout, et c'est à ce moment qu'apparaît en filigrane, au détour d'une conversation entre l'enfant-roi et son modèle de père, l'ombre de Peter Pan, puis le fantôme du véritable père, qui demeure dans la jeunesse éternelle. Ainsi sont les morts qui passent le pont au plus vite. Pour Desplechin ne pas grandir est une malédiction. Je ne sais s'il a tort ou raison, mais la seule vertu du grandir est pour moi la compréhension de soi, puis seulement des autres.
J'éteins mon écran et je me dis que je suis peut-être une ratée mais je l'assume tellement bien que je n'ai jamais été si productive et que la peur se noie dans son propre ressac. Et, cela vous surprendra peut-être, mais je suis heureuse, car je n'ai plus envie de prouver quoi que ce soit.
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The Circus Animals' Desertion
I
I sought a theme and sought for it in vain,
I sought it daily for six weeks or so.
Maybe at last, being but a broken man,
I must be satisfied with my heart, although
Winter and summer till old age began
My circus animals were all on show,
Those stilted boys, that burnished chariot,
Lion and woman and the Lord knows what.
II
What can I but enumerate old themes,
First that sea-rider Oisin led by the nose
Through three enchanted islands, allegorical dreams,
Vain gaiety, vain battle, vain repose,
Themes of the embittered heart, or so it seems,
That might adorn old songs or courtly shows;
But what cared I that set him on to ride,
I, starved for the bosom of his faery bride.
And then a counter-truth filled out its play,
'The Countess Cathleen' was the name I gave it;
She, pity-crazed, had given her soul away,
But masterful Heaven had intervened to save it.
I thought my dear must her own soul destroy
So did fanaticism and hate enslave it,
And this brought forth a dream and soon enough
This dream itself had all my thought and love.
And when the Fool and Blind Man stole the bread
Cuchulain fought the ungovernable sea;
Heart-mysteries there, and yet when all is said
It was the dream itself enchanted me:
Character isolated by a deed
To engross the present and dominate memory.
Players and painted stage took all my love,
And not those things that they were emblems of.
III
Those masterful images because complete
Grew in pure mind, but out of what began?
A mound of refuse or the sweepings of a street,
Old kettles, old bottles, and a broken can,
Old iron, old bones, old rags, that raving slut
Who keeps the till. Now that my ladder's gone,
I must lie down where all the ladders start
In the foul rag and bone shop of the heart.
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Cinéma
Libellés :Arnaud Desplechin,cinéma français,Rois et reine
mardi 13 mars 2007
Le plan du voyage au pays de Barrie, première partie, est presque dessiné. Je quadrille Londres en vue de mon prochain petit voyage sur les terres de Peter Pan et du Capitaine Hook. Savez-vous que ce dernier aurait pu ou dû être une femme ? Peter Pan est bien, dans une certaine mesure, une femme... Et c'est cette actrice qui l'aurait interprété...
Idée très logique, car Peter Pan est "le garçon qui hait les mères"... Nous en reparlerons... Et si Hook... Non, oubliez ce que je viens de dire !
Idée très logique, car Peter Pan est "le garçon qui hait les mères"... Nous en reparlerons... Et si Hook... Non, oubliez ce que je viens de dire !
La seconde partie de mon pélerinage sera dévolue à l'Ecosse, le berceau des fées et celui de mon cher ami, que j'appelle Jamie ou Jimmy suivant mon humeur ardente. Je moissonne les souvenirs d'un autre en qui je me perçois mieux qu'en moi-même. En ceci, je ne diffère guère du grand auteur.
Plusieurs étapes : les divers endroits où a habité Barrie, la maison des Lewis où il a rencontré la femme idéale, Sylvia, la maison des Llewelyn Davies justement, le Garrick Club et le Duke of York's Theater, entre autres. Holly sera au Paradis ou peu s'en faut.
Je pioche parmi les souvenirs de Pauline Chase, dans ce livre charmant, presque impossible à trouver sans se ruiner, à moins d'avoir une sacrée chance... Et mon sourire s'épanouit en écrivant ces derniers mots, car je crois que mon plaisir rejaillira sur d'autres : le but de mon travail et de mon site Barrie est de partager mes petits trésors. La bibliophile que je suis ne s'endort jamais et passe des heures à traquer l'édition originale au meilleur prix.
Je suis persuadée que Barrie, pour bien des raisons, pouvait y trouver certain petit plaisir sadique...
A noter, pour le plaisir, que Noël Coward participa, à l'âge canonique de 14 ans à cette pièce.
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Libellés :enfants perdus,James Matthew Barrie,Peter Pan
dimanche 11 mars 2007
"La chose entière est la preuve que les personnes et les événements de notre propre enfance nous marquent de leur empreinte particulière : quand nous mourons, tout le reste disparaît et nous employons des mots que nous n'avions pas utilisés depuis soixante ans et nous voyons les vieux meubles et les visages d'autrefois qui semblent vivre de leur ancienne vie."
James Matthew Barrie, au chevet de sa mère mourante.
Traduction Holly aka C.-A. F.
Il est probable également que l'enfant vienne, au dernier moment, donner la main au vieillard pour l'aider à traverser la dernière étape du voyage.
Bientôt en partance, pour une autre contrée, et mise en demeure d'achever un travail qui me tient à coeur au plus vite, je n'ai que peu de temps pour ajouter de nouvelles roses à ce bouquet. Toutefois, je ne vous délaisse pas tout à fait, comme vous pourrez peut-être le constater prochainement...
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Libellés :James Matthew Barrie
vendredi 9 mars 2007
"Il est dommage, mère, que je sois aussi petit, dit-il dans un soupir.
- Tu n'es pas ce que j'appellerais un homme particulièrement grand, mais tu es juste de la taille que j'aime.
Même si Margaret n'en était pas consciente, la petitesse de Gavin l'avait affligé pendant toute son existence. "
James Matthew Barrie, Le petit ministre
Lettre de Barrie à Madame Fred Oliver, en date du 21 décembre 1931 (six ans avant sa mort) :
"Six pieds et trois pouces.* (...) Si j'avais atteint cette taille, cela aurait fait une grande différence dans ma vie. Je n'aurais pas eu l'ennui de faire tourner les machines des imprimeurs.** Mon seul but aurait été de devenir le favori de ces dames - ce qui, entre vous et moi, a toujours été mon ambition malheureuse. Les choses que j'aurais pu dire si mes jambes avaient été plus longues ! Lisez ceci avec des pleurs amers (...)"
Justement, Mary Ansell, la femme qu'il s'apprêtait à épouser mesurait cinq pieds, comme lui.
Mais, deux jours avant son mariage, il écrivit dans l'un de ces fameux carnets ce qui suit :
"Notre amour ne m'a rien apporté sinon la souffrance. "
"Comment ? Devons-nous vous instruire des mystères de l'amour [physique] ?"
Le problème était, par conséquent, plus complexe.
Et l'on connaît, hélas, la triste fin de cette histoire sans suite, dont on trouve écho dans l'épilogue de Tommy et Grizel :
"Elle survécut si longtemps à Tommy qu'elle avait atteint un certain âge quand elle mourut. Ce que Dieu trouvera le plus dur à lui [à Tommy] pardonner, je pense, est que Grizel n'eut jamais d'enfants." (La phrase en italique fut supprimée, vraisemblablement à la demande de Mary devenue Madame Barrie)
* Un pied équivaut à 0,3048 m et un pouce à 2,54 cm.
** Truisme que je m'empresse d'énoncer. Personne n'écrit jamais sans une carence (identifiée ou non, mais très souvent affective), même si tous ceux qui ont subi ce défaut x ou y n'en viennent pas, heureusement pour eux, à s'infliger la torture d'écrire. Le paradoxe est que ce manque ressemble au tonneau des Danaïdes.
On peut bien trouver ensuite le bonheur ou ce qui lui ressemble le plus, on n'en oublie pas pour autant que l'on n'est pas entier, comme si on avait été marqué à la naissance de quelque terrible et indélébile distinction. Et l'on écrit par dessus l'inscription fatale pour rendre illisible le motif premier.
Traduction Holly G. aka C.-A. F.
Illustrations : BERNARD PARTRIDGE pour Tommy and Grizel et John Waterhouse.
(Pour Fauna, qui comprend tout.)
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Libellés :James Matthew Barrie
mercredi 7 mars 2007
De la relation entre Barrie et Stevenson,
(in A Child’s Garden of Verses and Underwoods)
j'ai déjà parlé, mais pas assez. Un autre jour. Ailleurs. Je tiendrai ma promesse...
En lisant les notes préparatoires à l'écriture de la pièce Peter Pan, je me rends compte, sans étonnement, que Barrie parle parfois de Stevenson, du Stevenson poète, peut-être moins connu des français.
J'ai eu la soudaine envie de laisser tomber derrière moi, négligemment, ce poème, de facture très simple, mais qui me paraît exprimer une part de l'intérêt de Barrie. Appelez cela nostalgie, si vous le désirez, je crois que vous vous trompez. Car Barrie, lui, n'a connu que l'enfant dans le livre et jamais celui qui a abandonné sa vieille peau de brigand, de héros ou de détrousseur des grands chemins pour devenir adulte... Peut-on avoir la nostalgie de ce que l'on n'a pas vécu ? Si oui, ce penchant ou cette expérience portent un nom : le manque.
To Any Reader
As from the house your mother sees
You playing round the garden trees,
So you may see, if you will look
Through the windows of this book,
Another child, far, far away,
And in another garden, play.
But do not think you can at all,
By knocking on the window, call
That child to hear you. He intent
Is all on his play-business bent.
He does not hear, he will not look,
Nor yet be lured out of this book.
For, long ago, the truth to say,
He has grown up and gone away,
And it is but a child of air
That lingers in the garden there.
As from the house your mother sees
You playing round the garden trees,
So you may see, if you will look
Through the windows of this book,
Another child, far, far away,
And in another garden, play.
But do not think you can at all,
By knocking on the window, call
That child to hear you. He intent
Is all on his play-business bent.
He does not hear, he will not look,
Nor yet be lured out of this book.
For, long ago, the truth to say,
He has grown up and gone away,
And it is but a child of air
That lingers in the garden there.
(in A Child’s Garden of Verses and Underwoods)
Je n'ai pas envie de le traduire, car je ne peux le faire qu'en prose. Je n'ai pas l'âme d'un poète et, surtout, je manque de temps, comme toujours...
老是
Les rares poésies que j'ai écrites, je les ai détruites. Je ne montrerai pas cette facette. Je me contente, pour mes lecteurs non anglophiles, d'en donner le sens global et je me mords les doigts d'en esquinter la prosodie, mais nulle envie de me plier aux vers ne m'étreint ce matin. J'ai les idées grossières et la main alourdie.
A celui qui me lira
De même que, de la maison, votre mère vous voit
Jouer dans l’ombre ronde des arbres du jardin
Vous pouvez voir, si vous voulez bien regarder,
A travers les fenêtres de ce livre,
Un autre enfant, loin, très loin, là-bas,
Qui, dans un autre jardin, joue.
Mais ne songe pas un instant que tu peux
L’appeler en cognant à cette fenêtre-là,
Que cet enfant peut t’entendre. Il est absorbé
Tout à son humeur et affairé à son jeu.
Il n’entend pas, il ne lèvera pas les yeux sur toi,
Pas plus qu’il n’est détourné de ce livre
Car, il y a longtemps, à dire vrai,
Qu’il a grandi et qu'il est parti.
Et il n’est plus rien, sinon un enfant né des vapeurs de l’éther
Qui s’attarde, ici, dans le jardin.
De même que, de la maison, votre mère vous voit
Jouer dans l’ombre ronde des arbres du jardin
Vous pouvez voir, si vous voulez bien regarder,
A travers les fenêtres de ce livre,
Un autre enfant, loin, très loin, là-bas,
Qui, dans un autre jardin, joue.
Mais ne songe pas un instant que tu peux
L’appeler en cognant à cette fenêtre-là,
Que cet enfant peut t’entendre. Il est absorbé
Tout à son humeur et affairé à son jeu.
Il n’entend pas, il ne lèvera pas les yeux sur toi,
Pas plus qu’il n’est détourné de ce livre
Car, il y a longtemps, à dire vrai,
Qu’il a grandi et qu'il est parti.
Et il n’est plus rien, sinon un enfant né des vapeurs de l’éther
Qui s’attarde, ici, dans le jardin.
Cette traduction, pour une fois, n'est pas fidèle et je la revendique dans sa libre interprétation de l'original. J'ai extrapolé ici et là le sens, guidé par une forme d'intuition. J'ai échangé en cours de route la deuxième personne du pluriel pour celle du singulier, afin d'indiquer une inéluctable progression. Nous finissons bien, tous, par tutoyer les anges, à mesure que le temps passe... Ne me dites pas le contraire, je n'ai aucune envie d'être contredite.
Les premières lignes du roman Peter Pan renvoient sans conteste à un autre poème mais d'un autre poète, mais je ne vous dirai rien de plus aujourd'hui.
[ Waterhouse, Gather Ye Rosebuds While Ye May]
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mardi 6 mars 2007
Il semblerait que les fées se soient penchées sur mon cas, qui relève de l'urgence musicale. Merci Monsieur Barrie. Je suis certaine que vous avez dépêché une légion de petites dames nées dans un pétale de tulipe. Il est bon d'être inculte, cela réserve de grandes émotions, des découvertes qui vous fortifient, cela prouve aussi que l'on est encore en vie et loin d'être blasés. Le monde est jeune, nous le sommes encore plus. Déroulons le store de notre imaginaire. Sur un coin du rideau blanc se projettent ensemble passé, présent et indétermination de l'avenir. Je songe à la formule d'Elizabeth Goudge, dans l'indolent et ondoyant Pays du Dauphin vert,
lorsqu'elle parle, à propos d'autre chose, de cette corde trois fois tissée qui ne rompt pas. Et nous nous perdons dans ce point infime qui scintille et meurt. Une voix, une image, une idée peuvent rappeler à la vie éternelle ce que l'on croyait n'être qu'incandescence de l'instant. Rickie Lee Jones est capable de ce prodige.
En tout cas, certain monsieur plein d'esprit et d'allant, de sensibilité surtout (comment pourrait-il en être autrement d'un ami de Barrie ?), guidé par l'amitié et la connaissance des mes états d'âme sûrement, s'avisa d'écrire, sur un morceau de papier où était imprimé le baiser d'Audrey Hepburn et de Humphrey Bogart (Sabrina de Billy Wilder), deux citations qui ne pouvaient qu'enflammer mon imagination, déjà prompte à la combustion spontanée.
but what do birds leave behind,
of the wings that they came with
If a son's in a tree
building model planes?
***
From the blue and pale room I'd follow
Through the faces and the traces of
Treasure I keep hearing inside me
Que pouvais-je faire sinon partir en quête du sens profond de ces mots ?
Que trouvais-je ?
Un disque qu'il m'offrit, lors d'un autre envoi, accompagné, entre autres merveilles new-yorkaises, d'une photographie à la beauté où crépite par intermittences le merveilleux, cette beauté invisible et intuitive de braise qui parle autant à mon imaginaire qu'à mon esprit frappé par la foudre du rationnel. Je retombe en cendres devant la Beauté mais je ne la trouve pas aussi amère que le Poète. Peut-être parce que je la subis simplement au lieu de la tirer de mes ent(r)ailles.
Ramon Novarro, célèbre acteur à son époque, une photographie prise par George Hurrell. Un chevalier, un halo de lumière, une licorne dépossédée de son signe distinctif ? L'image suit la courbure de mes songes. Je ne veux rien savoir d'autre de cette image. J'écrirai son histoire.
Je me sens dans un monde qui est mien.
Je n'ai rien écrit de valable, rien accompli dont je sois fière pour le moment et l'on m'offre pourtant autant que si je n'avais pas failli. Etrange. Mais j'accepte le don.
Je prends le disque.
Pirates.
And I won’t need a pilot
Got a pirate who might sail
Somewhere I heard far awayYou answer me
So I’m holding on
To your rainbow sleeves
Le titre ne peut que m'enchanter, car j'en suis un, sous des dehors sages. Il s'agit du second album de la demoiselle au sourire troussé et au bonnet rouge.
Woody and the dutch on the slow train to Peking
D'abord une photographie de Brassaï qui m'arrête devant le pas du ressentir, avant de sortir la galette de son boîtier.
Un couple.
De loin, on dirait des enfants qui jouent une scène d'un autre âge que le leur. L'illusion subsiste encore lorsqu'on découvre qu'ils sont plus âgés qu'on ne l'aurait cru au premier regard. L'émotion revient en force. Elle vous plaque contre le mur. On demeure en retrait, dans l'attente de la suite, qui n'a plus le droit, MAINTENANT, de décevoir ce préambule.
Une légère appréhension au moment d'enclencher le disque, puis elle est là.
La voix d'une enfant faufilée dans certaines intonations. Non, pas seulement, ce serait trop simple. Un rythme plus dur, sûr de lui, conduit le voyageur au sein d'une intimité douloureuse, d'une mélancolie et d'une nostalgie qui se défendent d'elles-mêmes. Il y a du courage et de la foi dans ce ton, des larmes refoulées aussi, une forme de violence salutaire, une tendresse octroyée aux mauvais jours. Une voix de femme pourtant, on le sent à certains soupirs, dépouillée des artifices, des inutiles artifices de la féminité. Une voix d'émotion sauvage qui ne perd pas le texte dans sa course folle, qui est soutenue et propulsée par des paroles qui ont un sens aigu, qui racontent, toujours, une histoire triste, car ce sont les plus belles : celle des filles abandonnées par les garçons, qui ne gardent d'elles en souvenir qu'un tatouage, celle de cette femme enceinte qui perd son homme à cause d'une fusillade (histoire vraie). Cet album est cinéphilique, mais en creux, sans dommage. L'ombre de Nathalie Wood, de Brando, Sinatra, un ou deux fantômes de regrets, et vous poursuivrez le chemin seul, comme vous l'entendez.
Rickie Lee Jones parle de l'amour perdu (Lucky Guy),
Oh, he's a lucky guy
Oh, he's a lucky guy
He doesn't worry about me
When I'm gone
celui de Tom Waits, mais ne rentrons pas dans les détails, ce serait offensant et réducteur. On ne peut pas expliquer ce qui vous parle trop près du coeur. J'avais sept ans et elle avait déjà écrit ces huit chansons, presque trop belles pour n'être que des chansons.
But I lied to my angel and now he can't find me
Mais la supériorité de la poésie sur le roman est bien là : une chanson est une allumette que l'on craque et le monde apparaît aussitôt, sans autre effort que le geste détonateur. Le roman est un grand feu de joie, qui menace sans cesse de s'éteindre, et auquel il faut sacrifier ce que l'on possède de plus rare, de plus cher. Le nécessaire. Il faut tout calciner. Tout.
Ecrire une chanson, c'est peut-être trouver une seule image, mais la plus belle de toutes, celle qui pourra contenir toutes les autres, les vôtres.
Mademoiselle Rickie Lee Jones possède cet immense talent : une âme forte.
Si elle n'était qu'une femme, elle ne m'intéresserait pas. Mais il y a cet autre personnage dans le remblai élevé par chacun de ses pas, qui sautille derrière elle, qui joue à la marelle dans ses traces imprimées sur la neige, un enfant.
(Something for J.-C. )
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Catégorie :Miscellanées
Libellés :musique,Rickie Lee Jones
samedi 3 mars 2007
Les rôles où Cary Grant joue le brigand, le filou, le personnage louche et la canaille, sont ma foi assez rares. J'en ai déjà parlé ici et ailleurs. Il est, par conséquent, toujours intéressant de savourer une de ces exceptions. Et, Miss Holly de revenir à sa vieille habitude, de tailler quelque joli extrait pour vous dans l'un des films de sa vidéothèque.
Pendant ma période de fièvre, j'ai essayé de me soigner en regardant quelques films avec mon bien-aimé acteur (mais sans robe de soirée ni chaussures-à-talons-102e-étage, comme je le fais à chaque fois que je me projette un film avec le plus élégant des élégants, mais en vulgaire pyjama, moi qui n'en porte jamais...), dont celui-ci, que je connaissais déjà.
H.C. Potter a réalisé l'un des films les plus drôles de l'histoire du cinéma, un classique inoubliable, Hellzapoppin. Ce film-là n'est pas d'une égale réussite, loin s'en faut, mais comporte quelques belles scènes, drôles ou émouvantes, qui justifient à elles seules que l'on se souvienne de l'oeuvre.
Je n'ai pu résister à encoder cet extrait pour mes aimables lecteurs (petite pensée pour Clarabel, qui appréciera, peut-être, mais aussi pour Nicolas qui saura bien pourquoi...), car Cary y... tricote, afin de persuader certaine jeune femme soupçonneuse de ses bonnes intentions, alors qu'il cherche à la flouer ! Il ne perd rien de sa superbe et de sa virilité gracieuse dans cet exercice pour le moins périlleux.
Et il semblerait que ce soit contagieux !
Le film est très déséquilibré : à ne pas choisir un registre, comique ou dramatique, on ne cesse de se tenir sur un pied, puis sur l'autre, puis on sombre dans une petite déception. Il faut remettre les choses dans leur contexte et Serge Bromberg le fait avec son talent et sa gourmandise coutumière dans le DVD des éditions Montparnasse. La guerre s'étale sur tout le terrain de l'industrie du film et beaucoup de productions sont censurées à l'époque ou bien encouragent une forme de propagande plus ou moins discrète. Cette toile de fond rend le propos délicat. L'une des images les plus effrayantes du film est peut-être celle-ci, qui ne cesse de poursuivre le héros :
mais Joe (Cary) n'a cure de l'Oncle Sam et se fera déserteur en endossant l'identité d'un mort, ancien taulard, mais réformé, et essaiera de piquer dans la caisse des bonnes oeuvres pour les victimes de guerre. Rien de très moral, certes, mais on pourrait tout pardonner à un homme qui sait si bien truquer les pièces et piper les dés, car il ne triche pas lorsqu'il s'agit de sentiment. Et, quand bien même, ce serait sans compter l'amour inconditionnel d'une femme qui l'aimera tout autant brigand que gentilhomme, car bien sûr il ne cesse d'être beau joueur en toute circonstance. Et puis la guerre est une telle saloperie que tous les coups sont permis pour rester à l'écart et que l'on ne me parle pas d'héroïsme car cela n'existe pas... Tout est affaire de circonstances. Les héros sont des graciés du dilemme.
La morale sous-jacente du film est peut-être plus audacieuse qu'il n'y paraît : l'héroïne en oublie ses convictions par amour. A nous d'applaudir et de regretter, néanmoins, cette fin trop convenue bien qu'attendue.
Ce film prend place, dans la filmographie de Cary Grant, entre Once Upon a Honeymoon de Leo McCarey et Destination Tokyo de Demar Daves. Cary Grant a récemment été fait citoyen américain ; "Cary Grant" est devenu son véritable nom, et il subira des reproches de ses anciens compatriotes britanniques de ne pas participer à leur combat. Un meilleur film est à venir : None but the Lonely Heart.
La femme de Cary Grant, à l'époque, Barbara Hutton, voulait obtenir le rôle féminin, puisque celui-ci reflétait d'une certaine manière son vécu. Elle offrit même à la R.K.O. de travailler gratuitement. Mais Cary Grant l'apprit, refusa cette idée et s'arrangea pour qu'elle n'obtînt pas le rôle, qui fut attribué à la sensible Laraine Day. Précisons que les relations entre les époux n'étaient pas de celles dont on peut rêver et que l'éphémère Madame Grant me semble avoir été on ne peut plus opportuniste.
Le scénario fut écrit par un débutant, Milton Holmes, et s'inspire d'une histoire véritable, qui connut une fin plus tragique, car la vie n'est pas une danseuse des sept voiles à qui l'on peut promettre la lune à crédit.
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Libellés :Cary Grant,cinéma,H.C. Potter
vendredi 2 mars 2007
"Le célèbre Tommy apparut pour la première fois aux yeux du monde dans un escalier crasseux de Londres. Il était habillé de vêtements informes, qui celaient la nature de son sexe. Il n’en possédait pas d’autres. Il avait cinq ans. Bien que nous soyons présentement en train de le regarder, nous devons l’observer à la dérobée, de peur qu’il ne s’assoie précipitamment et ne dissimule à notre vue cet accoutrement. Ce visage, qui ne disait rien de lui, préfigurait celui des messieurs attachés à leur club des derniers jours de sa vie aussi bien que celui qui intriguerait les dames pendant qu’il leur ferait la cour. C’était déjà le sien, excepté quand il souriait à l’une de ses jolies pensées ou qu’il s’arrêtait devant une porte entrouverte pour renifler quelque met en train de mijoter. Pendant ses allées et venues dans l’escalier, il s’arrêtait souvent pour inhaler les fragrances vagabondes, mais il ne demandait jamais rien. Sa mère l’avait prévenu contre cette tentation et il était tellement imprégné de l’esprit de cette injonction qu’il déclinait les offres avant même qu’elles n’eussent été faites. Ainsi, quand il passait devant une pièce d’où exhalait une odeur de poisson frit, il pouvait s’écrier dans cette direction : « Je ne veux pas de votre poisson ! » Ou bien : « Ma mère dit que je n’en veux pas le plus petit morceau. » D’un ton plus rêveur, il pouvait affirmer : « Je n’ai pas faim. » La nostalgie pouvait s’attacher à ses paroles et il affirmait alors : « Ma mère dit que je n’ai pas faim. » Sa mère entendit parler de cette attitude et s’emporta. Elle lui cria qu’il avait éventé devant les voisins le secret qu’elle essayait, avec tant d’inquiétude, de dissimuler. Mais ce que Tommy avait révélé, il ne pouvait se le figurer. Quand il la questionna, très naturellement, elle le prit soudain avec passion et le serra contre sa mince poitrine. Souvent, après cet épisode, elle le regardait longuement et tristement, puis elle se tordait les mains. "
Comme il est étrange à quel point Tommy me rappelle certaine petite fille que j'ai bien connue autrefois...
Dans l'espoir que je puisse, un jour, faire publier ces deux romans magnifiques... J'y travaille, à ceci et d'autres choses, malgré la fièvre et une immense fatigue.
(Trad. un peu exaltée de Holly aka C.-A. F.)
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mercredi 28 février 2007
"Une des caractéristiques du Gardien tient, je pense, à son côté absurde. Mais en même temps, je n'ai jamais eu l'intention d'en faire simplement une farce pour rire. S'il n'y avait pas eu autre chose en jeu, la pièce n'aurait pas été écrite. La réaction du public ne saurait être réglée et personne ne voudrait le faire, mais elle n'est pas non plus facile à analyser. Là où le comique et le tragique (à défaut d'un terme meilleur) sont étroitement mêlés, une certaine partie du public choisira toujours le comique... pour, ce faisant, esquiver systématiquement le tragique de l'existence... Chaque fois que nous rencontrons cette hilarité je pense qu'elle représente, de la part des rieurs, une aimable condescendance à l'égard des personnages et qu'ainsi toute participation à leur drame est évitée."
J'adore Pinter. Je l'ai découvert il y a une dizaine d'années, au théâtre (dans Ashes to ashes, avec Lambert Wilson), puis chez Losey (The Servant dont il écrivit le scénario et il participa d'ailleurs aux meilleurs films de Losey) . Dans ce film, le même rapport inversé subsiste que dans la pièce susmentionnée.
Pinter demeure en bonne place dans ma bibliothèque et Losey dans ma vidéothèque.
Trouver une place à soi dans le monde. Tous les personnages de Pinter, peu ou prou, en cherchent une. Ici, elle est symbolisée par une pièce, par une épave, que se disputent trois personnages étranges.
Tout d'abord, il y a ce décor hétéroclite qui dit le chaos du monde intérieur et extérieur, celui des pensées et des actes des personnages, leur fragilité, la possible et imminente cassure.
A moins que tout ne soit déjà joué... Qui sait ? D'ordre et d'équilibre, il n'existe jamais qu'en imagination, puisque nous ne cessons de tomber chaque jour davantage, dans l'attente de l'ultime chute qui adviendra au moment où l'on s'y attend le moins et de manière un peu surprenante. Notre vie est une pièce de théâtre dont nous ignorons la plupart des didascalies. Nous nous occupons simplement des changements de décor, passant d'une chambre à l'autre, d'une maison à une plus petite ou plus grande qu'elle, sans jamais quitter la vaste et ultime scène du monde, sauf peut-être pendant le court instant du sommeil. Et encore ? J'en connais un, Sigmund, qui s'attardait dans la coulisse. Quant à l'ordre, qu'en est-il ? Il n'existe pas de concept à la fois plus flou et plus fou - on sait bien qu'il n'existe pas de psychisme plus ordonné que celui des paranoïaques, sans parler des mythomanes... Précisément, d'identité il est question là aussi. Qui est Davies ? Simplement lui-même ou bien Jenkins existe-t-il aussi ? Que cache ce vieillard et dissimule-t-il autre chose que sa détresse d'être au monde ?
A moins que tout ne soit déjà joué... Qui sait ? D'ordre et d'équilibre, il n'existe jamais qu'en imagination, puisque nous ne cessons de tomber chaque jour davantage, dans l'attente de l'ultime chute qui adviendra au moment où l'on s'y attend le moins et de manière un peu surprenante. Notre vie est une pièce de théâtre dont nous ignorons la plupart des didascalies. Nous nous occupons simplement des changements de décor, passant d'une chambre à l'autre, d'une maison à une plus petite ou plus grande qu'elle, sans jamais quitter la vaste et ultime scène du monde, sauf peut-être pendant le court instant du sommeil. Et encore ? J'en connais un, Sigmund, qui s'attardait dans la coulisse. Quant à l'ordre, qu'en est-il ? Il n'existe pas de concept à la fois plus flou et plus fou - on sait bien qu'il n'existe pas de psychisme plus ordonné que celui des paranoïaques, sans parler des mythomanes... Précisément, d'identité il est question là aussi. Qui est Davies ? Simplement lui-même ou bien Jenkins existe-t-il aussi ? Que cache ce vieillard et dissimule-t-il autre chose que sa détresse d'être au monde ?
Ce bric-à-brac entretenu par la poésie et les folles associations de l'absurde donne aussi donne la saveur d'une fin de vie ou de monde. Personne ne meurt car tout est déjà en soi mort et vicié. Il n'y a que des questions encore plus impossibles que leurs éventuelles réponses. On a souvent comparé Pinter à Beckett. Le gardien justifie ce rapprochement à la Godot. Le langage ne dit rien, il trompe y compris ceux qui sont censés être les moins dupes de tous.
[Clichés précédents de M. le mari de Holly, cliquez pour les agrandir]
Le gardien (The Caretaker) de Harold Pinter est une pièce immensément jouée et reconnue ; peut-être la plus appréciée de ses œuvres à travers le monde. Elle fut donnée pour la première fois à Londres le 27 avril 1960. Le théâtre, plus qu’aucun autre art qui repose sur les mots, mais d’abord sur la parole qui les porte, se doit de jaillir, se soumettre le cœur haletant et l’esprit pantelant du public. Le théâtre véritable doit être incarnation d’une vérité supérieure, peut-être métaphysique, dans des personnages auxquels on ne doit jamais s’identifier tout à fait sous peine de perdre ce proche lointain qui nous les fait miroir. Ne jamais se fondre dans leur espace et leur temporalité, de crainte qu’il n’y ait plus de retour possible en soi. La magie s'opère dans la distance. Ne pas étamer la scène psychique. Il faut rendre hommage à la mise en scène, qui ne se complaît dans aucun effet inutile ou dans une grandiloquence facile à provoquer. L'adaptation me semble avoir usé de temps en temps de mots déplacés, mais dans l'ensemble je suis satisfaite.
Deux prétendus frères, l’un très inquiétant, qui a subi des électrochocs (Aston), l’autre sadique (Mick), vivent dans une maison brinquebalante. Le premier ramasse un clochard raciste et perdu
qui a manqué d’avoir le portrait rectifié par des malotrus. Il l’invite à passer quelques temps chez lui. Le vieil homme devient l'objet d'un jeu pervers et incessant dont on ne saura jamais tout à fait le fin mot. Ce qui paraît plus sûr, en revanche, est que la victime n'est pas celle qui se présente sous ces dehors à l'instant zéro... et que le tiers va monter les deux frères l'un contre l'autre dans l'idée de prendre le pouvoir.
Robert Hirsch est un acteur génial, d'une trempe rare. Il demeure à ce jour, et j'ai pourtant vu beaucoup de représentations dans ma vie, peut-être l'acteur de théâtre que je respecte le plus avec Michel Bouquet (dans le Le roi se meurt, par exemple). Il y a une sorte d'instinct bestial en lui qui irrigue sa composition, qui fait de lui, tour à tour, une créature friable et un homme dur et manipulateur. Il n'est impressionnant que parce qu'il semble vaguement inconscient de cette ferveur qui éclate dans l'esprit des spectateurs. Ce spectacle est presque insupportablement physique. Il fait mal. Nous sortons de la salle, brutalisés, la respiration courte. Très inquiets.
Si vous ne deviez aller au théâtre qu'une seule fois cette saison, c'est au Théâtre de Paris qu'il vous faudrait vous rendre. Les yeux fermés. Avant qu'il ne soit tout à fait trop tard.
Libellés :Harold Pinter,Robert Hirsch,Théâtre
"Il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et où nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l’importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus. "
Marcel Proust
J'aime beaucoup attendre le facteur, le matin, car il m'apporte presque toujours une lettre ou un paquet.
"Mais j'ai craint que vous, esprit subtil et cœur ultra-sensitif, ne vous mettiez martel en tête en ne recevant pas de lettre (…)"
Proust, À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Folio, p. 531.
La journée débute sous les meilleurs auspices. J'ai hésité à écrire ce petit billet, car il me paraît presque trop personnel. Mais, somme toute, l'humeur, que je considère comme le résidu vivant et le dernier frétillement d'une passion éphémère, est un phénomène étonnant à analyser et à observer.
"Le soleil et la pluie ne sont ni gais ni tristes, l'humeur ne dépend que des fonctions organiques élémentaires, le monde est affectivement neutre."
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception
On a eu l'extrême bienveillance de m'envoyer un livre, dont j'ignorais l'existence et où il est question de... J.M. Barrie ! Je vais m'empresser de le lire.
Ce qui me plaît aussi, c'est cette concomitance temporelle que ce livre symbolise. Depuis quelques mois, je suis en train de me réconcilier avec Marcel Proust. Je lui dois cet effort. Dans ma prime jeunesse, j'ai lu environ les trois quarts de la Recherche et je confesse sans honte que je n'ai jamais pu rejoindre la dernière ligne. Proust m'avait asphyxiée, vidée de toute émotion, du plaisir même de lire. Sa puissance littéraire avait eu raison de ma faiblesse, comme si Proust était impossible à lire pour certaines natures. Il y a un phénomène physiologique à l'oeuvre dans la lecture de Proust. J'en suis désormais persuadée. Je me souviens de cette jeune femme entrevue à la Sorbonne, il y a maintenant longtemps, qui se promena pendant des mois un volume de Proust à la main, ondulant un peu plus alors qu'elle progressait dans ce sanctuaire de mots qui me glaçaient, essayant vainement de me faire partager son extase. J'étais un peu jalouse de ce plaisir qui m'était défendu. Aujourd'hui, j'entrevois, mais à peine, son bonheur d'alors.
Depuis, je suis peut-être plus vaillante car je lis Proust, gorgée par gorgée, et ma jouissance monte peu à peu. Je me rends compte que je n'aimais pas Proust car il révèle mon impuissance et demande une attention dont j'étais probablement incapable il y a encore très peu de temps. Je songe à une explication plus élaborée.
"Probablement ce qui fait défaut, la première fois, ce n’est pas la compréhension, mais la mémoire. Car la nôtre, relativement à la complexité des impressions auxquelles elle a à faire face pendant que nous écoutons, est infime, aussi brève que la mémoire d’un homme qui en dormant pense mille choses qu’il oublie aussitôt, ou d’un homme tombé à moitié en enfance qui ne se rappelle pas la minute d’après ce qu’on vient de lui dire. Ces impressions multiples, la mémoire n’est pas capable de nous en fournir immédiatement le souvenir. Mais celui-ci se forme en elle peu à peu et, à l’égard des oeuvres qu’on a entendues deux ou trois fois, on est comme le collégien qui a relu à plusieurs reprises avant de s’endormir une leçon qu’il croyait ne pas savoir et qui la récite par coeur le lendemain matin. " Proust, A l’ombre des jeunes filles en fleurs
Je ne l'aime pas encore tout à fait, mais quelque chose se met à bouger dans mon esprit et je me plais en sa compagnie.
Je ne saurais trop vous conseiller les leçons d'Antoine Compagnon au Collège de France. Mais aussi et surtout les travaux du regretté Malcolm Bowie.
L'autre lettre m'a été écrite par mon professeur de chinois, une femme pour qui j'éprouve amitié et admiration. N'ayant pas de cours pendant une semaine pour cause de vacances, j'ai eu dans l'idée de faire une petite version pour m'entraîner et avancer dans le manuel, de mon côté. Je lui ai envoyé par courrier électronique mon travail. Elle a pris la peine de me corriger et de m'envoyer une lettre calligraphiée. Je suppose qu'il va me falloir un bon moment pour en comprendre le sens, puisque j'ignore une partie des sinogrammes, mais je me sens irradiée par tant de bienveillance, par ce que je considère être des encouragements sincères. Et puis, et puis, je suis encore assez enfantine pour aller à la recherche des bons points, que je ramasse comme on irait à la cueillette des champignons, je m'endimanche en ayant de bonnes notes, oubliant parfois qu'il n'y a aucune espèce d'estime à attendre de la part des autres, que c'est faiblesse et bêtise, danger immense et mal défini, que ce qui importe c'est une juste opinion de soi, ni au-delà ni en deçà. Mais seul un ancien cancre demeure cancre toute sa vie, ayant besoin mille fois de prouver qu'il ne l'est plus, que l'on s'est même trompé sur lui, voulant réparer de lui-même l'injustice que d'autres lui ont faite et qui ne peut cependant être effacée. Je n'ai jamais oublié ces années d'école primaire où je m'ennuyais et où je n'aimais que l'école buissonnière, qui me permettait de lire en cachette. Je n'ai pas oublié ce mépris des gens comme il faut pour la petite sauvageonne débraillée. En y repensant, je me dis qu'un jour ils verront. Et l'instant d'après, j'éclate de rire, me moquant un peu de moi-même. Rien n'a d'importance, dans le fond. Surtout pas eux. Plus maintenant.
Je n'ai eu aucun bon maître dans mon enfance, hormis Aline.
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lundi 26 février 2007
Shakespeare and Company est un lieu célèbre dans le monde entier. C'est un îlot échoué on ne sait comment dans l'un des plus beaux quartiers de Paris. On a l'impression d'avoir affaire, de loin, à une gigantesque photographie collée sur un mur, un trompe-l'oeil qu'un ongle pourrait en trois secs gratter et rouler en boule. Mais l'endroit existe pourtant. Je suis sûre que vous le connaissez mieux que moi. Je n'y suis pas allée très souvent autrefois. Je ne me rappelle que d'une fois. Je ne me sentais pas digne de ce lieu qui est davantage un objet qu'une place. Maintenant, je suis grande (ne vous moquez pas), je parle mieux l'anglais et je commence à être moins timide en divers domaines. Je me sens légitimitée à caresser les contours de cet antre. Je me fais féline et je rivalise avec le mouser (souricier), bien présent, quelque part. Je ne me sens plus autant déplacée. Je fais un pas de côté, histoire de devancer mon ombre, j'effleure mon humanité. Je souris. Ce petit Paradis est situé dans Paris, non loin des quais, un peu en retrait. Il existe depuis 1951 et a été créé par George Withman, un américain sûrement un brin excentrique pour pas mal de gens, et pour moi et bien d'autres encore une sorte de dandy des cieux descendu. On peut d'ailleurs encore apercevoir cette figure extraordinaire que Mervyn Peake aurait croquée avec gourmandise hanter les lieux, en pyjamas à rayures rouges (!), les cheveux ébouriffés et la démarche solide, malgré ses 90 ans passés. Il habite au troisième étage. Pour monter et descendre l'improbable escalier rouge, plus ou moins bricolé, il vaut mieux être sûr de soi. Une pancarte vous met en garde contre le danger. Sûre de soi ? Je ne l'étais pas tant que cela ce week-end lorsque je me rendis au premier étage pour m'installer lire un petit moment dans la partie library (bibliothèque) de cette boutique-appartement. En effet, des gens y dorment et y lisent. Que demander de plus hormis y faire l'amour ? Il y a tout ce qu'il faut pour s'y installer... Quelques livres serviront aisément de pillows (oreillers). Tout est permis ici. L'étranger sans feu ni lieu y est accueilli. Une bouilloire et une théière font des ronrons et hoquètent joyeusement, sans discontinuer. J'y ai croisé Dickens et Sylvia Plath. On perd notion du temps et de l'espace. Le sortilège agit. De jolies et prudentes recommandations ornent les lieux. C'est aussi la morale ou la philosophie humaniste du maître de céans.
Vous pouvez y déposer votre propre photographie ou un message destiné à Maître Hasard.
Et pourquoi ne pas y faire réellement la sieste ? Plusieurs lits sont cachés parmi les livres ! Si j'étais romancière, si j'étais réellement une raconteuse d'histoires, j'aurais inventé un lieu semblable. Lorsque vous manquez de foi en l'humanité, venez ici, vous reprendrez courage. Promis !
[Cliquez sur les photographies pour les agrandir (très grand format).]
Il s'agit d'une librairie à nulle autre pareille. Vous l'avez compris. Si vous achetez un des milliers de livres neufs et d'occasion de la boutique, vous serez gratifiés d'un coup de tampon, le fameux sigle.
Vous repartirez avec un sac ou un sachet en papier brun estampillé d'une façon semblable.
Pour ma part, j'ai acheté un recueil de poèmes des préraphaélites et une édition intégrale des poèmes de ma chère Emily Dickinson. Pendant ce temps, mon amie Claire, bientôt experte en japonais et en coréen, imprimait sa silhouette sur les murs du lieu à la recherche d'un livre fantôme. Elle reviendra et moi aussi.
Si vous désirez voyager virtuellement dans cette librairie, visitez ce site-ci et lisez cet article. Wictoria, je crois que tu adorerais cet endroit ! Mais peut-être es-tu déjà une habituée ?
Il fut ensuite temps pour moi d'arpenter mes librairies préférées, plus classiques et monotones, et de ramener quelques ouvrages qui donnent un meilleur indice de mon état d'euphorie que n'importe quel autre baromètre.
La Chine occupe plus que jamais mes pensées : deux Découvertes Gallimard, une "grammaire" de Bellasen (grand professeur et référence en la matière), un petit usuel pour apprendre et me remémorer les sinogrammes, ainsi qu'un livre-bloc-notes plus ludique pour m'exercer. Je poursuis mon exploration de l'univers de Tournier et je me remets à lire en allemand. Le choix de mon livre n'est pas anodin puisque c'est une oeuvre de Robert Walser (dont j'ai déjà parlé ici) et que j'associe à Jean-Christophe, celui qui veille avec amitié et intelligence sur mon travail barrien.
Petit passage éclair à Ciné Reflet, la librairie du cinéma bien connue des cinéphiles du VIe arrondissement de Paris, qui déménage bientôt, un peu plus loin.
Mon mari y a trouvé un petit livre sur Kusturica, cinéaste que nous aimons à la folie tous les deux. La vie est un miracle est l'un de nos films préférés toutes époques et genres confondus. Après tout ceci, ne vous étonnez pas si je ne réponds ni aux lettres ni au téléphone. Et si vous croyez que ce billet n'a ni queue ni tête, c'est que vous n'êtes pas dans le secret de mes pensées.
Libellés :lieux,livres,promenades
Eh non ! Ce n’est pas la charmante Miss Holly qui vous tiendra compagnie aujourd’hui. Ne m’en veuillez point, cette exception est entièrement de son fait. Enfin presque…
Il y a plus d’années que Holly n’oserait l’avouer, j’ai incité la tenancière de ce journal à emprunter la route d’une charmante bourgade. Elle refusa. Je réitérai mon invitation. Elle refusa de nouveau. Malgré d’incalculables déconvenues, j’insistai. Et comme votre Holly est plus têtue qu’elle n’oserait l’avouer, elle campa sur ses positions. Mais je peux me montrer très patient. Je savais que ses pas finiraient par la mener, de gré ou de force, là où je l’attendais de pied ferme. Et comme votre Holly est plus rancunière qu’elle n’oserait l’avouer, elle décida, pour se venger, de m’obliger à vous servir de guide dans cette adorable ville, réputée pour ses délicieuses tartes et ses meurtres sanglants.
Bienvenue à Twin Peaks, 51 201 habitants.
Twin Peaks. Il y a fort à parier que vous ayez déjà entendu ce nom. Il est malheureusement aussi fort probable que vous n’ayez pas suivi ce feuilleton méconnu du très grand public. Pour résumer, Twin Peaks était une expérience télévisuelle unique qui consistait à confier à un auteur iconoclaste et reconnu (David Lynch) la création d’une série novatrice de qualité alors que le genre était plutôt moribond. Lynch, associé à l’excellent Mark Frost (qui avait acquis une solide réputation avec Hill Street Blues), s’attela à la tâche. Ils définirent ensemble un concept génial : mêler les deux genres les plus appréciés du public que sont la série policière et le soap opera en les assaisonnant de thèmes subversifs. La sauce aurait pu tourner à l’aigre, le public aurait pu rejeter cet objet télévisuel non identifié ; ce fut tout le contraire qui se produisit : des millions Américains regardèrent, fascinés, leur petit écran pour tenter de découvrir qui avait assassiné la magnifique Laura Palmer. Pendant plusieurs semaines, la série devint un véritable phénomène de société. Enfin, le grand public et les intellectuels s’accordaient sur un feuilleton ! Enfin, on pouvait voir quelque chose d’intéressant à la télévision ! La fin apocalyptique de la première saison laissa l’Amérique hystérique, peu habituée à connaître des « cliffhangers » aussi insoutenables depuis que l’on avait tiré sur l’ignoble J.R. Après des mois d’attente, Lynch nous dévoilait enfin la suite de son étrange récit. Et ce que virent les spectateurs était aux antipodes de leurs attentes. Dans une succession de scènes aussi géniales qu’ésotériques, avec une lenteur délicieusement insupportable, Lynch apportait des réponses qui ne faisaient qu’accentuer le mystère. Décontenancée, l’Amérique des ménagères comprit qu’il ne s’agissait pas d’une simple enquête policière, que la série se révélait bien plus complexe qu’on ne pouvait l’imaginer. Une partie du public décrocha. Très vite, ABC qui avait "commandité" et qui diffusait Twin Peaks, fit pression sur Lynch et Frost pour qu’ils nous dévoilent la clé du mystère, pour qu’ils livrent enfin au public le nom de l’assassin. Le but des auteurs était de faire durer l’intrigue le plus longtemps possible. Malgré leurs protestations, ils durent se soumettre et révélèrent à la va-vite ce secret si bien gardé. Mais, déjà, le public, perturbé par un désastreux changement de programmation, se désintéressait de cette ville et des ses trop nombreuses énigmes. Privée de sa principale intrigue, Twin Peaks dut affronter une dernière épreuve qui lui fut fatale : l’éloignement de Lynch, retenu sur le tournage de Wild at heart. La série sombra alors dans une sinistre parodie de ce qui avait fait son génie. Malgré quelques scènes mémorables, le grotesque finit par dominer et la série qui aurait définitivement sombré dans l’oubli et le ridicule si Lynch n’était revenu à bord pour tourner le « finale » de la deuxième saison.
Avec le talent qui le caractérise, il a su achever toutes les intrigues en cours pour mener Twin Peaks à de nouveaux sommets de créativité. Malgré un extraordinaire dernier épisode, ABC refusa à Lynch de poursuivre l’aventure. Certes, l’heure de gloire de la série était derrière elle mais les fidèles étaient suffisamment nombreux pour que survive un temps encore cet univers si particulier. Malheureusement, il n’y a pas que notre chère Holly qui soit obstinée. Les dirigeants d’ABC refusèrent de céder et Lynch renonça provisoirement à cette ville qui lui tint tant à cœur. Il y revint toutefois plus tard, le temps d’un long-métrage, mais ceci sera sans doute le sujet d’un autre billet.
Twin Peaks n’a, à l’heure actuelle, aucun équivalent, même si elle a inspiré de nombreuses autres séries et ouvert au genre des perspectives inespérées que d’ingénieux scénaristes ont le bon goût d’explorer. Sa richesse inépuisable a permis à de nombreux journalistes, thésards ou passionnés de se livrer à des analyses souvent très pertinentes. Un trimestriel du nom de Wrapped in Plastic
lui fut même consacré. Dans ses pages, les fans pouvaient y découvrir, plus de dix ans après la diffusion du dernier épisode, de nouveaux essais extrêmement documentés détaillant des aspects insoupçonnés de la série, des indices ou des interprétations de nombreuses phrases ou symboles qui jalonnent la série, apportant chaque fois une lumière différente sur ce bijou aux innombrables reflets.
Il n’est pas mon intention de vous livrer dans les lignes suivantes une synthèse ou une resucée de ce qui a déjà été écrit ailleurs. Non, je vais simplement vous raconter ce que Twin Peaks représente pour moi, comment et pourquoi cette ville est devenue mienne, comment je me suis perdu et retrouvé. Regarder cette série est une expérience très personnelle, une plongée sans retour dans son inconscient.
Car on trouve avant tout dans cette ville ce qui on y apporte.
A suivre…
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Comme pour presque toutes les séries, c’est par le générique que l’on entre dans la bourgade de Twin Peaks. Un panneau à l’entrée de la ville annonce fièrement 51 201 habitants, avant que ne défilent devant nos yeux de douces images d’une ville perdue dans la forêt, et qui vit de l’exploitation du bois. Mais ce ne sont pas ces quelques clichés qui attirent notre attention mais la mélodie qui les accompagne. Un air envoûtant nous apaise, nous enveloppe confortablement. Par instant, une pointe de tristesse, peut-être de nostalgie, transparaît dans cette mélodie mais si légèrement qu’elle n’altère en rien la sérénité dans laquelle vous voilà plongée. Oui, la musique d’Angelo Badalamenti, vieux comparse de Lynch, est indissociable de son œuvre. Cette introduction musicale est un piège.
En vous berçant de d’un rythme lent, elle vous donne une fausse impression de sécurité. Ce qui suit n’a vraiment rien de rassurant. Pourtant, nous restons dans cette impression de calme. Les images se succèdent lentement, comme l’eau des petites rivières, comme les légères rides que la brise forme sur un lac immobile. C’est justement par l’eau, le plus apaisant des éléments, que le malheur arrive. La musique, toujours aussi douce, devient pesante. Un sac en plastique s’est échoué sur la rive. Pollution malvenue dans un si beau paysage. Un vieil homme s’en approche.
Il y découvre un corps bleui à l’intérieur. Le ravissant visage du cadavre de Laura Palmer enveloppé dans ce sac s’imprime dans la rétine du spectateur et y laisse un souvenir qui ne s’effacera jamais.
Cette vision morbide et séduisante reflète parfaitement ce qui nous attend par la suite. La musique devient plus intense, plus déchirante. La nouvelle de la mort de Laura se répand dans la petite ville. On découvre une succession de visages qu’on devine être des proches de Laura. Impuissants, nous ne pouvons que les regarder pleurer sans connaître la nature des liens qui les unissaient à la pauvre défunte. L’émotion monte en violence, devient gênante et même insupportable lorsque Lynch s’attarde avec pudeur et cruauté sur les insoutenables hurlements de la mère de Laura.
Nous demeurons sous le choc.
A travers la souffrance des habitants, nous découvrons une petite ville comme il en existe tant d’autres. Un lycée, un restaurant pour routier, une station service, un hôtel, un bureau de police. Une petite ville hors du temps, perdue dans cette immense forêt près de la frontière canadienne. Une petite ville où l’on doit s’ennuyer lorsqu’on est jeune. Une petite ville où les personnes âgées pourraient rêver d’une retraite au calme s’il ne faisait pas si froid en hiver. Une petite ville où l’on a l’impression d’avoir vécu son enfance avant de partir pour la grande ville à l’âge adulte. Une ville rassurante par sa monotonie. Une ville où la surface cache d’insondables abîmes et des secrets plus noirs que les ongles du cadavre de Laura Palmer.
L’ambiance oppressante est légèrement atténuée par l’arrivée de Dale Cooper,
agent spécial du FBI chargé de l’enquête. Unique protagoniste extérieur à la ville, il est le seul à ne pas être a priori suspect. Tout comme nous, il ignore tout de cette ville et de ses mystères. Tout comme nous, il n’a qu’un but : les découvrir. Mais, rapidement, nous comprenons qu’il ne s’agit pas d’un enquêteur comme les autres ; tout aussi rapidement, nous comprenons que nous ne serons pas soulagés par la possibilité de nous identifier à lui. Ses méthodes peu orthodoxes et sa détermination sans faille vont bientôt transformer celui qui était la seule bouffée de fraîcheur de ce pilote en une autre source de mystères et d’inquiétude. Ne laissant aucun répit au spectateur, Lynch poursuit l’enquête dans une ambiance oppressante. Suivant les pas de Cooper, nous découvrons les premiers suspects, les premières énigmes. Chaque révélation accentue le malaise. La jolie Laura n’était pas l’ange que sa figure de porcelaine enveloppée d’un halo bleu nous laissait deviner. Elle cachait de lourds secrets. Et elle n’était pas la seule. Où que l’on regarde, règnent le doute et le mensonge. Même les plus innocentes figures deviennent alors suspectes.
Alors tombe la nuit sur la ville, au sens propre pour cette fois. Loin de permettre aux habitants un sommeil réparateur, elle sert à cacher de sombres desseins ou à avouer de terribles vérités que l’on n’oserait murmurer en plein jour. La forêt est là, omniprésente. Loin d’être amicale, elle nous étouffe comme elle étrangle les cris des victimes. On n’échappe pas à l’ombre de ses arbres majestueux. La forêt encercle la ville et ne lui propose aucune issue. Elle est prise au piège comme nous le sommes à notre tour. Ce sera un cri qui viendra nous délivrer. Un cri d’horreur, un cri à vous glacer le sang. Le paroxysme de cette journée d’angoisse. L’acmé de ce pilote. La dernière scène avant le générique.
Les noms de David Lynch et de Mark Frost apparaissant à l’écran nous rappellent que ceci n’était qu’une fiction. Nous demeurons mal à l’aise face à notre télévision. Les lourds secrets de la ville continuent à peser sur nous. Nous devinons que ce que nous avons vu n’était que la partie émergée d’une horreur plus grande encore. Et alors que nous sommes exsangues, épuisés, nous mourrons d’envie d’en savoir plus. Voilà comment je suis entré dans la ville de Twin Peaks. Il serait inexact de dire que ma soirée s’est achevée avec le générique de l’épisode. Mais ce qui a suivi, je compte bien le garder secret. Ce fut pour moi aussi angoissant que ce que je venais de voir. Cette série en fut même directement la cause. Et lorsque la fiction rejoint la réalité, on se dit qu’il n’y a pas de coïncidence. Que l’œuvre est vérité.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Elle ne fait que commencer. Ce n’est pas l’histoire de Twin Peaks que je compte vous dévoiler, mais les raisons qui m’ont fait y rester.
A suivre…
Le récit du pilote a pu vous laisser penser que cette série était effrayante, malsaine, voyeuriste ou absconse. Pourtant, c’est avant tout une profonde joie qui m’envahit lorsque je pense à cette petite ville. Vous en déduirez peut-être que je suis un être pervers, malade, dangereux. Même si vous aviez raison, cela ne changerait rien au fait que cette ville peut vous rendre heureux. Twin Peaks est un foyer pour ceux qui décident de s’y rendre. On s’y sent protégé et aimé. L’environnement y est familier, rassurant. Mais ça peut aussi être le lieu des secrets de famille, des grandes peurs d’enfant, des pires cauchemars. Twin Peaks est tout cela à la fois pour le spectateur comme pour les personnages. Car n’allez pas croire que vous pourrez regarder cette série à distance. Non, Twin Peaks parle de vous. Regarder cette série est une coulée dans son propre inconscient.
Toutes vos angoisses risquent de refaire surface. Car l’accueil chaleureux qu’on vous y réserve est un piège. Rassuré, vous abaissez vos barrières pour découvrir que ceux que vous aimez peuvent vous faire du mal. Vos amours, votre famille, vos amis, vos voisins, votre médecin, les représentants de l’autorité. Le danger peut surgir n’importe où. Mais Twin Peaks est également le lieu de tous vos fantasmes. Ici, il est plus facile de franchir la frontière entre le désir inavouable et la réalité. Parmi les dizaines de métaphores qui jalonnent la série, on pourra évoquer celle de la frontière entre la vie respectable et les pires débauches. Elle est ici matérialisée par la frontière qui sépare les Etats-Unis du Canada. Traversez-la, affranchissez-vous des règles de la morale ou de la loi des Etats-Unis et vous entrerez dans un territoire inconnu où un borgne vous aidera à assouvir tous vos fantasmes.
Un borgne ai-je dit ? C’est intéressant. J’aurais pu tout aussi bien pu vous parler d’un nain.
Ou d’un manchot.
Lorsque l’on entre à Twin Peaks, on sort de la normalité.
Ou d’un manchot.
Lorsque l’on entre à Twin Peaks, on sort de la normalité.
Comme dans les rêves, la réalité perd progressivement de sa substance. Et, lorsqu’on perd pied avec le réel, plus aucune règle ne s’applique, à part celles des séries télévisées. Mais, même ces règles-là sont détournées sans vergogne. Mieux, Lynch se moque ostensiblement d’elles par un soap dans le soap, Invitation à l’amour, feuilleton que les protagonistes regardent sans comprendre qu’il ne s’agit qu’une parodie de leurs propres mésaventures. Cette savoureuse mise en abyme n’est qu’un gadget au regard des innombrables niveaux de lecture de la série. En effet, chaque épisode est aussi riche et perturbant qu’un rêve. On peut décider d’ignorer ce qui nous a tourmenté avant notre réveil ou la fin du générique et laisser cette sensation d’inachevé peser sur nous ou, au contraire, chercher à comprendre et interpréter ce que l’on a vu ou vécu. Et c’est dans cet inconnu-là que se cachent les pires vérités. Ignorez votre inconscient si vous le souhaitez, lui ne vous ignorera pas.
Pour affaiblir un peu plus la frontière entre le rêve et la réalité, Lynch inscrit dans chaque personnage, fût-il totalement secondaire, des éléments qui pourraient paraître incongrus ou surprenants au premier abord. Mais en rendant l’ensemble totalement cohérent, on finit par ne plus remarquer ces détails jusqu’à les intégrer dans l’ordre naturel et mental des choses. Et, imperceptiblement, ces éléments étranges vont prendre une place grandissante jusqu’à nous mener dans un monde inquiétant où tout semble désormais pouvoir se produire.
Si les parallèles entre la structure de Twin Peaks et les diverses couches du rêve sont légion, le rôle des symboles est sans doute le plus visible. Lynch parsème son œuvre d’images déroutantes. Vous pouvez parfois passer des heures à chercher une signification à une scène revenant sans cesse (comme ces feux rouges se balançant au bout d’un fil et dont le seul but est de servir l’ambiance) et vous pouvez passez à côté d’un symbole tellement significatif que vous mourrez de honte de na pas l’avoir pas remarqué lorsqu’une bonne âme vous éclairera. Chaque image, chaque élément du décor, chaque prénom, chaque phrase peut revêtir une importance capitale, aussi bien pour dénouer les fils de l’intrigue que pour deviner ce qui animait l’auteur. Même la distribution est tout sauf innocente. Mais Lynch ne vous facilitera pas la tâche dans votre quête de la vérité car tout l’intérêt réside dans le mystère. Il est regrettable que les tâcherons qui lui ont succédé sur la série ne l’aient pas compris.
Twin Peaks a pour but de poursuivre dans la durée l’expérience de Blue Velvet qui consistait à explorer avec un voyeurisme assumé (Twin Peeks) la vie d’une petite communauté. Se servant du meurtre de Laura Palmer comme prétexte, il va plus loin que la curiosité malsaine du spectateur pour le morbide ou les mensonges coupables, pour les adultères ou les trahisons. Il se propose en effet de révéler avec une exhaustivité fascinante les secrets de chacun des habitants. C’est d’ailleurs avec maestria qu’il arrive à nous faire découvrir, sans jamais nous lasser ou nous égarer, les vices et vertus d’une quarantaine de protagonistes qu’il nous présente dès le pilote. Mais si Lynch dissèque froidement l’humanité et ses turpitudes, il le fait également avec amour, s’attardant aussi longtemps sur ce qui fait de l’homme un monstre qu’un être digne de compassion. Faute de place, je ne développerai pas le thème du monstre dans la série, tout comme je ne parlerai pas de la gémellité (Twin Peaks) trop évident pour que je m’y attarde. Mais sachez que Twin Peaks est un éblouissant diamant aux mille facettes qu’il est impossible d’appréhender dans sa globalité.
Vous l’aurez compris, rien n’est normal à Twin Peaks. Et même lorsque vous commencez à acquérir quelques certitudes, le sol se dérobe sous vos pieds et vous découvrez que rien n’est permanent ici, si ce n’est que, comme dans toutes les séries, les personnages sont pris dans une tourmente de rebondissements qui les ramènent toujours à leur point de départ. Car il n’y a pas d’issue à Twin Peaks. On n’en sort jamais. Chaque protagoniste qui a essayé d’en partir y est revenu de gré ou de force, aspiré par le tourbillon des événements. Même les rares étrangers à la ville n’en repartent jamais une fois qu’ils y ont mis les pieds. Vous ne ferez pas exception à la règle. La sensation d’éternel recommencement culmine avec le dernier épisode qui reprend des scènes, des personnages et même des répliques du premier épisode. Mais Lynch aime les paradoxes et joue avec le côté intemporel de la ville. Alors que tous les éléments, du relais routier tout droit sorti de Happy Days aux vêtements vieillots des habitants, évoquent les fifties, l’époque de l’American Dream idéal et éternel (encore un rêve), cette série est précisément située dans le temps. Comme le fait remarque l’excellent Guide du téléfan, le premier épisode se déroule le vendredi 24 février 1989 et chaque épisode dure très exactement une journée. Cette règle narrative, innocente au premier abord, pose un réel problème pour une série conçue pour durer éternellement : la chronologie de la série avance à un rythme beaucoup plus lent que le vieillissement des acteurs ne peut le permettre. Au lieu de s’en inquiéter, Lynch retournera deux ans plus tard dans le passé de la ville avec les mêmes acteurs en tournant Fire walk with me.
Mais comment peut-on alors se sentir heureux dans cette ville ? Tout simplement parce qu’on y trouve, comme dans son foyer, tout ce qui peut vous rendre heureux : un endroit convivial, des gens qu’on aime (car comment ne pas s’attacher à ces portraits truculents que Lynch nous brosse ?), un sens à notre vie (je reviendrai sur ce point un peu plus loin), l’amour (un thème forcément central dans une série qui prend modèle sur les soaps. D’ailleurs, avec toutes ces splendides actrices, cela aurait été dommage de ne pas exploiter cette ficelle. Et comme dans tous les bons soaps, l’amour ne peut être que contrarié) et même l’humour. Aussi étrange que cela puisse paraître, Twin Peaks arrive à nous faire rire. Cela n’a d’ailleurs en soi rien d’étrange que le rire vienne nous soulager dans les moments les plus tendus. Ce n’est donc pas innocemment que Lynch a glissé l’une des scènes les plus drôles de la série pendant l’enterrement de Laura Palmer. Non seulement Twin Peaks est follement drôle mais pourrait même passer pour loufoque tant les incongruités s’y accumulent. A ceux qui s’étonneraient de voir pareil mélange de genre, je citerais David Lynch qui ne comprend pas pourquoi on ne peut pas faire rire, pleurer et trembler les spectateurs dans un même film alors que l’on peut soi-même rire, pleurer et trembler dans la même journée. La vie est ainsi faite, pleine d’émotions contraires, de mystères insolubles, de fausses certitudes et de vrais bonheurs. Et il y a toujours cette musique dans l’air.
Plus qu’à un simple divertissement, c’est à une véritable quête initiatique que nous invitent les auteurs. On ne trouve pas dans cette ville que des secrets bien cachés ou des cadavres enveloppés. Le bien équilibre toujours le mal, bien qu’il soit parfois difficile de distinguer l’un de l’autre. Pour chaque horreur commise un rayon d’espoir nous illumine. Tout comme Cooper y a découvert bien plus que l’identité d’un assassin, j’y ai trouvé bien plus qu’une série haletante : un modèle qui a guidé ma vie pendant les années qui ont marqué la fin de mon adolescence et mon entrée dans le monde adulte. Ce modèle s’appelle Cooper. Par son courage, son intégrité, sa compassion, sa philosophie, sa volonté sans faille mais aussi par ses faiblesses, ses doutes et même par son côté obscur, il m’a montré une voie originale, certes difficile et incertaine, qui pouvait m’amener à donner le meilleur de moi-même. Il m’a montré qu’il pouvait être beau d’être humain… et quel pouvait en être le prix à payer. Là encore, la réalité rejoint la fiction lorsque mon destin suit celui des personnages.
Vous comprendrez sans doute pourquoi parler de cette série est un acte si personnel, si intime pour moi. J’aime cette série comme on aime son foyer, son pays. C’est le mien et cela peut devenir le vôtre. Si vous acceptez de vous glisser dans ce monde, si vous renoncez à toute rationalité pour vivre cette expérience, alors de nouvelles perspectives s’ouvriront à vous. Je ne vous promets pas que le voyage sera toujours plaisant ni que vous ne serez jamais déçu, mais je vous garantis une expérience qui ne ressemblera en rien à ce que vous avez pu connaître. Votre sac est prêt ? Alors suivez-moi. Je vous garantis que vous allez manger les meilleures tartes au monde.
[Le texte est écrit par David aka Ombre. et toutes les captures d'écran et la mise en page ont été faites par Holly.]
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Twin Peaks est pour moi d'abord la concordance et la dissonnance des visages.
C'est la couleur rouge sang qui hante mon esprit et m'affecte du syndrome de Lady Macbeth, c'est un écho particulier entre l'univers de deux ausculteurs de l'Amérique profonde, Stephen King et David Lynch (vous verrez que leurs univers sont très proches et que je ne les associe pas en vain), c'est aussi l'idée que Twin Peaks reprend certains thèmes des tragédies antiques, sans mot dire. Laura est une victime sacrificielle, le bouc émissaire qui expurge et cristallise à la fois le mal dans la société. Twin Peaks est une impossibilité à dire mais je me dois de me prêter au plus tôt à l'exercice, pour répondre à mon ami David.
David (qui porte joliment le prénom du frère de Barrie et de son héros) m'a connue au sortir de l'enfance, au lendemain d'un deuil. Il était très grand. J'étais petite et maigre, presque transparente, mais vive. J'avais 19 ans et j'étais maladroite, mais il me plut instantanément car il ne ressemblait pas à ces benêts, ces grandes tiges, ces garçons qui cherchent mauvaise aventure. Il était un rêveur, qui tétait tout autant que moi le lait de la fiction. Il me fut présenté par cet autre ami, qui compte tant pour moi, Olivier. Si j'évoquais Delphine, vous connaîtriez mes trois meilleurs amis, ceux de l'enfance qui demeure ; je les aime différemment, pour des raisons différentes, mais je les aime véritablement. L'amitié est un don. Seul l'ami véritable s'afflige de votre malheur et se réjouit de votre bonheur, sans arrière-pensées.Mais David est très particulier. Avec lui, je ne me suis jamais retenue. Il sait les pires choses de mon être que je ne dirai jamais à d'autres amis. Il connaît le pire et le meilleur, peut-être. Je sais qu'il goûte ma bizarrerie, qu'il attend de voir jusqu'où je pourrais aller dans ma folie. Notre relation est vacharde et tendre, mais toujours authentique. J'ai toute confiance en lui.
Croyez-vous que je laisserais quelqu'un d'autre écrire dans mon JIACO ?
Sans lui, je n'aurais jamais lu un comic book ni Stephen King et je n'aurais pas plus connu David Lynch, car ces deux-là attirent le lecteur et le spectateur au bord d'un abîme intérieur qui me faisait terriblement peur. Et pour cause. Certainement était-il plus inconscient que moi de ce danger ou mieux armé.
David a mis au moins 10 ans à me convaincre de regarder Twin Peaks.
Je m'y suis reprise à trois ou quatre fois avant de dépasser le troisième épisode. Non par manque d'intérêt, mais à cause d'une fascination que je jugeais malsaine et qui a ses raisons d'être. Le pire étant peut-être cette voie sanguine et cauchemardesque que l'oeuvre ouvrait en moi et qui me rappelle toutes les tentatives sérieuses d'écriture auxquelles je me suis livrée. Je m'apprête à vous dire les raisons de ce recul. Mais il vous faudra encore quelques jours de patience, le temps pour moi de me remettre d'aplomb.
Twin Peaks est une série emblématique. Non, ce n'est pas une série ou un feuilleton, c'est une oeuvre d'art baroque, puissante, monstrueuse par bien des aspects et une énigme. C'est aussi l'une des pièces du puzzle Lynch. A condition de prendre ce dernier mot dans toutes ces acceptions : le puzzle est à la fois le mystère et la figure éclatée que l'on doit reconstituer à partir de pièces éparpillées. Le signifiant et le signifié, un contenu qui déborde de son contenant.
La sortie en DVD zone 2 (et la seconde saison en zone 1) est annoncée et, cette fois-ci, ce serait la bonne, mais je n'y croirai que lorsque je tiendrai les coffrets entre mes mains. En attendant, je vais reprendre un café, saluer mentalement Cooper, puis songer à la pièce de Pinter à laquelle j'ai assisté ce week-end, à une belle rencontre d'amitié et aux Lettres d'Iwo Jima. De tout ceci, je vous parlerai ici.
Libellés :David Lynch,séries,Twin Peaks
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- Dilettante. Pirate à seize heures, bien que n'ayant pas le pied marin. En devenir de qui j'ose être. Docteur en philosophie de la Sorbonne. Amie de James Matthew Barrie et de Cary Grant. Traducteur littéraire. Parfois dramaturge et biographe. Créature qui écrit sans cesse. Je suis ce que j'écris. Je ne serai jamais moins que ce que mes rêves osent dire.
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